Débat sur la finalité de l’entreprise :
Faut-il réécrire le Code civil ?

Dans la perspective du futur projet de loi « PACTE » qui doit être voté au printemps, le président de la République et le gouvernement ont affiché leur intention de redéfinir la finalité de l’entreprise privée en modifiant, au besoin, le Code civil.

 

Si l’on se réfère à la lettre du Code civil, on se rend compte que l’entreprise, en tant que telle, n’a pas de définition légale ! Le droit concerne et encadre plutôt différentes formes de « sociétés » :

Selon les textes, une société peut être civile ou commerciale. Son fonctionnement est réglementé par le Code Civil et le code de commerce.

Ainsi l’article 1832 du Code civil stipule : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l’acte de volonté d’une seule personne. Les associés s’engagent à contribuer aux pertes. »
Quant à l’article 1833, il précise : « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. »

Est-ce à la loi de définir la finalité de l’entreprise privée ?

Faut-il graver dans le marbre une référence à « l’intérêt général » dans la définition de l’objet social de l’entreprise ?
C’est certainement plus simple à dire qu’à faire !

Peut-on redéfinir juridiquement la société – « personne morale » -, sans alourdir davantage l’arsenal normatif et réglementaire qui encadre déjà de façon très stricte le fonctionnement de l’entreprise ?

Les organisations patronales, Medef et CPME, ont exprimé leur opposition à une redéfinition par la loi de l’objet social de l’entreprise privée, préférant encourager l’engagement volontaire et l’autorégulation, notamment en matière de RSE (responsabilité sociale/sociétale et environnementale de l’entreprise).

Le 5 janvier 2018, le gouvernement a commandé un rapport sur « la relation entre entreprise et intérêt général – pour une vision de l’entreprise ambitieuse et partagée »,  à deux personnalités connues pour leur fibre sociale : Nicole Notat, ex-secrétaire générale de la CFDT, présidente de Vigeo-Eiris (une agence de notation RSE) et Jean-Dominique Sénard, président du groupe Michelin. >>>

Jean-Dominique Sénard, Michelin

Nicole Notat, Vigeo

Pour notre part, nous avons toujours défendu sur Consulendo.com l’idée de revisiter le concept d’affectio societatis qui sous-tend en droit français la définition de l’entreprise privée.

Cette notion d’affectio societatis s’applique aujourd’hui aux seuls actionnaires ; nous suggérons de l’étendre à l’ensemble des acteurs de l’entreprise, salariés, collaborateurs intermittents, prestataires réguliers, lesquels composent une « communauté de travail ».

Les juristes pourraient aussi plancher sur une clarification de la notion de « bien social », associée à l’entreprise, telle que l’entend la jurisprudence actuelle : la justice traque « l’abus de bien social »… On pourrait imaginer une définition élargie de ce bien social impliquant une solidarité entre les actionnaires et les salariés de l’entreprise…

« L’entreprise à mission » …

Les travaux préparatoires du projet de loi « PACTE » ont retenu la proposition de créer un nouveau statut « d’entreprise à mission, à objet social élargi »… Une sorte de troisième voie entre l’entreprise privée et l’association ou l’ONG : L’entreprise à mission « met sa performance économique au service d’une mission (sociale, sociétale, environnementale ou scientifique) définie dans son objet social et opposable par ses parties prenantes », explique le cabinet de conseil Prophil, le promoteur en France de ce modèle entrepreneurial s’inspirant d’initiatives anglo-saxonnes. Le Centre des jeunes dirigeants d’entreprise (CJD) est favorable à une telle approche.

L’un des meilleurs moyens de concilier les deux dimensions indispensables de l’entreprise – la finance et le social – pour qu’elle marche sur ses « deux jambes », existe ! Il convient de généraliser l’intéressement aux bénéfices et l’actionnariat salarié. Parmi leurs propositions pour le projet de loi « PACTE », Stanislas Guerini, député LREM de Paris et Agnès Touraine, présidente de l’Institut Français des administrateur (IFA), ont fixé l’objectif que 10% du capital des entreprises françaises soit détenu par leurs salariés… Ce qui serait déjà un grand progrès !

Nous ne croyons pas pour notre part qu’il revient à l’État de dire aux entreprises privées quel est leur rôle et leur finalité. Sauf à se satisfaire d’une économie administrée avec tous les travers et dérives que cela comporte…

Pour autant, réduire la réalité de l’entreprise à l’intérêt stricto sensu de ses seuls actionnaires nous paraît une conception dépassée dans les faits.

Les entreprises qui réussissent aujourd’hui sont celles qui donnent satisfaction à leur clientèle, qui respectent leurs fournisseurs, leurs sous-traitants et leurs collaborateurs ; qui sont attachées à leur ancrage territorial et ont le souci de leur environnement.

Ce sont des entreprises qui considèrent que leur premier « capital », ce sont les femmes et les hommes qui la composent, avec leurs compétences, leurs talents et leur implication. Ce sont généralement des entreprises où les gens sont heureux de travailler.

Comme le montrent plusieurs études, les Français, dans leur très large majorité, aiment l’entreprise dans laquelle ils travaillent.

L’entreprise, entité privée, a aussi une dimension « sociétale » : elle a une histoire, elle opère sur un territoire, elle contracte des engagements vis-à-vis des personnes qu’elle emploie, vis-à-vis de ses clients et fournisseurs… Un ensemble d’obligations qui composent la RSE (responsabilité sociale/sociétale et environnementale de l’entreprise). Beaucoup d’entreprises pratiquent d’ailleurs cette RSE de façon spontanée et volontaire…
La RSE est devenue aujourd’hui une composante de l’image de marque de l’entreprise et de sa réputation. La loi fait obligation au plus grandes entreprises de publier annuellement, en même temps que leur bilan financier, un rapport faisant état de leurs actions en matière de RSE. Les investisseurs institutionnels tiennent de plus en plus compte de ce critère pour orienter leurs placements vers telle ou telle société cotée. Certains proposent d’étendre cette obligation aux entreprises moyennes et ETI…

Notre vision de l’entreprise

La finalité de l’entreprise ne peut se réduire aujourd’hui au partage du profit entre ses actionnaires. C’est une conception dépassée et que les jeunes générations rejettent car elles veulent trouver du sens dans leur vie et leur travail.

Nous pensons que l’entreprise doit se vivre comme une communauté de personnes qui conjuguent leurs compétences et dépensent une bonne part de leur énergie pour répondre, par des produits et/ou des services, aux besoins des clients.

  • La première finalité de l’entreprise privée est de satisfaire des besoins, d’apporter du mieux-être et de créer plus de richesses qu’elle n’en consomme.
    Le profit n’est pas son but premier mais la sanction positive de la pertinence/qualité des services qu’elle rend.

Pourquoi les Apple, Amazon, Adidas, Ikea, BlaBlaCar et bien d’autres… sont devenues des entreprises aussi populaires ? C’est parce qu’elles ont su mieux que d’autres répondre aux consommateurs en leur apportant des services originaux et en améliorant le quotidien.

  • Pour générer la satisfaction de ses clients, l’entreprise doit mobiliser toutes les compétences de ses collaborateurs, du plus humble aux top-managers, favoriser la coopération et cultiver l’intelligence collective. Sans oublier de respecter ses fournisseurs, ses sous-traitants, son territoire et son environnement.
  • L’entreprise doit être une communauté de projet, au sens où projet signifie se pro – jeter, c’est-à-dire entraîner chacun à se dépasser dans une œuvre commune, plus grande que soi.
  • L’entreprise du 21ème siècle considère que sa première richesse est son « capital » humain : elle doit le choyer et le cultiver comme son actif le plus précieux. Par la formation, la motivation et la participation. A cette fin, elle utilise toutes les solutions d’intéressement et de distribution d’actions gratuites possibles, afin d’associer tous les acteurs à son devenir. Et dans les entreprises les plus grandes, il convient de renforcer la participation des salariés aux conseils d’administration et aux instances de gouvernance.

 

En conclusion, j’invite les dirigeants d’entreprises, à se poser la seule question qui vaille : « A quoi sert l’entreprise si elle ne sert pas l’Homme ? »

Jacques Gautrand

 

Une consultation publique pour réviser le « Code de gouvernement d’entreprise » Afep-Medef

 

Opposées une modification du Code civil visant à assigner à l’entreprise une finalité sociale/sociétale, les organisations patronales Afep et Medef ont pris une initiative afin de participer « de manière constructive au débat sur les missions de l’entreprise et sa contribution à l’intérêt général. »

Ces deux organisations ont lancé  le 28 février 2018 une consultation publique des parties prenantes dans le cadre de la révision du Code de gouvernement d’entreprise. Ouverte pendant six semaines sur le site : http://consultation.codeafepmedef.fr/index.html , la consultation a « pour objectif d’encourager les contributions de tous ceux qui souhaitent, par la régulation professionnelle, inscrire l’entreprise dans une démarche de progrès constantLes commentaires reçus seront analysés et rendus publics par une instance indépendante », déclarent l’Afep et le Medef dans un communiqué commun.

« Convaincus que le droit souple est la meilleure façon de progresser dans la recherche de l’intérêt de long terme, l’Afep et le Medef proposent une révision du Code de gouvernement affirmant explicitement qu’au cœur des missions du conseil d’administration figurent la prise en compte du long terme et des conséquences sociales, sociétales et environnementales de l’activité de l’entreprise. »

Pierre Gattaz, président du Medef

Partisan de la « soft law » plutôt que de la contrainte par la loi, le président du Medef, Pierre Gattaz, plaide pour une démarche volontaire des entrepreneurs : « Nous avons démontré depuis plusieurs années que l’autorégulation en matière de gouvernement d’entreprise fonctionne. Restons pragmatiques et faisons confiance aux acteurs de terrain. »

Les évolutions proposées par l’Afep et le Medef

  • La création de valeur à long terme

Dans la continuité de la révision du Code en novembre 2016, qui avait expressément introduit le thème de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) parmi les missions du conseil d’administration, il est proposé que le conseil s’attache à promouvoir la création de valeur sur le long terme en tenant compte des dimensions sociale, sociétale et environnementale des activités de l’entreprise. Ces considérations de RSE doivent également être prises en compte dans la fixation de la rémunération des dirigeants. Dans ce contexte, le conseil pourra proposer de faire évoluer l’objet social, s’il l’estime opportun. Cette proposition mettra le Code de gouvernement français au niveau des standards internationaux les plus exigeants.

  • Les administrateurs salariés

Afin d’assurer une représentation des administrateurs représentant les salariés là où se prennent les décisions stratégiques, il est proposé que ces derniers soient désignés au sein de la société qui applique le Code. Par ailleurs, le Code recommande toujours que l’administrateur salarié participe au comité des rémunérations.

  • Les engagements des entreprises en matière de non-discrimination et de diversité portés au plus haut niveau

Pour amplifier la portée des engagements en matière de non-discrimination et de diversité, il est proposé que le conseil s’assure que les dirigeants mettent en œuvre une politique en ce domaine, notamment en ce qui concerne la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des instances dirigeantes.

  • Le Haut Comité de gouvernement d’entreprise

Dans ce même esprit, il est proposé de faire évoluer le profil des dirigeants susceptibles de composer le HCGE (Haut comité de gouvernement d’entreprise) , dont il ne sera plus exigé qu’ils aient exercé des mandats exécutifs.

Enfin, précise le communiqué, « d’autres propositions convergent avec les recommandations formulées par l’AMF et par Mme Agnès Touraine et M. Stanislas Guérini dans le cadre de leur mission sur le « Partage de la valeur et engagement sociétal des entreprises » pour le futur projet de loi « PACTE ». »