Transmission d’entreprises
Il y a urgence!

L’Observatoire BPCE des Banques populaires s’alarme de la baisse des transmissions d’entreprises en France et du vieillissement des dirigeants de PME. L’institution considère qu’il y a « urgence économique » à préserver le tissu productif français.

 

Depuis 2011, l’Observatoire BPCE (fédération des Banques populaires) ausculte les cessions-transmissions des entreprises en France. Sa dernière étude publiée en mai 2019*,  s’alarme de la baisse des opérations de cession-transmission et confirme la tendance au vieillissement des dirigeants des PME. Pour l’Observatoire, il y a « urgence économique» à faire face au risque de «perte de compétitivité de notre tissu productif.»

 

crédit photo : Mikhail Nilov – Pexels

Les cessions-transmissions d’entreprises ont baissé d’un tiers en trois ans, passant de plus de 76 000 opérations en 2013 à moins de 51 000 en 2016, souligne BPCE l’Observatoire dans sa dernière étude. L’institution s’alarme de cette baisse ainsi que du vieillissement des dirigeants de PME, susceptible de dégrader notre tissu productif.

« L’effet délétère de la loi Hamon » …

Plusieurs facteurs expliqueraient ce recul des cessions-transmissions, dont le ralentissement de la croissance économique entre 2012 et 2015, mais aussi l’instabilité du cadre juridique et fiscal, avec en particulier « l’effet délétère » de la loi Hamon imposant une obligation d’information préalable du cédant auprès de ses salariés, perçue comme une « perte de confidentialité ».

Entrent aussi en jeu des facteurs plus profonds ou personnels, comme l’impréparation du cédant, la difficulté à être au four et au moulin, à gérer le quotidien de son affaire et à prospecter de futurs repreneurs, l’accès aux bonnes informations, aux conseils appropriés… Mais aussi des explications à chercher dans la psychologie du cédant potentiel : comme devoir rompre le « cordon ombilical » avec sa création ; la crainte de perdre un statut social valorisant une fois son entreprise vendue… Le contexte familial (dissensions, tiraillements…) et les enjeux patrimoniaux sont aussi des facteurs explicatifs…

« Le dirigeant cherche souvent autant un repreneur idéal qui correspond à un schéma préétabli qu’un acheteur solvable, une double quête parfois sans fin ! », notent les auteurs de l’étude.

Une cession sur cinq est une transmission au sein de la famille

Cependant, la transmission familiale tient bon : Avec plus de 10 000 cessions intrafamiliales par an, elle est la seule modalité qui n’ait pas reculé sur la période étudiée. Pour les PME et ETI, elle aura constitué 22% des cessions en 2016, contre moins de 17% en 2013.

Cette dynamique est particulièrement favorable pour les petites entités qui étaient en retard sur les entreprises moyennes auparavant. Un bémol toutefois, la transmission familiale est en net recul pour les entreprises de plus de 100 salariés depuis 2014, « signe potentiel d’une plus grande difficulté à assurer la pérennité d’un capitalisme familial en France », commentent les auteurs de l’étude.

« La vitalité de la transmission familiale n’est toutefois pas généralisée. Elle dissimule deux tendances opposées : cette pratique s’est diffusée parmi les petites entreprises mais a nettement reflué parmi les entités de taille plus importante, notamment pour les entreprises de 100 à 249 salariés et pour les ETI« , commente l’expert en entrepreneuriat André Letowski dans sa lettre mensuelle. En effet le pourcentage des cessions tombe à 12% pour les entreprises familiales de 50 à 249 salariés contre 25,8% pour les entreprises de 10 à 49 salariés.

Pour  André Letowski, la vitalité de la transmission familiale s’illustre « dans ses bastions sectoriels traditionnels (le commerce de détail, la construction, le transport et l’industrie agro-alimentaire), avec un quart des opérations en 2015-2016), alors qu’elle reste marginale dans les services aux entreprises. L’hôtellerie-restauration est toujours un peu moins sensible que la moyenne à cette pratique mais deux catégories d’activités semblent avoir connu des évolutions significatives entre 2013 et 2016, les services aux particuliers et le secteur santé-éducation (28% des opérations totales en 2016). La fréquence de la transmission familiale a plutôt reculé dans l’industrie. »

Alain Tourdjman, directeur des études et de la prospective, groupe BPCE

>Alain Tourdjman, directeur des études et de la prospective du groupe BPCE, évoque plusieurs facteurs pour expliquer la baisse de l’option transmission familiale dans les grosses PME : l’offre des fonds d’investissement qui ciblent ce type d’entreprises à potentiel et qui constituent donc pour le cédant une option alternative attrayante, de même que la cession à des concurrents ; mais aussi des facteurs intrinsèques, comme la difficulté à trouver au sein de la famille un repreneur ayant à la fois les compétences managériales et l’appétence à diriger l’entreprise, ou encore la réticence des actionnaires familiaux à déléguer la gestion à un manager extérieur…

Notons que la transmission familiale est beaucoup plus pratiquée en Allemagne et en Italie…

« Le sous-investissement dans une part croissante des PME pourrait avoir un impact macro-économique de perte de compétitivité de notre tissu productif… »

Les opportunités de céder diminuent avec l’âge du dirigeant

28 % des dirigeants de PME et ETI ayant cédé leur entreprise en 2016 étaient âgés de 60 ans ou plus.

L’Observatoire BPCE s’alarme du vieillissement des dirigeants de PME, car les opportunités de cessions diminuent avec l’âge du capitaine. 20,5 % des dirigeants de PME et d’ETI étaient âgés de 60 ans ou plus en France en 2016, alors que leur proportion était de moins de 15% en 2013.

L’industrie (hors industries agroalimentaire) cumule, souligne l’étude BPCE, une accélération du vieillissement des dirigeants et une très forte baisse du taux de cession après 60 ans.

Pour André Letowski, « faute de possibilité de cession, les patrons de PME pourraient, comme c’est souvent le cas pour les TPE de moins de cinq salariés, privilégier une cessation pure et simple de leur activité, ou tout autant rester à la barre de leur entreprise malgré l’avancement en âge. »

C’est pourquoi, aux yeux des auteurs de l’étude, le renouvellement démographique du tissu de PME en France devrait être considéré comme « une urgence économique » .

« Le vieillissement des dirigeants des PME devient une urgence économique. »

 

« A l’horizon de 2021, plus de 23 % des dirigeants de PME et ETI devraient dépasser 60 ans et plus de 10% dépasser 65 ans. Or, la probabilité de cession décroît nettement après 65 ans.

Ce phénomène a deux types de conséquences:

  • D’une part, il existe un risque de gonflement d’un stock d’entités en vente mais de moins en moins innovantes.
  • D’autre part, le sous-investissement frappant une part croissante des PME pourrait avoir un impact macro-économique de perte de compétitivité de notre tissu productif. »

 

On sait que lorsqu’un dirigeant âgé repousse le moment de la cession, il aura tendance à limiter ses engagements, à réduire les investissements et les innovations dans son entreprise, et à se focaliser sur l’optimisation de son patrimoine privé. Il s’ensuit de facto une dévalorisation de l’outil industriel : ceci conduit, alertent les auteurs de l’étude, à « progressivement éroder, voire à faire disparaître la valeur de l’entreprise ; sa cession peut alors être compromise par le désintérêt des repreneurs potentiels mais aussi par l’abaissement de leur offre de prix à un niveau jugé inacceptable pour le cédant. »

Il paraît donc urgent de mobiliser l’écosystème entrepreneurial autour de cet enjeu national de la transmission, tout aussi stratégique que celui de la création ou celui de la croissance des PME, afin de renforcer les relais, les dispositifs d’information, de conseils et de mise en relation pour les cédants comme pour les repreneurs potentiels.

 

BPCE L’Observatoire évalue à 100 000 le nombre de cessions-transmissions de PME et ETI dans l’Union européenne en 2016. 10 millions d’emplois seraient concernés par ces opérations de cessions-transmissions en Europe chaque année…

*Méthodologie de l’étude BPCE L’Observatoire :

Le périmètre de cette étude correspond aux entreprises de métropole et des DOM du secteur privé marchand hors secteurs agricole, financier et assurantiel, qui ont eu dans l’année entre 10 et 4999 salariés, soit 213 725 unités, dont 5 028 ETI (de 250 à 4 999 salariés) et 208 697 PME (de 10 à 249 salariés). Les personnes morales à caractère public ou parapublic, civil, coopératif, mutualiste, associatif ainsi que les GIE en sont exclus. Ne sont pas non plus prises en compte les cessions par holding, ni les changements de dirigeant-actionnaire pour les TPE, ni les transmissions familiales chez les artisans-commerçants. Pour les TPE (moins de 10 salariés) seules les structures sous forme de société commerciale ont été prises en compte.

 

Le Pacte Dutreil « aménagé » 

La Loi PACTE adoptée par le Parlement en avril 2019, prévoit des améliorations aux conditions de cession-transmission des entreprises. En outre, le projet de loi de Finances(PLF) 2019 dispose que le « pacte Dutreil », qui assure la pérennité d’une activité sous le contrôle d’un noyau dur d’actionnaires, est aménagé : maintien d’une exonération partielle des droits de mutation en cas de cession entre héritiers ou donataires, assouplissement des modalités d’apport à une holding en cours d’engagement, suppression de l’obligation de déclaration administrative annuelle. Par ailleurs, les seuils de détention dans l’entreprise transmise sont abaissés : dans les sociétés cotées, passant de 20 % des droits financiers et des droits de vote à 10 % des droits financiers et 20 % des droits de vote ; dans les sociétés non cotées, passant de 34 % des droits financiers et des droits de vote à 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote.

ETI – A l’occasion de ses 10 ans, en novembre 2018, le mouvement des entreprises de taille intermédiaire, METI, avait interpellé les pouvoirs publics sur le sujet de la transmission des PME de croissance et des ETI:  « La France demeure en net décalage par rapport à ses voisins européens. Il faut compter entre 6 et 10 ans cumulés de bénéfices d’une ETI pour couvrir le coût de la transmission. Ce surcoût n’existe chez aucun de nos voisins européens. C’est pourquoi le METI a proposé, dans les débats du PLF 2019, un « PACTE DE TRÈS LONG TERME » visant à aligner la France sur la moyenne européenne en matière de coût de la transmission (5% de la valeur de l’entreprise en moyenne UE). A propos de ce « Pacte de très long terme », Frédéric COIRIER, président du directoire du groupe POUJOULAT et co-président du METI considère que « c’est l’outil qui permettra de reconstituer un actionnariat français de long terme. Sans long terme, pas d’usine, pas d’emploi, ni de croissance durables ».

 

* * *« La transmission intra-familiale , de l’intention à la réalité : la perspective de la nouvelle génération » * * *

The Family Business Network – FBN France a publié en 2018 une étude, intitulée « La transmission intra familiale : de l’intention à la réalité ». Fruit de deux ans de recherche, cette étude a été coordonnée par Rania Labaki, membre du Conseil Scientifique du FBN France, professeur associé en entreprise familiale et directrice de l’EDHEC Family Business Centre.

Cette étude s’appuie sur une démarche prospective pour favoriser la transmission et la pérennité des entreprises. Elle analyse notamment le point de vue et les attentes des nouvelles générations : comment perçoivent-elles la transmission ? Comment les impliquer et de quelle(s) manière(s) souhaitent-elles s’impliquer ? Quels freins et quels moteurs dans l’envie de succéder ? Quels sont les repères et modèles sociaux de la génération à venir ? En quoi sont-ils différents des générations précédentes et quel impact sur l’entreprise familiale de demain ? A quels enjeux les nouvelles générations sont-elles confrontées (sociétaux, familiaux mais aussi personnels) ? Comment concilier aspirations personnelles et avenir de l’entreprise ? Comment acquérir la légitimé auprès de la famille et des acteurs de l’entreprise ?