Les restaurateurs laminés par la crise sanitaire

Secteur en pleine croissance avant la crise, la restauration est fauchée dans son expansion par les restrictions sanitaires. Selon le cabinet de conseil spécialisé Gira, malgré les aides gouvernementales, un  restaurant sur deux pourrait mettre la clé sous la porte en 2021…

 

crédit photo : Karolina Grabowska – Pixabay

L’annonce du confinement-bis, le 28 octobre, intervenant après le couvre-feu,  a été vécue par les restaurateurs comme un nouveau coup de bambou. Alors que la profession s’était repris à espérer cet été, ce pourrait être cette fois le coup de grâce…

« Cette fermeture contrainte et brutale de nos établissements sonne un nouveau coup d’arrêt pour nos professionnels qui oblige le Gouvernement à prendre des mesures fortes, claires et responsables pour leur venir en aide », déclarent en cœur les organisations représentatives d’un secteur qui traverse « une crise inédite : il a déjà perdu plus de 150 000 emplois. La survie des hôtels, cafés, restaurants, discothèques et traiteurs organisateurs de réceptions se joue maintenant. » (1)

« Annus Horribilis » : au moins 30 milliards de pertes!

2020 marquera une « Annus Horribilis » pour la restauration confirme le consultant spécialisé dans le secteur, Bernard Boutboul, fondateur du cabinet Gira, dont les études sont réputées.

Alors que l’année 2020 s’annonçait comme prometteuse, dans la lancée de 2018 et 2019,  « le secteur de la restauration, très durement touché, en sortira incontestablement meurtri », avertit le consultant.

 » Nous estimons la perte de chiffre d’affaires globale en 2020, par rapport à 2019, à entre -50% et -55%. Soit une perte sèche d’au moins 30 milliards d’euros pour le secteur de la restauration commerciale et hôtelière », précise Bernard Boutboul.

Il prévoit qu’une entreprise sur deux du secteur pourrait déposer le bilan en 2021, soit plus de 90 000 établissements concernés…

Coup dur pour les fournisseurs.  Ce naufrage se traduira non seulement par une perte massive d’emplois mais aussi par une contraction irrémédiable des débouchés pour de nombreux producteurs, agriculteurs, éleveurs, maraîchers, viticulteurs…

Et derrière la sécheresse des chiffres, n’oublions jamais, il y a des drames humains qui se nouent. Des femmes et des hommes qui ont engagé toute leur énergie dans leur affaire, leur restaurant, leur commerce; qui ont investi leurs économies, se sont endettés… et risquent de tout perdre. Sans avoir droit au chômage au bout du compte.

Croissance interrompue. Cette année se présentait pourtant sous de bons auspices… La restauration enregistrait en janvier, février, une croissance de 5% par rapport à 2019 (près +5.2% entre 2018 et 2019), précise Gira dans son étude.

L’annonce inopinée du confinement et la décision de fermer cafés et restaurant à la veille du premier tour des Municipales, le samedi 14 mars à 19 heures, a fait l’effet d’un couperet.

Le cabinet Gira a analysé les différentes phases par lesquelles est passé le secteur depuis la survenue de la pandémie de Covid-19:

  • 15 mars – 11 mai 2020 : Premier confinement

« Durant le 1er confinement, c’est le portrait d’un secteur quasi à l’arrêt que nous avons pu observer, malgré les quelques établissements ayant continué une activité de vente à emporter…

« Les chiffres du secteur restent très bas durant la période de « pré-ouverture au public », alors que les établissements en vente au comptoir ont peu à peu rouvert leurs portes après le déconfinement et que les restaurants avec service à table ont été de plus en plus nombreux à mettre en place une offre de vente à emporter. Explication : peu d’offre et peu de clientèle potentielle car les actifs du tertiaire, friands de restauration commerciale sur les services du midi en semaine, ont continué majoritairement le télétravail… »

  • 12 mai – 14 octobre : une saison estivale bonne mais courte…

« La saison estivale a été globalement bonne, particulièrement sur les côtes atlantique et méditerranéenne, mais relativement courte, car l’essentiel de l’activité s’est fait au mois d’août.

« Beaucoup d’établissements ont été même surpris et mal préparés face à cet afflux de clients; on a pu constater un peu partout un manque de personnel et des défauts d’approvisionnement, entrainant des temps d’attente interminables et des ruptures de stock régulières. Le pic de l’activité s’est concentré sur le mois d’aout, car la saison a débuté très tard, notamment à cause de l’incertitude qui a régné sur les autorisations de déplacement même au niveau national…

« Sur cette période, le secteur de la restauration commerciale et hôtelière aura enregistré une baisse de 48% de chiffre d’affaires par rapport à 2019. »

  • 15 octobre – 29  octobre : Le couvre-feu

« Après quelques mois de liberté, de nouvelles restrictions sont mises en place dans le but d’endiguer le retour fulgurant de l’épidémie…

« Durant cette période, la mise en place du couvre-feu a entrainé un recul de 74% du chiffre d’affaires du secteur comparé à la même période l’année dernière. »

  • 30 octobre – 1er décembre : Re-confinement!

Le second confinement entré en vigueur pour une durée minimale de 4 semaines, devrait entraîner une chute de chiffre d’affaires de 90%.

Chaque semaine de confinement, c’est 77 millions de repas non servis et 1 milliard d’euros de recettes perdues » !

 

À Paris et dans les grandes villes françaises, notamment pour les établissements très haut de gamme, le manque à gagner est très important : « La moitié des établissements hôteliers n’ont pas rouvert pendant l’été dans les grandes métropoles françaises, en raison de la faible présence de touristes étrangers sur le sol français. »

L’assèchement du tourisme international,  l’absence de clientèle étrangère et la généralisation du télétravail accentuent la baisse des chiffres d’affaires

 

Bernard Boutboul, président fondateur du cabinet de conseil Gira
(DR)

Bernard Boutboul reconnaît que la restauration rapide a moins souffert des mesures de restriction sanitaire que la restauration classique « à table ». Il évalue la perte de chiffre d’affaires à 20% pour la première alors qu’elle serait de 75% à 80% pour la seconde…

En effet, bien avant la survenue de la pandémie, les acteurs de la restauration rapide (2) avaient déjà diversifié leurs méthodes de vente, adoptant les commandes en ligne, les livraisons à domicile, le click and collect…  Une longueur d’avance appréciable sur la restauration « traditionnelle » lorsque le Covid est arrivé! Autre avantage notable pour des grandes chaînes internationales comme McDo, Burger King, KFC, la solution du drive (« service au volant »),  autorisé pendant le confinement.

L’appartenance à une enseigne ou à un réseau, n’est pas pour autant une garantie absolue face à cette crise. Agilité, adaptation, innovation, rapidité… sont les maîtres-mots de la résilience. Des qualités qu’un indépendant est plus susceptible de déployer qu’un restaurateur « intégré » dans un réseau et qui peut pâtir des rigidités et de la lourdeur d’une organisation collective…

« Une chaîne sur deux est en grande ou très grande difficulté », estime le consultant.

crédit photo : Pixabay

Accélérateur de tendances.

Pour Bernard Boutboul, le Covid-19 « est un accélérateur » des tendances à l’œuvre dans le secteur depuis plusieurs années. Comme la désaffection des restaurants classiques au profit d’autres formules de restauration plus souples, plus créatives, plus ludiques, plus en phase avec les attentes d’un consommateur exigeant, mobile, zappeur et connecté…

La restauration classique n’a pas su se remettre en cause et capitaliser sur ce qui devrait faire sa différence, le service et le conseil, argue le président de Gira…

« Plus globalement, cette crise sanitaire a pour conséquence d’accélérer les tendances et modes de consommation déjà observées », précise le consultant, comme l’exigence de transparence et de traçabilité, la recherche du sur-mesure, de qualité, de produits sains…

« La crise contraint les restaurateurs à se réinventer et à innover pour surmonter cette période sans précédent! »

Car pour Bernard Boutboul,  la restauration demeure toujours un secteur porteur, avec des opportunités à saisir… »

Et de pointer vers les prix « à la casse » de beaucoup de fonds de commerce que la crise a dépréciés et qui pourraient mettre en appétit des investisseurs audacieux.

Notes:

(1) Communiqué commun du 28 octobre des organisations représentatives de la profession, GNC (groupement national des chaînes hôtelières), GNI (groupement national des indépendants hôtellerie et restauration), UMIH (union des métiers des industries de l’hôtellerie) et SNRTC (syndicat national de la restauration thématique et commerciale). Extraits.

« Les restaurants vont devoir fermer (sauf vente à emporter et livraison à domicile) y compris ceux installés en dehors des zones d’alerte rejoignant les nombreux bars et toutes les discothèques déjà contraints à la fermeture. Les hôtels vont fermer du fait de l’absence pour de longues semaines des touristes business ou loisirs. Ils enregistrent, comme les traiteurs organisateurs de réceptions frappés par les interdictions de rassemblements y compris à titre privés, les annulations de leurs dernières réservations. (…) Nos professionnels sont à bout. (…) Trop de promesses n’ont pas encore reçues leur décret d’application et pendant ce temps le compteur tourne.

« Les trésoreries sont exsangues et le premier trimestre de 2021 sera celui de la faillite de milliers d’entreprises confrontées au mur de la dette si le gouvernement ne réagit pas immédiatement. C’est pourquoi le gouvernement doit agir vite et mettre en œuvre ces mesures en ayant à l’esprit les propos du Président de la République. (…)

« Dans la lignée de ses précédentes déclarations communes et des réunions de travail avec le Gouvernement, la profession unie demande, aussi longtemps que les mesures sanitaires perdureront et pour toute la
filière des CHR Café, Hôtels et Restaurants :

– La prise en charge des pertes d’exploitation causées par cette nouvelle fermeture administrative ou la mise à l’arrêt des établissements comme les hôtels, en l’absence de touristes, par les assurances, qui, cette fois-ci, ne sauraient se défiler en arguant d’une situation inédite. Pourquoi le gouvernement n’obtiendrait-il pas ce que le gouvernement Bavarois a obtenu des assureurs ; à savoir la prise en compte par les assureurs de près de 15 % des pertes d’exploitation ?

– Un accès au Fonds de solidarité pour toutes les entreprises, sans effet de seuil de salariés, ni de condition liée à la forme juridique de l’entreprise ou à l’importance de sa perte de chiffre d’affaires. Ce fonds de solidarité doit venir compenser les charges fixes qui continuent de courir pour nos professionnels (électricité, abonnement…) à hauteur de 10 000 euros par mois ;

– Une solution urgente au problème des loyers, qui doit être déconnectée du Fonds de Solidarité, au moyen d’un crédit d’impôts incitant fortement les bailleurs à abandonner toute ou partie des loyers dus par les professionnels locataires ;

– Des exonérations de charges sociales patronales pour toutes les entreprises et la reconduction du crédit de cotisation de 20% ;

– Le maintien du dispositif de chômage partiel aux conditions d’indemnisation actuelles, congés payés induits inclus, sans reste à charge, au-delà du 31 décembre 2020 et aussi longtemps que les contraintes et restrictions sanitaires perdureront.

– Enfin s’agissant de la réévaluation des fonds propres des entreprises , proposition que nous avons portée dès le mois de Mai 2020 , inclure la possibilité de réévaluer les actifs incorporels (c’est-à-dire nos fonds de commerce et nos marques commerciales)… Pourquoi encore a-t-il fallu que l’on supprime cette possibilité pour ces actifs ! Si nous avons des problèmes de loyers c’est bien par ce que nous ne sommes pas propriétaires de nos murs et voulons sauver nos fonds de commerce ! »

crédit photo : Mudassr Iqbal – Pixabay

(2) Le Syndicat national de l’alimentation et de la restauration rapide (SNARR) est l’organisation représentative de la restauration rapide. Avec plus de 190 enseignes adhérentes, soit près de 2 000 entreprises, le SNARR représente 100 000 salariés répartis dans 26 650 points de vente. Le chiffre d’affaires réalisé par ses adhérents, s’est élevé en 2018 à près de 8,1 milliards d’euros hors taxes. Le SNARR  a publié le 15 octobre un communiqué, dans lequel il rappelle que « depuis le début de cette crise, la restauration est fortement impactée. Elle n’a cependant cessé d’être force de propositions et d’initiatives pour adapter ses activités aux impératifs sanitaires et pour participer activement au rebond économique. Comme nous y invite le Gouvernement, nous demandons à poursuivre le dialogue et la concertation pour que des mesures en prise avec la réalité du secteur et du terrain, à la fois sanitaires et économiques, soient trouvées. Nonobstant l’état d’urgence sanitaire, nous avons collectivement besoin d’un retour à une situation normale, qu’il s’agisse de la filière de la restauration traditionnelle ou rapide. »