Hommage / Bernard Giroux, débonnaire « apparatchik » du monde patronal

Bernard Giroux  nous a quittés le 3 décembre 2018. Ce fin connaisseur des arcanes du monde patronal – chargé des RP et de la communication du Conseil national du patronat français, ancêtre du Medef, puis du réseau des chambres de commerce & d’industrie françaises, CCIFrance – avait publié ses ‘mémoires’ en 2013 sous le titre « Medef – Confidences d’un apparatchik – De Ceyrac à Parisot, 25 ans chez les patrons »* – Consulendo avait rendu compte  à l’époque de son ouvrage. Nous republions, en guise d’hommage à cet amoureux de la presse, de larges extraits de ce compte rendu.

 

Bernad Giroux
(crédit photo : Xerfi Canal)

< Né en 1955, Bernard Giroux est entré au Conseil national du patronat français(CNPF), un peu par hasard en 1980, après des études à Sciences-Po et un DEA de droit public.

Il y est resté jusqu’en 2003, après avoir dirigé le service de presse de l’organisation patronale,  avant de rejoindre à cette date, comme dircom, la fédération des chambres de commerce et d’industrie françaises  (CCIFrance) jusqu’en 2012.

Il est décédé le 3 décembre 2018.

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Bernard Giroux a travaillé, au sein de l’organisation patronale pour cinq de ses présidents successifs : François Ceyrac, Yvon Gattaz, François Perigot, Jean Gandois et Ernest-Antoine Seillière. C’est à travers leurs portraits, croqués avec bonhommie mais sans révérence (auxquels il a ajouté le portrait « vu de l’extérieur » de Laurence Parisot), que Bernard Giroux nous fait découvrir les arcanes du patronat français.

Promu à la direction du service de presse du CNPF en 1989 (CNPF qui est devenu le Medef en 1998) l’auteur a bénéficié, selon ses propres termes, d’une « formidable plate-forme d’observation et d’action. »

Son livre « Medef – Confidences d’un apparatchik« *  nous apporte, en effet, un éclairage de première main sur les coulisses et les enjeux du « dialogue social» dans notre pays, euphémisme qui désigne les négociations tumultueuses syndicats-patronat. Il en décrypte les us et coutumes, les rituels parfois théâtralisés à dessein, les lourdeurs aussi, les contradictions, et ce goût excessif pour un « effroyable jargon technique », avec d’inévitables dérives technocratiques aboutissant à des usines à gaz réglementaires destinés à satisfaire la multiplicité des intérêts des uns et des autres … Sans oublier leur part d’ombre : tels les fonds « secrets » de l’UIMM et leur usage, que l’auteur ne passe pas sous silence.

Dans un style clair, direct, concret, empreint d’humour et cultivant l’autodérision à l’anglosaxonne, Bernard Giroux raconte, de l’intérieur, le fonctionnement d’une organisation mal connue et objet de beaucoup de fantasmes.

Son livre est émaillé d’une foule d’anecdotes, toujours savoureuses et souvent instructives. Comme cette révélation à propos du statut tant décrié des intermittents du spectacle dont la paternité échoit … à un haut dirigeant du CNPF dont l’épouse était costumière de théâtre !

Bernard Giroux consacre un long chapitre à Yvon Gattaz (le père de Pierre Gattaz qui a présidé le Medef de 2013 à 2018) dont l’accession (inattendue) à la tête du patronat, fin 1981, a correspondu à l’arrivée de la Gauche au pouvoir. Doté d’un talent certain pour la pédagogie (cet ingénieur-entrepreneur, fondateur de Radiall, était issu d’une famille d’enseignants), Yvon Gattaz a contribué à « l’éducation » économique du président Mitterrand dont les références en la matière se trouvaient plutôt du côté de Zola et de Balzac que de Schumpeter … Il réussit ainsi à obtenir que « l’outil de travail » fut exclu de l’assiette de l’impôt sur la fortune.

Il est à la fois intéressant (et décourageant) de lire que, déjà au début des années 80, les patrons ont dû monter au créneau face aux pouvoirs publics pour dénoncer « le poids écrasant des charges » handicapant leur compétitivité … Paradoxalement, c’est au cours de cette période de socialisme triomphant et de nouveaux acquis sociaux (Lois Auroux, reraite à 60 ans, cinquième semaine de congés payés …) que les Français se sont réconciliés avec l’esprit d’entreprise et le modèle de l’entrepreneur. La personnalité d’Yvon Gattaz et le patient travail d’influence des services du CNPF n’y sont pas étrangers.

Du Comité des forges au Medef

Bernard Giroux raconte ses débuts au CNPF en 1980 où il est recruté par une grande figure de la communication d’influence des années 70 et 80 : Michel Frois – surnommé « le colonel » – qui dirigeait alors la puissante direction de l’information de l’organisation patronale.

Nous publions avec son aimable autorisation un court extrait de son livre :

« C’est ainsi que je suis entré au cœur du patronat français. Cette rencontre avec Michel Frois allait déterminer ma carrière et me conduire à passer, excusez du peu, vingt-trois ans au CNPF, devenu Medef en 1998. Cette longue carrière m’a permis de connaître tous les coins et recoins de cette étrange maison. Lorsque j’ai quitté le Medef au printemps 2003, Sabine Syfuss-Arnaud m’a gentiment qualif é, dans un article de L’Expansion, de « mémoire de la maison ».

L’institution patronale, en effet, est à la fois connue et méconnue. Pour le Français lambda, le Medef est l’organisation qui, sous la coupe des grands patrons, négocie avec les syndicats, souvent à reculons. Point barre. En revanche, ses activités de lobbying, son rôle international ou dans les territoires sont ignorés. Est-ce une conséquence de l’esprit de lutte des classes qui prévaut toujours dans notre vie politique, économique et sociale ?

La vie de l’organisation patronale et son histoire n’intéressent guère les chercheurs. Autant les syndicats et le mouvement syndical ont donné lieu à d’innombrables ouvrages, souvent de qualité, autant l’histoire du patronat et des patrons, à l’exception de biographies de grands dirigeants, ne suscite guère l’intérêt.

Et pourtant, quelle histoire !

Le 17 juin 1791, de façon mal inspirée, la Convention vote la loi Le Chapelier. Ce texte interdit le droit de coalition et d’association, pour les ouvriers comme pour les patrons. Leurs « prétendus intérêts communs » sont dénoncés comme contraires aux droits individuels. Tous les groupements et associations de l’Ancien Régime sont dissous. Sous la Révolution, les corps intermédiaires n’auront pas droit de cité.

Aux racines du mouvement patronal…

Il faudra attendre la Restauration pour que se crée la première organisation patronale. Elle naît en 1821 à Paris, rue de la Sainte-Chapelle. Là se sont réunis des patrons charpentiers, maçons, paveurs, bientôt rejoints par des patrons des autres métiers du bâtiment. Cette première organisation patronale se donne un objectif d’entraide mutuelle. En revanche, pendant plusieurs dizaines d’années, tous les groupements qui apparaissent sur fond de révolution industrielle, depuis le Comité des filatures de Lille, en 1824, jusqu’au Comité des intérêts métallurgiques, en 1840, sans oublier, en 1835, le Comité des industriels de l’Est de Jules-Albert Schlumberger, ont pour objectif principal de résister aux politiques libre-échangistes de l’État, timides sous la monarchie de Juillet, triomphantes sous le Second Empire. On verra même, en 1849, un des premiers dirigeants patronaux, Auguste Mimerel, obtenir, au nom de l’Association pour la défense du travail national, que les produits étrangers soient exclus de l’Exposition industrielle de Paris.

En 1901, à l’initiative du Comité des forges, l’Union des industries métallurgiques et minières (UIMM) est créée. Cette organisation, à compétence principalement sociale, regroupe toutes les branches industrielles utilisant des métaux. Elle veille aux intérêts des entreprises face au syndicalisme et au socialisme naissant et préconise un État de plus en plus interventionniste.

Enfin, en 1919, les patrons français se dotent d’une organisation nationale interprofessionnelle avec la Confédération générale de la production française (CGPF), qui se transforme en 1936 en Confédération générale du patronat français et affi rme sa vocation d’être l’interlocuteur social des pouvoirs publics.

Au cours des vingt-trois années que j’ai passées dans le saint des saints, le petit suppôt du Grand Capital que j’étais a servi cinq présidents successifs : François Ceyrac, Yvon Gattaz, François Perigot, Jean Gandois et Ernest- Antoine Seillière. J’ai travaillé, en outre, auprès d’une trentaine de dirigeants de grande renommée – Yvon Chotard, Pierre Guillen, Jacques Dermagne, Arnaud Leenhardt, Didier Pineau-Valencienne, Guillaume Sarkozy, Denis Gautier-Sauvagnac et Denis Kessler, pour n’en citer que quelques-uns –, ainsi que d’anciens ou futurs ministres tels François-Xavier Ortoli, Michel Roussin ou Francis Mer.

J’ai côtoyé nombre des principaux dirigeants de grandes entreprises et de présidents de fédérations professionnelles, à partir d’une formidable plate-forme d’observation et d’action : la direction du service de presse du patronat, cabinet noir des patrons des patrons.

J’ai trottiné aux côtés de François Perigot et d’Ernest- Antoine Seillière dans des dizaines de pays étrangers, observateur attentif d’une mondialisation en gestation.

J’ai eu la chance, à Paris ou lors de déplacements, de croiser des dirigeants internationaux tels Lech Wałęsa, Alexander Dubček, Frederik de Klerk, Nelson Mandela, Abdelaziz Bouteflika, Shimon Peres, Hun Sen, Fidel Castro, Hosni Moubarak ou Vladimir Poutine…

Grâce à mon métier de relations avec la presse, j’ai noué des liens privilégiés, souvent amicaux, avec d’innombrables journalistes.

À l’occasion d’interminables séances de négociations, j’ai connu bien des responsables syndicaux. J’ai croisé nombre de femmes et d’hommes politiques et copiné avec certains de leurs collaborateurs de droite et de gauche. (…)
Enfin, évoluer en plein cœur de la machine patronale m’a permis de sillonner la France et de nombreux pays, de faire des rencontres et de vivre des moments insolites.

Les confidences, révélations, portraits et analyses que j’ai regroupés dans ces pages apporteront, je l’espère, un autre regard sur notre histoire économique et sociale récente. Puissent-ils faire mieux connaître une bien curieuse maison… Suivez le guide ! » Bernard Giroux

Curieux, affable, généreux, gourmand de la vie et de rencontres avec les autres, Bernard Giroux aura été un excellent médiateur du monde de l’entreprise. Il aura initié, avec compétence, bienveillance et non sans une bonne dose d’humour, plusieurs générations de journalistes aux arcanes et aux chausse-trapes de l’univers patronal.                                                   A sa famille et à ses proches, Consulendo transmet ses sincères condoléances.  J.G.

éditions de l’Archipel

 

 

* « Medef – Confidences d’un apparatchik – De Ceyrac à Parisot, 25 ans chez les patrons » – Editions de l’Archipel – 2013 – 185 pages.