2022
Deux ans après, qu’est-ce qui a changé, qu’est-ce qui va changer?

La crise sanitaire planétaire, la plus grave de ce 21ème siècle, est toujours présente plus de deux ans après son déclenchement. Quelles évolutions et tendances a-t-elle révélées, accélérées ou intensifiées? Analyse et réflexions sur des lignes de force qui devraient façonner notre futur immédiat.

 

crédit photo : Pixabay

Voilà deux ans que la Covid-19 a déferlé sur la planète. Qu’est-ce que cette crise sanitaire a changé ? Qu’est-ce qu’elle va changer ?

Contrairement à une certaine illusion lyrique qui avait prévalu en 2020, imaginant un « monde d’après » radicalement différent du monde d’avant, on ne peut pas dire que notre quotidien soit vraiment différent aujourd’hui.

On a même parfois l’impression de vivre un jour sans fin…

crédit photo : Pixabay

Nous devons toujours porter des masques, respecter les gestes-barrières; nous subissons, à des degrés divers selon les pays, des restrictions sanitaires qui, malgré les vaccinations de masse, paraissent de plus en plus pénibles aux citoyens… Bien que ceux-ci, par précaution, lassitude ou résignation, aient accepté dans leur grande majorité que soient réduites leurs libertés individuelles. En échange de la promesse d’être protégés par l’État-providence.

On nous avait pourtant dit que lorsque nous serions vaccinés, nous retrouverions une « vie normale »!

Les mutations successives du virus la Covid-19, ses multiples avatars, bien que moins meurtriers, poussent les pouvoirs publics à maintenir un carcan prophylactique au nom du  « bien public » et de la santé des populations.

Ce qui ne va pas sans des mouvements d’opposition aux mesures édictées et aux méthodes de gouvernement. Comme on le voit chez nous à travers le débat assez vif, tant parlementaire que dans le public, sur l’instauration d’un « passe-vaccinal » devant se substituer au  « passe-sanitaire », véritable sésame de toute vie sociale, rejetant au rang de parias ceux qui ne seraient pas en mesure de le présenter…

Sans pouvoir se prononcer sur l’évolution et la fin de cette pandémie, – que l’on espère évidemment la plus rapide -, voici, au seuil de cette année nouvelle, quelques observations sur des lignes de force qui se dessinent et qui devraient façonner notre futur immédiat.

La mondialisation n’est pas finie!

 

crédit photo : Julius Siver- Pixabay

Ceux qui avaient annoncé la fin de la mondialisation, ont parlé un peu vite. La pandémie n’a pas remis en cause la mondialisation : elle l’a confirmée.

C’est la coopération internationale des chercheurs, des laboratoires et des industries pharmaceutiques qui a permis la mise au point en un temps record de vaccins. Par ailleurs, les pays les mieux nantis ont compris que tant que les pays en développement n’auraient pas largement accès à des vaccins, la pandémie ne pourrait être totalement jugulée…

En 2021, le commerce mondial de marchandises a retrouvé des sommets selon la CNUCED, et devrait dépasser de 15% son niveau d’avant pandémie; même si le commerce international des services reste encore en deçà (le transport aérien et le tourisme intercontinental n’ont pas retrouvé leur étiage d’avant crise).

Cependant, la crise sanitaire nous a fait prendre conscience de la vulnérabilité d’une interdépendance économique et commerciale poussée à l’extrême : pénurie de composants produits à l’autre bout du monde, de matières premières ou de médicaments de base… Les chaines et filières de production vont être réorganisées. On assistera probablement à une « régionalisation » des coopérations par grandes zones, comme on l’observe en Asie-Pacifique. Dans cette perspective l’Union européenne a une carte maîtresse à jouer en intensifiant ses échanges et ses investissements avec le continent africain.

Je ne crois pas à une relocalisation massive de produits à faible prix, faute de rentabilité durable à la clé. La logique de la grande distribution (et le poids des habitudes d’achat !) focalisée sur les « prix bas « , oblige les fournisseurs à s’approvisionner là où c’est le moins cher. Il s’ensuivra un renforcement des investissements dans la robotisation et l’automatisation des process…

La demande pour les métaux et terres rares – indispensables à la fabrication des matériels et interfaces électroniques omniprésents dans tous les secteurs d’activité aujourd’hui – ira croissant, suscitant des tensions et des luttes d’influence entre pays pour sécuriser l’accès à ces ressources stratégiques.

Touchés de plein fouet, en pleine croissance, le transport aérien et le tourisme international risquent-ils d’être radicalement remis en cause ? (1)

Je ne le crois pas. Le désir de voyager, de découvrir d’autres pays, d’autres paysages, resteront une composante forte des tendances consuméristes, en particulier dans les pays « émergents » dont la classe moyenne ne fait qu’augmenter. Mais les voyagistes devront intégrer à leur offre des réponse aux attentes de plus en plus pressantes de leurs clientèles en matière de respect de l’environnement, de protection des espèces animales et végétales menacées, de préservation des milieux fragiles, de quête de solidarité avec des populations perçues comme désavantagées.

Les voyages d’affaires, une des sources importantes de revenus du transport aérien et de l’hôtellerie haut de gamme devront réévaluer leur offre face à la concurrence des conférences en visio. Les gestionnaires des grands groupes ont trouvé dans les conf’calls et autres réunions à distance une source appréciable de réduction des charges récurrentes… Cependant, pour certaines négociations,  discussions confidentielles, visites de sites particuliers, rien ne remplacera la présence in situ et donc le voyage. Les acteurs de ces secteurs, au même titre que les organisateurs de salons professionnels et foires internationales devront plus que jamais faire ressortir leurs atouts et avantages, investir dans la qualité des prestations, du conseil et de l’accompagnement personnalisé de leurs clients.

(1) Selon les derniers chiffres de l’OMT, le tourisme mondial a progressé de 4 % en 2021 par rapport à 2020, mais les arrivées de touristes internationaux (visiteurs séjournant au moins une nuit) sont inférieures de 72 % à celles de 2019, année d’avant la pandémie. 2020 restera la pire année de l’histoire du tourisme avec une chute de 73 % des arrivées internationales.

Le global et le local, le proche et le distant

Même si nous continuerons à vivre en profitant de la mondialisation, la notion de proximité en économie est revenue en force : services de proximité, entreprises de proximité, commerces du quotidien, professions de « première ligne »… Ce qui est une bonne chose, car le fantasme de l’économie immatérielle  qui s’était diffusé autour de l’an 2000, nous avait fait oublier le caractère irremplaçable de métiers, fonctions, services, actions concrètes sans lesquels la vie devient impossible. La crise sanitaire a  réhabilité cette économie de la proximité et du soin aux personnes.

Néanmoins, dans cette dialectique du proche et de la mise à distance, on a vu exploser les échanges en ligne, notamment à la faveur des confinements successifs. Tant dans la sphère privée et familiale, pour communiquer et acheter en ligne, que dans la sphère professionnelle (télétravail, visioconférences…).

Du coup beaucoup d’entreprises, notamment PME/TPE, ont accéléré leur « transition numérique », ont renforcé leur offre digitale, se sont converties au e-commerce, au « cliquer-collecter », à la géolocalisation. C’est une tendance durable qui se renforcera, en raison des habitudes prises par les différents acteurs.

Hybridation. Parallèlement, cette intensification des échanges « virtuels » a accentué le besoin de « présentiel », de rencontres en face à face, d’interactions humaines, de convivialité.

Nous entrons dans une société d’hybridation où chacun va de plus en plus combiner des actes effectués en « digital », en raison de la facilité, de la rapidité ou de l’opportunité d’utiliser ce mode d’agir, et des moments de présence et d’interactions interpersonnelles, très appréciés, car ressentis comme indispensables à la qualité et à l’équilibre de vie.

METAVERS. Il n’est pas anodin que ce soit au milieu de cette crise sanitaire que le groupe Facebook (rebaptisé Meta) ait rendu public le lancement, au prix d’énormes investissements, de son Métavers (contraction du concept issu de la science-fiction de « méta-univers ») un décalque virtuel du monde réel où toutes les expériences et simulations deviendront possibles via des clones… D’ores et déjà des entreprises et des marques se préparent à organiser leur présence dans ce Métavers dans l’espoir d’y capter de nouvelles sources de revenus…

 

Le « phygital » est le nouveau mot d’ordre des enseignes réseaux de commerçants (intégrés ou franchisés), fortement concurrencés par les plateformes de vente en ligne : il s’agit de combiner le meilleur des deux modes, le magasin et le e-commerce, pour mieux répondre à un consommateur connecté, zappeur, mais qui demande aussi du service, du conseil, de l’attention, de la personnalisation.

La télémédecine, la télé-consultation vont aussi se développer en complément de la médecine « classique ». Le succès de la « licorne » française Doctolib atteste de ces évolutions dans un secteur devenue omniprésent depuis deux ans…

Travail, la révolution ne fait que commencer

crédit photo : Gerd Altmann – Pixabay

Le travail n’en finit pas de se transformer! Le contenu et l’organisation du travail changent, mais aussi le rapport des individus au travail.

Le principal défi pour les entreprises est d’attirer et de fidéliser les talents, car le « capital humain » est devenue la ressources stratégique dans une monde de services et de spécialités.

Il s’agit aussi de motiver les collaborateurs et les futures recrues après deux années où les liens avec l’entreprise et le rapport au travail se sont distendus…

L’expérience et les enquêtes effectuées ont montré que le télétravail « intégral » , cinq jours sur cinq,  était peu vivable à long terme, qu’il pouvait même devenir contre-productif.

La solution la plus sensée consistera, dans chaque entreprise, à négocier avec les collaborateurs et leurs représentants  une combinaison équilibrée entre travail dans l’entreprise et à distance.

Agilité. Mises à rude épreuve, croulant sous une avalanche de contraintes et de protocoles sanitaires, sans cesse modifiés, les entreprises et leurs salariés ont fait preuve d’une remarquable capacité d’adaptation et d’agilité face à cette crise inédite.

Les entreprises où le dialogue social fonctionnait déjà correctement, ont été mieux armées pour traverser cette épreuve en évitant le ressentiment ou le désengagement de leurs salariés.
Les aides sociales et financières mises en place par l’État pour compenser les dégâts de la fermeture administrative des entreprises dans de très nombreux secteurs, ont amorti le choc de la perte soudaine de chiffre d’affaires, minimisant (ou reportant !) le nombre de faillites.

Cependant, les indépendants et petites structures opérant dans des secteurs particulièrement pénalisés (voyages, tourisme, événementiel, communication, relations publiques, spectacles, loisirs sportifs et culturels, etc.) ont été plus durement impactés, faute de fonds propres suffisants (généralement, le patrimoine de l’entrepreneur !) et ayant plus de difficultés à accéder aux dispositifs d’assistance. Ils risquent d’être les victimes collatérales des politiques publiques de lutte contre la pandémie.

L’État à la faveur de cette crise sanitaire a repris la main sur l’économie et étendu considérablement le champ de ses interventions… En France, pays centralisé, le gouvernement et la technocratie ont retrouvé avec griserie les réflexes et les instruments de l’économie « administrée » dont on croyait, à tort, s’être débarrassée avec le nouveau siècle. Comme pour la pâte à dentifrice une fois sortie du tube, il sera difficile de faire rentrer l’État dans son seul domaine régalien.

Le paritarisme mis à mal par un État qui répugne à se réformer

Début de 2022, le gouvernement a imposé aux entreprises trois de jours de télétravail obligatoire , sous peine de sanctions, réduisant ainsi à néant le paritarisme censé régir les relations sociales dans notre pays, au mépris de l’accord national interprofessionnel (ANI) patronat-syndicats, conclu sur cette question en novembre 2020.

crédit photo : Arek Socha – Pixabay

La crise sanitaire a fourni au génie bureaucratique et normatif français une occasion de se déchaîner en voulant régler les moindres détails de la vie quotidienne des Français, édictant par exemple le sens de circulation dans les magasins, dans les bureaux ou sur les marchés de plein air, l’organisation de la pause-déjeuner dans les cantines des entreprises, allant même tout récemment jusqu’à interdire aux cafetiers de servir les personnes debout au comptoir, même si elles sont vaccinées…

– En plus, la numérisation de nombreux process administratifs plaquée sur une organisation pyramidale et jacobine de l’État conduit à des situations kafkaïennes pour ses usagers dans l’incapacité de joindre un interlocuteur…

Cette omniprésence de l’État dans la vie économique et le quotidien des Français a fait oublier l’urgente nécessité de la réforme en profondeur de notre « millefeuille administratif ». Ce devait être une des priorités du quinquennat d’Emmanuel Macron…

Dans un pays où le secteur public est hypertrophié, employant près d’un salarié sur quatre, où le poids des dépenses publiques est un des plus élevés des pays de l’OCDE, la crise sanitaire a révélé la vulnérabilité de notre système hospitalier, suradministré, pâtissant de nombreuses pénuries…

Dans le secteur privé, la crise sanitaire a fait l’effet d’un électrochoc pour de nombreux actifs quant à leur rapport au travail , les incitant à changer de métier ou de secteur, à se reconvertir, voire à créer leur entreprise ; ou à s’installer dans une autre région, quitter les grandes métropoles…

Une enquête de Cadremploi (groupe Le Figaro) fait apparaître que 44% des cadres en reconversion ont été stimulés dans cette démarche par la crise sanitaire.

Parmi les motivations mises en avant dans ces reconversions, ressortent des enquêtes la recherche d’un meilleur équilibre entre vie pro/vie personnelle ainsi que le besoin de donner du sens à ce que l’on fait…

Ces mutations profondes dans le rapport au travail (que la crise sanitaire a davantage exacerbées que créées) raniment la guerre des talents, car les salariés, malgré un niveau global de chômage élevé deviennent plus exigeants à l’égard de leurs futurs employeurs. Comme l’ont souligné lors d’une rencontre organisée par l’AJPME (association des journalistes vie des PME), Marie Hombrouck, chasseur de tête, auteur de « Et si vous trouviez (enfin) le job idéal! », et Émeric Oudin, président du Centre des Jeunes dirigeants d’entreprise (CJD),

Marie Hombrouck, dirigeante du Cabinet Atorus Executive

Les entreprises doivent être attentives à ces attentes montantes notamment de la part des jeunes générations,  en montrant qu’a côté de leurs objectifs business, elles assument leurs responsabilité sociétale.

Attention aux faux semblants, aux démarches « cosmétiques », la cohérence s’impose plus que jamais :  « L’entreprise doit être porteuse d’un vrai projet ; la notion de sens dans le travail a été mise en évidence durant la crise. Se contenter d’installer un baby-foot dans une pièce, cela ne marche plus ! « , a notamment souligné Marie Hombrouck lors de cet échange. >

Engagement sociétal

A tort ou à raison, les mouvements écologistes ont stigmatisé un lien entre la pandémie de Covid-19 et l’impact des activités humaines sur la dégradation des milieux naturels…

Toujours est-il qu’à la faveur de cette pandémie les enjeux de préservation de l’environnement, de dérèglement climatique, de consommation écoresponsable, viennent en tête des sujets sensibles dans le débat public, dramatisé par les réseaux sociaux et les chaînes d’information en continu.

C’est une dimension culturelle, et aussi générationnelle, que doivent prendre en compte, volens-nolens, les entreprises.

Elles ne peuvent plus se focaliser seulement sur leurs performances économiques et commerciales, elles doivent aussi se préoccuper de l’impact sociétal de leur activité,  formaliser leur « utilité sociale », leur « raison d’être ».

Bernard Cohen-Hadad,  CPME Ile-de-France, président du think-tank Étienne Marcel

Président de la CPME Paris-Ile de France, Bernard Cohen-Hadad en est bien conscient : « les attentes collectives vis-à-vis du marché et les attentes individuelles au travail ont évolué. D’un côté, la société aspire à une transition vers un nouveau modèle économique et social plus responsable, sobre, durable, décarboné, innovant, inclusif, résilient. De l’autre, l’individu est en quête de davantage de sens au travail et d’utilité sociale, avec un enchevêtrement de plus en plus étroit entre la réalisation de soi et ce projet collectif sociétal. »

Ce dirigeant francilien, président du think-tank Etienne-Marcel, promeut une « entreprise citoyenne » ayant une démarche RSE ( responsabilité sociale-sociétale des entreprises) « qui intègre volontairement à ses activités commerciales et à ses relations avec les parties prenantes les enjeux du développement durable, c’est-à-dire les préoccupations « ESG », environnementales, sociales et de gouvernance, de sorte de rester économiquement viable tout en ayant un impact positif sur la société et dans le monde. »

Ce sont des tendances de fond que l’on ne peut plus balayer d’un haussement d’épaules ou corneriser dans des démarches « militantes » minoritaires.

Nous assistons probablement à une nouvelle mue du capitalisme, comme il y en a eu tant d’autres depuis deux siècles : un capitalisme davantage soucieux du « capital humain » qui est désormais la ressource stratégique dans un monde de services, d’innovation et de high-tech.

Déjà avant même la pandémie, la Business Roundtable américaine avait adopté en août 2019 un manifeste incitant ses membres, grandes entreprises états-uniennes, à intégrer dans leur stratégie la dimension sociale et environnementale.

Signe des temps, de plus en plus de fonds d‘investissements mettent en avant les critères ESG pour cibler les entreprises qu’ils veulent soutenir et développer.

Toutes ces évolutions que la crise sanitaire a révélées, intensifiées ou accélérées,  devraient bousculer les débats, parfois trop convenus, de l’élection présidentielle des 10 et 24 avril prochain.

J.G.