#LEMONDED’APRÈS (I)
Tendances et changements à venir dans l’économie et les entreprises

Le « monde d’après-Covid-19 » sera-t-il différent de celui d’avant? Personnalités, Think-Tanks, associations, partis, observatoires… ébauchent la société idéale qu’ils voudraient voir émerger de la crise sanitaire. L’expérience montre que les transformations ne « tombent pas d’en haut » : elles sont la résultante d’interactions complexes entre les différents acteurs de la société et forces en présence, avec des résultats souvent inattendus… Parmi les tendances et pistes pour le futur, Consulendo a sélectionné quelques thématiques pour nourrir la réflexion et éclairer le débat.

 

 

crédit photo: Gerd Altmann – Pixabay

 L’ÉPIDÉMIE DU CORONAVIRUS CONDAMNE-T-ELLE LE CAPITALISME?

 

Déjà, la crise financière internationale de 2008-2009 avait suscité une avalanche de prédictions apocalyptiques sur la fin du capitalisme.  Ce sont surtout les excès d’un capitalisme spéculatif que la crise des « Subprimes » partie des Etats-Unis, avait mis en accusation. Même si des correctifs ont été apportés depuis, notamment en matière de règles « prudentielles », force est de constater que les opérations spéculatives existent toujours, profitant de la globalisation des marchés boursiers et des législations « accommodantes » de certains États, certes minoritaires.

Le capitalisme est un système économique multiforme, en constante reconfiguration, au point qu’il est bien difficile d’en donner une définition unique… Chacun, selon ses opinions, projette dans ce « mot-valise » ses propres perceptions, conceptions et fantasmes.

Denis Kessler, économiste et dirigeant d’entreprise, compare le capitalisme à un phénix qui renaît en permanence de ses cendres et loue sa capacité à « s’auto-réguler » : « Les crises permettent, in fine, de relancer le système. »

On remarquera d’abord que l’origine de la crise actuelle n’est pas imputable au fonctionnement de l’économie capitaliste. L’épidémie est née en Chine, un pays autoritaire et centralisé qui se réclame toujours de l’idéologie communiste et pratique une sorte de « capitalisme d’État » qui a peu de chose à voir avec les lois de l’économie de marché.

« Ce virus n’est ni capitaliste, ni libéral! Il est universel« , lance Henri de Castries, ex-PDG d’Axa, président de l’Institut Montaigne, dans un entretien au Figaro. Soulignant la capacité d’adaptation est de transformation des entreprises face aux défis sanitaires et environnementaux, le dirigeant est convaincu que « le capitalisme se réinvente sous nos yeux. J »espère, poursuit-il, que l’État et les organisations syndicales sauront le faire aussi (…) avec la même ambition réformatrice sans poursuivre les chimères d’hier ou d’avant-hier. » (*)

Un capitalisme « régulé »

En réalité, nulle part le capitalisme ne fonctionne à « l’état pur ». Il doit se conformer à un cadre législatif et réglementaire, au plan national et international, un cadre qui n’a fait que se densifier depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et la création des grandes organisations de « gouvernance » multilatérale comme le FMI et le GATT (l’OMC aujourd’hui).

Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie et des finances, plaide régulièrement pour un « nouveau capitalisme » qui « réduise les inégalités et garantisse à chacun un revenu décent par le travail. »

Ce « nouveau capitalisme », argumente le ministre,  doit aussi garantir un « meilleur partage de la valeur entre capital et travail », via l’intéressement ainsi que l’encourage la loi PACTE.

Mais la crise sanitaire a aussi fait ressortir un énorme besoin de capitaux pour venir en soutien des activités arrêtées par les pouvoirs publics.

Nous avons besoin d’un « secteur financier solide », reconnaît  Bruno Le Maire dans un court essai publié en mai 2020 dans la collection Tracts de Gallimard et intitulé « Vouloir une économie pour la France »:  « Cest un atout décisif pour faire face à l’effondrement de l’activité réelle. Ni amie, ni ennemie, la finance est tout simplement vitale. Sans la force de frappe de notre réseau bancaire, privé ou public, nous aurions été incapables d’apporter aux centaines de milliers de TPE et de PME la trésorerie dont elles ont besoin. »

A la faveur de la crise du Covid-19, la France a soudainement retrouvé son addiction pour « l’économie administrée ».  Ainsi le ministre de l’Économie et des finances a-t-il demandé aux sociétés cotées en Bourse de renoncer à distribuer des dividendes à leurs actionnaires, dès lors qu’elles bénéficiaient de soutiens publics (chômage partiel, prêts bonifiés ou reports d’emprunts)…

C’est une revendication portée par les associations anticapitalistes et altermondialistes qui diabolisent les grands groupes multinationaux et leurs pratiques « d’optimisation fiscale ».

Dissuader la distribution de dividendes aux actionnaires, voilà typiquement une restriction apportée par les pouvoirs publics au fonctionnement « normal » du capitalisme, et donc la preuve que ce système est désormais encadré et régulé, du moins dans les social-démocraties. Le dividende rémunère le risque pris par les actionnaires qui apportent leurs capitaux à une entreprise qui est susceptible de faire faillite; auquel cas les actionnaires perdent leur mise… De la même façon que le taux d’intérêt sert à rémunérer les prêteurs d’argent.

Besoin croissant de capitaux

Du fait de la crise sanitaire, les pouvoirs publics comme les entreprises ont encore plus besoin de mobiliser massivement des capitaux : à la fois pour combler leurs déficits de trésorerie (baisse ou arrêt de l’activité), pour s’adapter, se reconvertir, investir… Il faut bien qu’il existe en face de ces besoins des « bailleurs de fonds », des apporteurs de capitaux!

  • La logistique, l’industrie pharmaceutique, la production de masques, de blouses, de gel hydroalcoolique, de respirateurs,  de matériel médical, de produits d’hygiène, de médicaments, de vaccins…  ce sont autant d’activités à forte intensité capitalistique dont nous avons tous mesuré le caractère stratégique pendant cette crise du Covid-19.
  • Aucun État n’est en capacité de se substituer efficacement à la chaîne d’entreprises, de sous-traitants/co-traitants pour produire tous ces biens essentiels et les acheminer rapidement en tous points d’un territoire…

 

L’avocat Patrick Simon, dans une note de  l’IREF (Institut de recherches économiques et fiscales) le rappelle : « C’est à l’économie de marché que nous devons la plupart des grands progrès dans le domaine médical (antibiotiques, pénicilline, etc.) : un chercheur est à l’origine d’une découverte, un capitaliste l’exploite avec profit. Ces découvertes ont permis de guérir des maladies (par exemple la tuberculose, la variole, la rougeole, la coqueluche et plus récemment, le sida). Le remède viendra de l’industrie médicale, fruit de la mondialisation. C’est pourquoi il est absurde de prétendre, comme certains le font, que c’est la mondialisation qui est responsable du fléau. Ce n’est pas en clouant les avions au sol qu’on réglera le problème, mais en trouvant un remède. »

Quant au philosophe Luc Ferry, il clame dans une chronique du Figaro : « Outre le fait qu’il serait impossible aujourd’hui de nourrir l’humanité sans agriculture industrielle innovante et qu’un « locavorisme » imbécile priverait les habitants de nombreuses villes de poissons, de café, de thé, de vin, de riz, d’agrumes ou de chocolat, revenir en arrière « au bon vieux temps » serait à tous égards calamiteux. Même ceux qui plaident pour la décroissance sont obligés d’en reconnaître le prix élevé en termes de libertés et de pouvoir d’achat... »

(*) Le 19 août 2019, la Business Roundtable regroupant les dirigeants des 200 plus grandes sociétés américaines, a publié un engagement en faveur d’une gestion qui tienne davantage compte de l’intérêt de toutes leurs parties prenantes, la reconnaissance en quelque sorte d’une « responsabilité sociétale et environnementale » de l’entreprise privée. Une déclaration qui rejoint les objectifs de la loi Pacte adoptée en France incitant toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, à prendre en compte l’impact sociale et environnemental de leurs activités.

 EST-CE LA FIN DE LA MONDIALISATION DES ÉCHANGES ?

crédit photo : Julius Siver- Pixabay

La crise du Covid-19, est en elle-même, une illustration de la mondialisation : partie d’une province chinoise, l’épidémie s’est diffusée en quelques semaines à toute la planète. Transports aériens de masse, démocratisation des voyages intercontinentaux, brassage des populations, ont explosé au cours des cinquante dernières années… Et cette « mobilité » planétaire accélère la diffusion des maladies contagieuses.

Dans le même temps, cette crise a fait ressortir combien nos économies étaient devenues interdépendantes, une situation ambivalente :  bénéfique en période normale, elle devient une source de vulnérabilité en temps de crise.

Le courant « souverainiste » dans les pays occidentaux a regagné en force, trouvant dans cette crise des arguments pour la mise en place d’un néo-protectionnisme et d’un contrôle plus strict des importations. L’Europe du Marché Unique, leur a donné en quelque sorte raison en dérogeant à son principe fondamental de la libre circulation des personnes, puisque de nombreux pays ont fermé leurs frontières communes afin de limiter la « circulation » du coronavirus…

Vers une « démondialisation »?

Les « souverainistes » ne voient aucun avantage dans la mondialisation; ils n’en retiennent qu’un affaiblissement de la capacité de chaque État à décider de son sort, y compris, pour certains, lorsque celle-ci s’exerce au sein de l’Union européenne – destinée précisément à nous donner un plus grand pouvoir d’influence dans un monde où règnent une poignée de grandes puissances…

Ainsi, depuis quelques années, on entend monter des appels à la  « démondialisation ».

Ce concept flou demeure davantage un slogan qu’une réalité proche.

En effet, les économies nationales et les entreprises sont aujourd’hui fortement imbriquées les unes avec les autres, à l’exemple de l’avionneur Airbus qui utilise des composants disséminés dans toute l’Europe. Le Groupe-Renault-Nissan ne vend que 25% de ses productions en France… Nous devons importer 50% des produits bio que nous consommons en raison d’une production nationale insuffisante…

Certes il y a une demande croissante pour une une consommation de proximité, pour les « produits de terroirs », pour davantage de Made-in-France

Mais soyons réalistes : notre pays, comme la plupart des autres, est loin de se suffire à lui-même : nous avons besoin d’importer du café, du thé, du cacao, des bananes, du pétrole, etc.

Et par ailleurs, c’est en vendant leurs productions  « chez nous » que de nombreux pays ont vu leur niveau de vie s’élever au cours des dernières décennies.  Et ce faisant, ils peuvent acheter nos produits et services, ce qui nous permet d’accroître nos exportations, en vue de rééquilibrer notre balance commerciale. (*)

Est-on allé trop loin dans cette « globalisation des échanges »?

Peut-être.  Mais ne l’oublions pas : un des aiguillons des délocalisations est la recherche effrénée par le consommateur occidental de prix toujours plus bas, tendance encouragée par les grandes enseignes de distribution et aussi par les pouvoirs publics au nom d’une hypothétique défense du « pouvoir d’achat » …

Ce mouvement général a  incité les industriels occidentaux à transférer leurs chaînes de production dans les pays à faible coût de mains d’oeuvre. Le cas des masques hospitaliers en fournit une bonne illustration…

Un « rééquilibrage » de la dépendance aux productions ou sous-traitances lointaines est souhaitable. 

Mais il ne se fera pas du jour au lendemain!

Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances (crédit photo : consulendo.com)

Bruno Le Maire dans son bref essai Tracts s’alarme :  « De toutes les grandes nations développées, la France est celle qui dépend le plus des chaînes de valeur étrangères pour sa consommation. À plus de 75 % pour certains produits  stratégiques comme les médicaments. Cela ne peut pas et ne doit pas durer. Nous devons accélérer la politique de relocalisation industrielle en identifiant les chaînes de valeur stratégiques, en pariant sur notre attractivité, en investissant massivement dans les nouvelles technologies, en robotisant davantage nos PME. Cette relocalisation ne viendra pas naturellement. Elle ne sera pas pertinente dans tous les secteurs. Elle ne se fera pas uniquement au niveau national. Seul par conséquent un effort considérable en matière de compétitivité, de technologies de pointe et de coordination européenne nous permettra de relancer des productions en France. »

Pour autant, prévient le ministre de l’Économie, « la fin de la mondialisation est un slogan aussi absurde que facile, qui replongerait dans la misère des peuples qui en sont tout juste sortis. Elle fermerait nos consciences. Elle ralentirait le progrès. Du reste, elle appauvrirait la France, comme grande puissance économique insérée dans les chaînes de valeur mondiale. En revanche, nous devons redéfinir avec nos partenaires européens les nouvelles règles d’une mondialisation plus juste, plus durable et plus efficace. »

> Les entreprises qui se sont internationalisées,  l’ont fait pour deux motifs principaux :

  • réduire les coûts de fabrication en transférant tout ou partie de leur activité productive dans des pays où la main d’oeuvre est moins chère et les contraintes juridiques et sociales moins strictes;
  • se rapprocher de marchés en croissance et y gagner de nouveaux clients, notamment dans les pays émergents où le niveau de vie s’élevait ainsi que le désir de consommation.

Relocalisation ou « redistribution géographique »?

Cependant, un mouvement de « relocalisation » a été observé à partir des années 2000, en raison de l’élévation des salaires et des coûts d’approvisionnement dans ces pays émergents.

Comme l’explique l’économiste El Mouhoub Mouhoud, professeur à Paris-Dauphine, dans un article de The Conversation « d’autres facteurs expliquent la tendance à la relocalisation : l’accélération de la robotisation des chaînes d’assemblage, la hausse des coûts de transport et de transaction dans certains secteurs, ou encore les problèmes de délais de livraison, de qualité ou de sécurité des produits délocalisés. (…) La relocalisation est déjà une réalité dans les secteurs pondéreux ou volumineux sensibles aux coûts de transport et aux barrières commerciales. »

Mais selon l’économiste, « si les relocalisations sont amenées à s’accélérer dans l’industrie, un boom des délocalisations pourrait bien advenir dans les activités de services qui concentrent pourtant la plus grande majorité des emplois. »  Notamment dans des secteurs comme la banque, l’assurances, les services informatiques, comptables, juridiques, des activités de recherche et développement (R&D)…

L’universitaire conclut que « les relocalisations ne se décrètent pas verbalement. Mais il ne faut pas refaire les erreurs du passé en distribuant des aides financières aux entreprises sous diverses formes pour les aider à relocaliser. En effet, entre 2005 et 2013, sur environ 200 cas de relocalisations, seulement 7 % des entreprises ont recouru aux aides de l’État pour relocaliser. Il est nécessaire de réfléchir, en incluant le plus grand nombre d’acteurs, à de véritables stratégies industrielles et de services. » Entre autres, « une politique de filière aux niveaux national et européen pour stimuler les relocalisations fondées sur l’innovation. »

Esther Duflo, économiste, professeure au Massachusetts Institute of Technology – crédit photo : MIT

 > Intervenant sur France Inter, le 23 mai, l’économiste Ester Duflo estime pour sa part, que plutôt d’entraîner des relocalisations massives, la crise sanitaire se traduira par « une plus grande diversification des chaînes d’approvisionnement industriel dans le monde, une redistribution géographique de celles-ci« . Et de donner en exemple le Pakistan, producteur de matériel médical, qui pourrait « récupérer » une partie des productions délocalisées en Chine…

* * *

Il est certain que nous n’en sommes qu’au début d’une nouvelle redistribution des cartes au plan international. Les excès de la « globalisation » d’hier conduiront peu ou prou à des rééquilibrages.

Dans un monde idéal, ces mouvements de reconfiguration seraient un jeu « gagnant-gagnant », mais dans une réalité où les producteurs sont en concurrence les uns avec les autres, il y aura, in fine, des perdants…  Sans oublier le consommateur, versatile, qui joue les arbitres de ce match planétaire.

C’est par une politique industrielle mieux « coordonnée » au sein de l’Union européenne que la France peut espérer limiter la casse, en profitant de cette crise pour re-dynamiser son appareil productif par des politiques de « districts » et de « filières » imaginatives, via une meilleure coopération entre tous les acteurs à l’échelon territorial.

A condition de refréner son penchant naturel vers la bureaucratie et la  complexité normative, et de faire davantage confiance aux acteurs de la société civile.

J.G.

(*) Des relocalisations désordonnées de la part des entreprises occidentales entraîneraient inévitablement un appauvrissement des pays « hôtes » du Sud, s’alarme l’économiste de la Banque mondiale Célestin Monga, cité par Corinne Vadcar, experte en commerce international à la CCIP : « De telles politiques pourraient constituer une condamnation à mort pour de nombreuses économies à faible revenu et aggraveraient les inégalités entre les pays« . On l’observe déjà en Asie du Sud (Bangladesh) et du Sud-Est « où tout un mode d’organisation s’écroule. Si le rééquilibrage des chaînes de production à l’échelle internationale s’impose, les donneurs d’ordre seraient bien avisés de faire attention à des revirements brutaux susceptibles  de déstabiliser des économies sorties de la pauvreté ». La réponse n’est pas de briser les chaînes de production mais de réorganiser l’offre, en favorisant « des chaînes plus diversifiées et plus inclusives pour les pays pauvres ».

 

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