Le commerce de centre-ville victime collatérale des Gilets jaunes

Depuis trois mois, de nombreux commerçants, restaurateurs, artisans, transporteurs,  sont pénalisés par les manifestations récurrentes des Gilets jaunes. On évoque des pertes de chiffres d’affaires les samedis comprises à entre 30% et 70% dans certaines artères commerçantes. Le gouvernement a annoncé des mesures de soutien pour répondre à l’émoi des organisations professionnelles qui craignent une recrudescence des dépôts de bilan.

 

 

Samedi après samedi, depuis trois mois maintenant, l’activité des entreprises de proximité, commerces, restaurants, artisans, transporteurs, taxis… est sévèrement pénalisée par les manifestations, blocages et dégradations du mouvement des « Gilets jaunes » sur l’ensemble du territoire.

« Vivre de son travail ». L’ironie de l’histoire, c’est qu’une des revendications originelles de ce mouvement disparate de protestation populaire était que chacun puisse « vivre décemment de son travail »… Or ce sont des dizaines de milliers de Français qui ont été entravés ou empêchés de faire correctement leur travail, de vendre leur produits, d’effectuer leurs prestations de services, de circuler…

Résultat : chiffre d’affaires irrémédiablement perdu, chômage partiel, bris de vitrines, risque accru de dépôts de bilan de TPE-PME…

Le bilan chiffré de l’impact de ces troubles sur l’économie française est difficile à collecter, mais il ne sera pas neutre. Alors même que l’économie européenne s’essouffle et que la consommation des ménages n’était pas au mieux de sa forme avant les événements, on peut sans risque de se tromper annoncer que la croissance du PIB français sera amoindrie au premier trimestre 2019 comme au dernier de 2018.

Les organisations représentatives de PME, des artisans, les professionnels du commerce, de l’hôtellerie, ont tiré la sonnette d’alarme tandis que les pouvoirs publics ont confirmé mi février  un train de mesures de soutien (lire ci-après).

Manque à gagner au moment des fêtes de fin d’année  et pendant les soldes de janvier

 

Manifestations, troubles, casses, violences et blocages, notamment au cœur des artères commerçantes des villes, sont intervenus au plus mauvais moment, non seulement alors que l’économie française ralentissait, mais surtout durant la période des achats de Noël et des soldes de janvier, où certains magasins engrangent une part substantielle de leur chiffre d’affaires de l’année.

Pertes sèches aussi pour le tourisme et l’hôtellerie. Effrayés par les images de violences urbaines diffusées en boucle par les chaînes internationales d’infos en continu, les touristes étrangers ont annulé leur venue dans la capitale française, désertant grands magasins, restaurants et hôtels de standing habitués à capter cette manne au moment des fêtes de fin d’année… Le chiffre d’une baisse de 30% des flux touristiques a circulé. Sans parler de la détérioration, durable ou pas, de l’image de la France associée à la « douceur de vivre » dans l’imaginaire des étrangers.

La réduction de l’activité dans les différents secteurs impactés, aurait généré plus de 72 000 demandes de mise en chômage partiel de salariés en janvier 2019.

Une situation que la CPME juge « catastrophique pour des milliers de commerçants à travers tout le territoire : plus de 5 000 établissements sont concernés. Et dans 93% des cas il s’agit de PME », souligne la confédération des PME dans un communiqué qui rappelle fort à propos que « le chiffre d’affaires perdu ne se rattrape pas… »

Francis Palombi, le président de la fédération des petits commerçants, fait état de baisses de chiffre d’affaires comprises entre 30 % et 70 % selon les lieux et les secteurs d’activité… A Bordeaux, par exemple, certains commerces du centre-ville ont enregistré le samedi une baisse des ventes de moins 50% !

Bernard Stalter, président de CMA France

 

« Vitrines cassées, vitrines fracturées, centre-ville désertés…  Il faut que cessent ces manifestations qui paralysent le pays », plaide Bernard Stalter président des Chambres de métiers et de l’artisanat (CMA France) : « Les artisans et les commerçants sont les victimes collatérales des manifestations et des blocages. Ils payent le prix fort alors que nombre d’entre eux ont un pouvoir d’achat à peine égal voire inférieur au SMIC.»

Si Bernard Stalter reconnaît que « manifester est un droit », il « condamne fermement toute forme de violence.» Et demande que soit « préservée la liberté de travailler et d’entreprendre. »

Pour sa part, la fédération du commerce spécialisé Procos (300 enseignes, 60 000 points de vente) enregistre une baisse globale des ventes de 3,9% en décembre dans les magasins de son panel (1). La fédération souligne que « la perte des ventes en magasin n’a fait l’objet d’aucun report sur les sites web » (des enseignes adhérentes). Ce que confirme la FEVAD : la désaffection des magasins n’a pas réellement profité au commerce en ligne sur Internet…

Les pertes de chiffre d’affaires sont « définitives et ne pourront pas être rattrapées à l’occasion des soldes » juge Procos. En effet, dans ce climat dégradé, les soldes de janvier n’ont pas vraiment permis de remonter la pente. Les rabais consentis par les commerçants contribuent à la réduction de leurs marges dans un contexte de trésoreries tendues et de baisse de rentabilité (du fait des hausses des charges fixes, incompressibles, notamment des loyers commerciaux).

Procos note que « le bilan de l’évolution des trois derniers mois – novembre, décembre 2018 et janvier 2019- marque une évolution négative des chiffres d’affaires en magasins cumulée de – 4,3 % et ceci aussi bien en centre-ville qu’en périphérie toutes activités du commerce spécialisé confondues (1).

François Feijoo, président de la fédération du commerce spécialisé Procos et PDG d’Eram

François Feijoo, PDG d’Eram et président de Procos, alerte sur un risque majeur sur l’emploi et s’inquiète pour les mois de février et mars qui sont habituellement « une période de basses eaux pour le commerce…»  une recrudescence des dépôts de bilan est à craindre.

D’autant que face à la déferlante Internet et le rouleau-compresseur du e-commerce, les commerçants traditionnels doivent massivement investir dans la transition digitale et la formation de leurs équipes : or la situation actuelle, qualifiée d’ « exceptionnelle » est un « facteur aggravant » pour des entreprises en situation difficile. François Feijoo lance un appel aux pouvoirs publics et aux banques pour qu’elles continuent à « accompagner les enseignes dans leur processus de transformation vers un nouveau modèle de retail plus efficace ».

Procos interpelle aussi les bailleurs commerciaux : l’immobilier commercial a pris « un poids trop grand » dans la structure de coûts du commerce de détail. Procos annonce préparer une « charte des nouvelles relations entre bailleurs et preneurs en centres commerciaux qui sera proposée prochainement à la discussion.»

La mise en œuvre de l’ambitieux plan gouvernemental « Cœur de ville » intervient donc dans un contexte on ne peut plus compliqué…

Le 1er février à Bordeaux, où l’une des principales artères commerçantes de la ville, la rue Sainte-Catherine (500 commerces, 1.200 emplois) a particulièrement été affectée par les manifestations, le premier ministre à annoncé qu’une « enveloppe (budgétaire) d’environ 3 millions d’euros destinée à soutenir des actions collectives ou des animations commerciales dans les villes les plus touchées par le mouvement des Gilets Jaunes.

(1) 50 enseignes interrogées par Procos sur leur performance dans 50 pôles de références situés dans 15 agglomérations

 

Les mesures gouvernementales de soutien aux commerçants et artisans insuffisamment connues

 

Les secrétaires d’Etat, Agnès Pannier-Runacher et Olivier Dussopt, ont reçu les organisations représentatives des artisans et commerçants le mercredi 13 février 2019.

Auparavant , le ministère de l’Economie et des Finances a publié le communiqué suivant :

« Depuis treize semaines, la multiplication des blocages et la succession des manifestations ont eu
un impact sur l’économie française et plus particulièrement sur les entreprises du commerce et de
l’artisanat, mettant parfois en péril leur existence. Alors que le Gouvernement a mis en place un
dispositif inédit par son ampleur et dont l’efficacité est démontrée pour les entreprises y ayant eu
recours, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, et Agnès Pannier-Runacher,
secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie et des Finances observent cependant qu’il est
encore trop peu utilisé par les commerçants et les artisans rencontrant des difficultés.

Les principaux dispositifs de soutien

« Les ministres comptent sur les fédérations professionnelles et les chambres consulaires
pour relayer auprès de leurs adhérents le dispositif mis en place. Ils appellent également les
artisans et les commerçants à se saisir des différentes mesures activées dès le début du
mouvement des « Gilets jaunes » et prolongées début janvier,  jusqu’au 31 mars 2019 :

– Les professionnels peuvent solliciter l’étalement d’échéances de cotisations sociales, et ce jusqu’au 31
mars 2019 ; Les professionnels peuvent demander un report pour les cotisations dues au titre des mois de janvier, février et mars 2019, ainsi que pour celles du 1er trimestre 2019 pour les cotisants non mensualisés.

Ces reports ne donneront lieu à aucune majoration ni pénalité de retard d’aucune sorte;

Concernant le paiement des échéances fiscales, il a été demandé aux directions locales des finances publiques d’apprécier avec bienveillance, au cas par cas, la demande d’une entreprise défaillante de paiement lorsque cette dernière démontre que sa défaillance résulte directement d’un problème de trésorerie lié au mouvement des gilets jaunes;

– Le ministère de l’Action et des comptes publics a demandé à ses services d’accélérer les
remboursements de crédits d’impôts (CICE au titre de l’année 2018, TVA), dès lors que
les entreprises concernées en font la demande ;

Pour les entreprises ayant dû réduire ou suspendre leur activité, afin de placer leurs salariés
en chômage partiel, une demande d’activité partielle, qui sera traitée dans les meilleurs
délais, peut être sollicitée auprès de la DIRECCTE ;

– Dans chaque région ont été mis en place des référents territoriaux uniques au sein des
DIRECCTE, chargés d’aiguiller les entreprises fragilisées vers les dispositifs adaptés, en lien
avec les administrations concernées (DDFIP, URSSAF), et les acteurs du territoire (médiation
du crédit, établissements financiers), afin de trouver les solutions de trésorerie appropriées ;

– Par ailleurs, un dispositif d’urgence complémentaire est mis en place : les Commissions
départementales des Chefs des Services Financiers (CCSF) ont été invitées à mobiliser
tous les leviers pour limiter les cas de défaillance d’entreprises en traitant avec bienveillance
les demandes d’étalement sur longue durée ou d’abandon de dettes fiscales et sociales ;

Le Gouvernement a également appelé les assureurs, avec le concours de la Fédération
française de l’assurance, à accélérer les indemnisations pour les entreprises
concernées par des sinistres matériels et des pertes d’exploitation ;

– A la demande du Gouvernement, la Fédération Bancaire Française (FBF) a par ailleurs
écrit le 30 novembre à ses adhérents, ainsi qu’à ses comités territoriaux, afin que soit
examinées avec la plus haute bienveillance et au cas par cas les situations des artisans,
commerçants et entreprises affectés dans leurs activités, afin de rechercher des solutions
appropriées, s’agissant en particulier de besoins de financement à court terme ; la FBF a
réactivé, en début d’année, son réseau de correspondant PME dans les différents réseaux
bancaires, qui peuvent être activés par les organisations professionnelles ;

Bpifrance veille à faciliter, le cas échéant en appui des établissements bancaires, l’octroi ou le
maintien de crédits bancaires, le report d’échéances des prêts qu’elle garantit, ainsi que la
pérennisation du préfinancement du CICE 2018 jusqu’à la bascule sur la baisse des charges.

– Suite à l’annonce du Premier ministre à Bordeaux le 1er février, une enveloppe
d’environ 3 millions d’euros sera mobilisée pour soutenir des actions collectives ou des
animations commerciales dans les villes les plus touchées. Un appel à projet du
Gouvernement sera prochainement publié à cet effet.
Les ministres rappellent la détermination et la pleine mobilisation du Gouvernement et des
services de l’Etat à accompagner les entreprises fragilisées suite au mouvement des « gilets
jaunes.

Bruno Le Maire et Agnès Pannier-Runacher rappellent enfin aux artisans et aux
commerçants qu’en cas de difficultés, ils peuvent contacter leur fédération professionnelle,
leur Chambre de commerce et d’industrie, leur chambre de métiers et de l’artisanat ou se
rendre sur le site www.entreprises.gouv.fr pour trouver toutes les informations
correspondant à leur situation. »