Le groupe de restauration Bertrand souscrit le premier crédit à « impact social »

Une première dans le monde de la finance européenne! Des investisseurs privés accordent un crédit assorti d’une conditionnalité sociale. Pour bénéficier des 40 millions d’euros prêtés par le nouveau fonds Eiffel Impact Debt, le Groupe Bertrand s’engage à créer 3 500 emplois, essentiellement en CDI, pendant la durée du financement.

 

C’est dans le salon où furent signés les fameux « Accords de Grenelle » en mai 68, au ministère du Travail,  que le premier crédit privé « à impact » social a été officiellement octroyé le 28 janvier 2020 au groupe de restauration Bertrand.

Tout un symbole! D’autant que ce financement privé, accordé à un groupe privé par un pool d’investisseurs, a été dévoilé en présence de la ministre du Travail Muriel Pénicaud.

Olivier Bertrand, Pdg du Groupe Bertrand et Muriel Pénicaud, ministre du Travail, le 28 janvier 2020

Leader dans son secteur, le groupe indépendant fondé par Olivier Bertrand en 1997 et qu’il préside toujours, compte un millier de restaurants, sous des enseignes connues comme  Au Bureau, Quick, Hippopotamus, Volfoni, Angelina, des brasseries parisiennes comme L’Alsace, La Lorraine, Le Procope…

Le groupe qui s’est surtout développé par rachats successifs détient la master-franchise pour la France de Burger King et a racheté en juillet dernier les 82 restaurants sous l’enseigne Léon de Bruxelles. Le groupe Bertrand emploie quelque 31 000 collaborateurs et procède à quelque 5 000 embauches par an.

Pour bénéficier du concours de 40 millions d’euros du nouveau fonds Eiffel Impact Debt, lui permettant de financer sa croissance, le groupe d’Olivier Bertrand a accepté des conditions « extra-financières » (« covenants » en anglais des affaires) contraignantes dans la gestion de ses ressources humaines. A savoir:

  • générer au moins 3 500 créations nettes d’emplois en France sur la durée du financement ;
  • maintenir un taux de contrats à durée indéterminée dans les effectifs d’au moins 94% pendant la durée du financement dans les restaurants gérés par Bertrand Développement ;
  • maintenir un taux de contrats à durée indéterminée parmi les nouveaux emplois créés d’au moins 95% pendant la durée du financement (sept ans).

En respectant ces obligations, le groupe de restauration pourra ainsi  moduler le taux de crédit de ce concours financier « à impact social ».

 

Olivier Bertrand au ministère du Travail, le 28 janvier 2020, entouré de la ministre Muriel Pénicaud et des investisseurs du fonds Eiffel Impact Debt

Eiffel Investment Group, à l’initiative du fonds Eiffel Impact Debt, apporte la moitié des 40 millions d’euros prêtés au Groupe Bertrand, le reste étant fourni par la Banque Postale Asset Management, Schelcher Prince Gestion (groupe Arkea), Céréa Gestion et AG2R La Mondiale à travers un fonds dédié.

C’est la première fois en Europe qu’un fonds de dette privée assortit son crédit d’une conditionnalité « extra-financière » :  appelés « covenants d’impact », ces engagements à portée sociale ou sociétale, viennent compléter les classiques « covenants » financiers.

« L’idée, explique le Groupe Eiffel dans un communiqué, est née du constat que les prêteurs ne peuvent généralement agir qu’en amont de leurs investissements, en excluant de « mauvais » investissements, sans pouvoir contrôler la trajectoire ESG ( critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, NDLR) des sociétés financées dans la durée. »

Il est intéressant que le premier bénéficiaire du Fonds soit une entreprise de la « vieille » économie, dans un secteur souvent suspecté de ne pas être à la pointe du progrès social (on se souvient de la polémique suscitée il y a quelques années par la baisse de la TVA sur l’activité des restaurants). Cependant, la restauration est créatrice d’emplois et de nombreuses entreprises rencontrent des difficultés à attirer et à recruter les compétences dont elles ont besoin.

100 nouveaux restaurants, notamment en franchise

Un restaurant  Au Bureau , une des nombreuses enseignes du Groupe Bertrand

Le groupe d’Olivier Bertrand  se dit très sensible à ces « enjeux d’emploi » et veut favoriser « l’ascenseur social » en interne.  Le groupe aux 1000 restaurants sous plusieurs enseignes, ne cesse d’élargir son périmètre d’activité. Il envisage l’ouverture d’une centaine de nouveaux restaurants dans les cinq ans, notamment via la franchise. Avec de 25 à 90 embauches à la clé dans chaque restaurant.

Olivier Bertrand souhaite d’ailleurs recruter de futurs franchisés parmi les salariés de ses restaurants. Il se plait à citer le cas d’une hôtesse d’accueil devenue avec succès une de ses nouveaux franchisés…

Après cette première opération avec le groupe de restauration, le fonds Eiffel Impact Debt se donne pour objectif de financer, seul ou en commun avec d’autres investisseurs,  20 à 25 entreprises, notamment des ETI,  dans les deux à trois prochaines années, avec des concours d’un montant de 10 M€ à 100 M€ chacun,

En s’engageant dans un programme social,

l’entreprise fait baisser le coût du crédit obtenu

 

La conditionnalité de ces prêts – le « covenant d’Impact »,est choisie en accord avec les dirigeants de l’entreprise financée, en fonction « d’axes spécifiques de progrès particulièrement pertinents pour l’emprunteur« , tels que la création d’emplois à l’horizon du financement,  la réduction du bilan carbone, un plan de formation, des programmes d' »inclusion »…

Le respect d’un « covenant d’Impact » est incitatif pour l’entreprise, puisqu’il permet moduler le coût du financement, soulignent les responsables du Fonds.

Des financiers acteurs de la transformation du capitalisme…

La ministre du Travail Muriel Pénicaud, s’est félicité du lancement de ce nouveau Fonds, en déclarant sa conviction que « la finance a un rôle clef à jouer pour organiser un capitalisme durable. Les grands investisseurs financiers constituent un levier puissant » (de transformation).

La ministre a d’ailleurs confié qu’elle avait réuni, à la faveur du Forum de Davos en janvier, des financiers pour les sensibiliser à l’impact social de leur activité.

Les propos de Muriel Pénicaud rejoignent le plaidoyer régulièrement porté par son collègue de l’Economie, Bruno Le Maire, en faveur d’un « nouveau capitalisme », un « capitalisme qui réduise les inégalités et qui garantisse à chacun un niveau de salaire décent de par son travail » (…) Pour le ministre, « ce capitalisme durable » n’oppose pas emploi et défense de l’environnement,  il concilie performance économique et progrès social…

La création de ce Fonds « à impact » s’inscrit dans le sillage de la finance éthique et de l’investissement socialement responsable (ISR), des pratiques qui tracent leur chemin depuis des décennie, notamment dans les pays anglo-saxons, sous l’inspiration des valeurs protestantes.

Pour l’heure, ces initiatives louables ne représentent qu’un petit pourcentage des activités de la finance internationale, laquelle opère plus classiquement sur un mode spéculatif. Mais elles ont vocation à se développer, notamment sous la pression des acteurs de l’entreprise et de citoyens de plus en plus sensibles aux enjeux sociaux et environnementaux dans l’économie.

On relèvera toutefois une contradiction dans la communication de ce nouveau Fonds à « impact ». Alors qu’il conditionne l’octroi des ses concours financiers au progrès social ou sociétal de l’emprunteur , il proclame dans le même temps,  « placer le risque d’impact au même niveau que le risque financier ». Or, en l’occurrence, si l’emprunteur ne respecte pas ses engagements extra-financiers, le créancier ne court pas vraiment de risque puisque le débiteur devra payer son prêt avec un taux plus élevé, ce qui est tout bénéfice pour les bailleurs de fonds.

 

* * * A propos du fonds Eiffel Impact Debt * * *

Le fonds Eiffel Impact Debt a déjà recueilli 250 millions d’euros d’engagements, de la part de dix grands investisseurs institutionnels français et européens, tels qu’ AG2R La Mondiale, Aviva France, L’Auxiliaire, Groupama, Harmonie Mutuelle, Macif, Maif, Natixis Assurances, Securex et Suravenir.
Ce premier Fonds devrait être complété par d’autres engagements pour atteindre une taille cible de 400 à 500 M€, d’ici la fin de l’année 2020, annonce le groupe Eiffel Investment
Spécialisé dans le financement des entreprises, Eiffel Investment Group, à l’initiative du nouveau fonds, gère plus de deux milliards d’euros. Il propose une gamme de concours financiers en dettes et en fonds propres, privés et cotés. Le groupe, qui dispose de fonds propres importants, est une société indépendante, détenue par son équipe aux côtés d’Impala.