Oh, les beaux jours de la création d’entreprises!

Dans la morosité diffuse de l’agitation sociale, la belle envolée des chiffres de la création d’entreprises nous fait rêver d’une France intrépide, inventive et qui ose! Si l’entrepreneuriat n’est pas la panacée aux maux profonds dont souffre notre pays, il montre un chemin vertueux vers une économie plus dynamique, moins bureaucratique, à visage humain, et en phase avec les aspirations du terrain.

 

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En 2019, le nombre total des créations d’entreprises en France a battu tous les records avec 815 300 créations recensées par l’Insee, soit une augmentation de 18 % de plus qu’en 2018.

La hausse des immatriculations concerne tous les différentes statuts d’entreprises, mais c’est chez les micro-entrepreneurs (ex-auto-entrepreneurs) qu’elle est la plus forte : + 25% !

C’est la consécration du régime de « l’auto-entrepreneur »  dix ans après son entrée en vigueur en janvier 2009, et malgré des ajustements, révisions et même  son changement de nom en « micro-entreprise »

On rappellera que ce sont principalement les créations de ces « micro-entreprises « , ajoutées aux créations d’entreprises individuelles qui ont fortement gonflé le flux des nouveaux entrepreneurs, puisque on est passé d’environ 250 000 immatriculations au début des années 2000 à 580 000 en 2009 et à plus e 800 000 aujourd’hui.

Ce qui devrait focaliser l’attention  des observateurs c’est que les créations sous forme de « vraies » sociétés se maintiennent autour de l’étiage de 200 000 unités par an.  218 000 ont été  immatriculées en 2019 (en hausse de + 9% – jusqu’au début des années 2000, la création de sociétés se situait autour de 180 000 par an)

Ces entreprises sous la forme de sociétés ne représentent donc qu’environ un tiers des créations enregistrées… Or ce sont ces entreprises qui ont le plus grand potentiel de développement et de création d’emplois. Ne serait-ce que par le fait qu’elles démarrent avec un capital plus important.

 

Et l’Insee souligne qu’au sein des nouvelles sociétés créées, le choix de la SAS (société par actions simplifiée) s’impose avec 63 % du parc (61 % en 2018). Avec notamment une prédilection pour la SASU (SAS à associé unique ou unipersonnelle) souvent utilisée par des professionnels indépendants qui ont préféré ce statut à celui de libéral car il leur permet de se salarier.

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Peu d’entreprises créées passeront le cap des 50 salariés ou deviendront des ETI…

C’est notre talon d’Achille! L’entrepreneuriat est certes dynamique en France. Mais la faiblesses de notre tissu d’entreprises, tient à ce qu’un tout petit nombre de ces nouvelles unités productives franchira le seuil des 50 ou des 100 salariés. Et à peine une poignée d’entre elles deviendront des ETI (entreprises de taille intermédiaire, les véritables locomotives de notre économie employant de 250 à 5000 salariés.

Ces ETI procurent 25 % des emplois privés et contribuent à 34% des exportations françaises. Mais on en dénombre à peine plus  que 5000, alors que l’Allemagne en compte plus de 12500, la GB 10 000 ou l’Italie 8000…

Créer son propre emploi avant d’en créer pour les autres…

 

Autre caractéristique remarquable de cette radioscopie de l’entrepreneuriat : ces nouvelles entreprises n’emploient qu’un nombre limité de personnes.

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95% de ces nouveaux entrepreneurs n’emploient … qu’eux-mêmes! * C’est déjà pas si mal, me direz-vous.

D’ailleurs, les Britanniques, eux,  ont trouvé le mot juste pour désigner leurs « auto-entrepreneurs » : ils les appellent des « Self-Employed ».

C’est là où l’on se rend compte que le mot entrepreneur, mis à toutes les sauces, cache en réalité deux profils distincts de personnes.

 

Il faut distinguer, en effet, celui qui veut créer une entreprise – entre -prendre  – donc éventuellement s’associer, embaucher, se développer…  et celui qui a envie d’être indépendant, c’est à dire d’exercer son métier avec un autre statut que celui de salarié. Et qui n’envisage pas du tout d’embaucher et qui probablement n’embauchera jamais…

Ce sont des profils entrepreneuriaux très différents, avec des motivations, des projets professionnels ou des projets de vie qui diffèrent. Et les uns ne sont pas plus dignes d’intérêt que les autres. Ils sont très différents!

Les réseaux et dispositifs d’accompagnement à l’entrepreneuriat doivent prendre en égale considération ces deux catégories, sous peine de rater leur cible.

* En excluant les micro-entrepreneurs, précise l’Insee, la part des entreprises employeuses à la création s’établit à 5 %  du total, en baisse par rapport à 2018 (6 %) et 2017 (7 %). Hors micro-entrepreneurs, les nouvelles entreprises sont le plus souvent des employeuses dans l’hébergement et la restauration (12 %), la construction (8 %), les autres services aux ménages et le commerce (5 %), c’est-à-dire des secteurs où il est difficile d’exercer tout seul…

Une transformation socioculturelle dans un pays attaché aux « statuts »

Il est intéressant de relever que ce record de création d’activités intervient alors que le chômage baisse dans notre pays.

Habituellement, le nombre des créations augmente lorsqu’il y a davantage de chômeurs sur le marché et que certains d’entre eux se décident à créer leur propre emploi plutôt que de dépendre du bon vouloir d’un hypothétique employeur.

Le dynamisme des créations d’entreprises confirme que les mentalités changent. Que l’entrepreneuriat est désormais perçu comme une option « normale » dans un parcours professionnel et non plus comme une exception réservée à des personnalités hors du commun

 

L’entrepreneuriat devient un choix de vie,  peut-être la dernière aventure qu’on a la liberté de tenter dans un monde de plus en plus normé, formaté, contraint et inquiétant…

 

 

L’engouement pour l’entrepreneuriat révèle ce besoin profond d’autonomie, d’épanouissement dans le faire plutôt que dans la recherche d’un statut social prestigieux  tel que le représentait naguère l’obtention d’un contrat de cadre dans un grand groupe public ou privé.

Des grandes écoles conçues pour former ceux que l’on présentait comme les grands serviteurs de la Nation, telles Polytechnique ou HEC, voient désormais une bonne  partie de leurs promotions se lancer dans la création d’entreprises et de start-up avant même de chercher une « bonne situation » de salarié…

30% des Français se rêvent en créateurs d’entreprise

Année après année, études  et sondages confirment qu’une part importante des Français ont envie de « se mettre à leur compte » ou de « créer leur boîte ».

Ainsi le dernier baromètre Opinion Way publié à l’occasion du Salon des Entrepreneurs 2020 (5 & 6 février), fait apparaître que 29% des Français sondés ont « envie de créer une entreprise, d’en reprendre une ou de se mettre à leur compte ».  Un pourcentage conforme au niveau obtenu à chaque vague de sondage depuis vingt ans (exception faite du pic inhabituel observé en 2016 à 37%).

Année, après année, 30% des Français se rêvent en créateurs d’entreprise, mais ce qui est remarquable c’est que pour le jeunes cette envie est exprimée par 49% des sondés (tranche de 18 à 34 ans), près de un sur deux. Certes tous ne passeront pas à l’acte. Mais ce rêve, c’est l’étoile qui guidera leur pas dans leur parcours professionnel…

En croisant les différents résultats du sondage, les analystes d’Opinion Way en déduisent que le vivier potentiel des créateurs d’entreprise est de 3,6 millions de Français prêts à se lancer, ceux qui « ont muri leur projet d’entreprise et souhaitent le créer dans les deux ans à venir ».

Quête d’autonomie et panachage de différents statuts

Dans le monde du travail, on sent monter depuis des décennies un besoin de davantage d’autonomie, de moins de hiérarchie, de plus d’initiative, besoin qui ne parvient pas à s’épanouir dans les grandes entreprises, malgré les évolutions managériales, et qui trouvera un exutoire dans l’entrepreneuriat.

On observe aussi que les parcours professionnels sont beaucoup moins linéaires et « programmés » qu’au siècle précédent. Une plus grande polyvalence caractérise la vie professionnelle, avec l‘enchaînement ou la combinaison de différents statuts : salariat, auto-entreprise, portage salarial, intérim, création à plusieurs d’une entreprises, salarié et actionnaire, congé de reconversion…

Ce besoin d’autonomie est confirmé par un sondage Ifop réalisé pour la plateforme Freelance.com : une personne interrogée sur trois se déclare intéressée par le travail en indépendant. Et plus de la moitié des sondés sont séduits par la liberté octroyée par le statut de freelance, notamment en matière d’organisation du temps de travail, du choix des missions, de l’intérêt pour les sujets traités et aussi pour l’absence de hiérarchie.

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Je crois que nous devons nous  réjouir de telles évolutions. Elle sont positives car elles sont capables de générer davantage de richesses, de libérer davantage d’énergies positives, d’innovation, d’initiatives de terrain et mieux répondre aux aspirations d’un nombre croissant de citoyens.

 

Je le crois aussi parce que l’entreprise indépendante, l’entreprise à taille humaine, l’entreprise-projet commun, par opposition à l’entreprise « spéculative », est la mieux à même de répondre aux immenses défis que posent les enjeux environnementaux et planétaires de notre temps.

Il faut cependant que l’environnement politique, social, juridique, réglementaire et culturel soit propice à cette transformation en profondeur de la vie active, dans un pays où le Graal a longtemps été le CDI dans un grand groupe…

Alors, demain « tous entrepreneurs? »

Ne rêvons pas. Ne soyons pas trop naïfs! Tout le monde n’a pas la vocation de devenir entrepreneur. Car il faut des qualités, un caractère, une personnalité spécifiques, que tout le monde n’a pas.

Mais beaucoup de personnes seraient plus performantes et plus épanouies dans leur travail si elles avaient la possibilité d’exercer leur métier en indépendant. Surtout si elles avaient l’assurance que leur nouveau statut ne serait pas très pénalisant, notamment en terme de couverture sociale, par rapport à celui d’un salarié « classique ».

Un entrepreneur accompagné en vaut deux!

Il faut enfin rappeler qu’une nouvelle entreprise sur deux ne passera pas le cap de la cinquième année.  Le foisonnement de l’entrepreneuriat va de pair avec une forte mortalité des entreprises.

C’est pourquoi, les porteurs de projets, les aspirants créateurs ont tout intérêt à être « accompagnés », en amont et en aval, dans leur démarche.

Répétons le, trop peu parmi les centaines de milliers de créateurs qui se lancent dans l’aventure sont accompagnés, que ce soit par un réseau, un organisme dédié, un coach, un mentor, un partenaire privé ou associatif…

Or notre pays est riche d’une multitude de dispositifs, programmes, réseaux et de professionnels de l’accompagnement à la création. Peut-être encore insuffisamment connus, malgré les nombreux salons qui fleurissent depuis une  trentaine d’années, à Paris et en régions, sur ce créneau.

C’est sans doute la prochain grand défi de notre écosystème entrepreneurial : faire en sorte que chaque futur créateur puisse trouver son « accompagnateur »!

J.G.

FNPAE – 2020