Grand Débat national
Refonder notre « modèle social »

La crise des Gilets Jaunes a mis cruellement à nu les limites du « modèle social » Français.  Notre système, très généreux, de redistribution est aujourd’hui à bout de souffle.  Dans un pays cumulant un niveau record d’endettement et de dépenses publiques, satisfaire les revendications et doléances exprimées ces derniers mois est devenu mission impossible pour ses gouvernants…              Serons-nous capables de rebâtir un nouveau pacte social?

 

Crédit photo : Pixabay

Les Français tiennent à leur modèle social… comme la corde tient le pendu. Ce « modèle » conçu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et formalisé dans le préambule à la Constitution de 1946 * est à bout de souffle. Il n’a plus les moyens de sa promesse originelle : garantir à chacun un « bouclier social » le protégeant de tous les accidents de la vie, de la naissance jusqu’à la tombe.

Élaboré au milieu du siècle dernier, ce modèle reposait sur des paramètres qui ont complètement changé depuis :  le plein emploi, des horaires de travail élevés avec moins de loisirs et de sollicitations consuméristes, des structures sociales et familiales relativement stables, une faible espérance de vie au moment de la retraite, des économies encore peu ouvertes à la concurrence internationale…

Le financement de ce système reposant essentiellement sur les actifs au travail, la charge est devenue au fil des années insupportable avec quelque 6 millions de Français aujourd’hui éloignés de l’emploi (21% de la population active !), 17 millions de retraités et plus de 4 millions de personnes bénéficiaires des minimas sociaux…

1000 milliards d’euros prélevés

La ponction totale des prélèvements fiscaux et sociaux sur l’activité a franchi à l’automne 2018 la barre historique des 1000 milliards d’euros ! Soit 44% de la richesse nationale produite en 2018 (le PIB qui s’est élevée à 2282,8 milliards d’euros).

Malgré cela, la France compte toujours plus de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté. Les Restos du cœur créés par Coluche en 1985 et qui devaient être temporaires… ne désemplissent pas!
Le nombre de « Rmistes » n’a fait qu’augmenter depuis la création de cette aide il y a 30 ans par Michel Rocard en 1988. Fin 2017, le nombre de bénéficiaires des minimas sociaux (tous dispositifs confondus) s’élevait selon l’INSEE à 4,2 millions de personnes…

Deux institutions emblématiques du « modèle social » français, l’Ecole et l’Hôpital, sont en crise. Les agents de la fonction publique d’Etat expriment régulièrement leur mécontentement et s’estiment « mal aimés » tandis que le taux d’absentéisme est très élevé dans la fonction publique territoriale. Le malaise est patent dans la police et on ne peut pas dire que le moral est au plus beau dans les entreprises de services publics. Et pourtant, la dépense publique atteint 57% du PIB, niveau record dans les pays de l’OCDE…

Si notre « modèle » marchait, nous devrions être un pays de cocagne!

Il faut se rendre à l’évidence : des pays comparable aux nôtres sont parvenus à une meilleure allocation de leurs ressources publiques au service de leurs concitoyens.

Un euro de dépenses publiques chez nous est-il aussi efficace qu’ailleurs ?

Certains continuent de penser que notre « modèle social » n’a pas de prix, mais force est de reconnaître qu’il a un coût!

 

La charge écrasante des prélèvements obligatoires sur les actifs et les entreprises finit par restreindre le potentiel de croissance économique en décourageant les initiatives et la prise de risque : Pourquoi travailler plus, pourquoi facturer davantage, si mon gain marginal est « confisqué » par l’État ?

En économie ouverte, les plus créatifs et les plus industrieux sont enclins à aller s’installer là où la création de richesses est la moins taxée…  C’est déjà ce qui se passe au sein même de l’Union européenne!

Avec la mondialisation des échanges et des migrations, la pression générale du modèle low-cost et la remise en cause des modèles économiques traditionnels, les États-Providence sont parvenus à un seuil critique où les ressources prélevées sur les actifs ne permettent plus de redistribuer la richesse à un nombre croissant d’ « ayant-droit ». Tout en décourageant la création de la richesse à redistribuer!

Ascenseur social en panne et « travailleurs pauvres »

Les classes moyennes sur lesquelles pèse une large part de ces prélèvements, ont  le sentiment que leur niveau de vie se dégrade et craignent de voir leurs enfants vivre moins bien qu’elles… Les gens ne croient plus à l’ascenseur social, ou plutôt se rendent compte qu’il est en panne.

Le découragement et la perte de confiance dans l’avenir se diffusent dans le corps social, avec comme effet d’accroître une épargne de précaution, soit autant d’argent qui est retiré à la consommation immédiate, ce qui réduit le potentiel de croissance…

Crédit photo : Pixabay

Paradoxe des États-Providence, la plupart de nos démocraties sociales ont vu se développer une nouvelle catégorie sociale, celle des « travailleurs pauvres ». Un phénomène qui contribue aussi au ressentiment et à la morosité générale. Il s’explique notamment par l’augmentation continue depuis deux décennies des « dépenses contraintes » pour les ménages : télécoms, énergie, transports, eau… un budget incompressible alourdi par les taxes et contributions locales elles aussi en hausse.

Une situation qui a incontestablement nourri le ras-le-bol fiscal à l’origine de la révolte des Gilets Jaunes.

Ce mouvement populaire portait à ses débuts la revendication légitime de nombreux actifs de pouvoir « vivre décemment de leur travail »…

Une revendication à laquelle les pouvoirs publics ne peuvent rester indifférents car elle interpelle le cœur-même de la démocratie sociale à laquelle nous autres Européens sommes profondément attachés.

Le Grand Débat national (1), lancé par le président Macron en réponse à la révolte des Gilets Jaunes, a utilement servi de défouloir à toutes les protestations, récriminations, colères, doléances, frustrations, utopies et vœux pieux qui avaient besoin de s’exprimer dans les tréfonds du pays.

Les milliers d’idées et leur contraire qui ont été recueillies, ne peuvent en elles-mêmes constituer un programme de transformation cohérent et réaliste. La difficulté pour les politiques c’est de faire émerger le « bien commun » du maquis inextricable des revendications catégorielles. Un tour de force quasi-impossible à l’heure de la démocratie d’opinion et des réseaux sociaux…

Emmanuel Macron lors d’un Grand débat dans le Morvan, février 2019 – Crédit photo : Présidence de la République

Quelles que soient les annonces et mesures prises par l’exécutif, il y a fort à parier qu’elles ne combleront pas la frustration d’une grande partie de nos concitoyens affectés par la panne de notre « modèle social ».

Une refondation complète de celui-ci nous paraît désormais inévitable.

Car la réalité est têtue : on ne peut en même temps réduire la pression fiscale, donc les recettes, et dépenser plus!

Mais on peut cependant s’efforcer de dépenser mieux.

C’est ce qu’ont appris à faire la plupart des entreprises privées sous la pression de la concurrence internationale et de la mondialisation des échanges.

Faire un meilleur usage de ressources rares, chacun y est tenu au nom d’une responsabilité sociétale et environnementale qu’attendent de tout responsable les jeunes générations.

Est-il illusoire d’attendre de l’Etat qu’il puisse mieux ré-affecter, au sein de l’énorme appareil public, les énergies, les talents, les compétences et les bonnes volontés, lesquelles ne manquent pas?

Comme le pense l’économiste Nicolas Bouzou (2), la première des réformes qui commande toutes les autres est celle de la réforme de l’Etat!

Depuis le premier choc pétrolier de 1973, et la série de crises économiques et financières à répétition qui s’en sont suivi, les gouvernements successifs ont essayé, vaille que vaille, de sauvegarder notre « modèle social », en rajoutant rustines et sparadraps sur ses plaies et bosses. Ceci afin d’éviter, croyaient-ils, plusieurs « révolutions » ou crises politiques…

Nous arrivons probablement à l’heure de vérité où les rafistolages se révèlent complètement inopérants, ou même pires que le mal.

Une remise à plat d’un système à bout de forces s’impose!

Nous n’échapperons pas  à un arbitrage indispensable : décider collectivement ce qui relève de la solidarité nationale et donc de l’impôt – obligatoire – et ce qui relève de la cotisation volontaire pour un niveau de protection supplémentaire. La confusion actuelle entre impôt et cotisation ne fait qu’ajouter au grippage du système.

Un arbitrage à soumettre aux corps intermédiaires, aux partenaires sociaux, et, in fine, aux citoyens.

De ce choix, difficile mais crucial, pourrait sortir un nouveau pacte social pour le 21ème siècle, plus « adulte » et responsable.

(*) « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. (…) La Nation garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » (…) Extraits du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 repris dans le préambule de la Constitution de la 5ème République en 1958.

 

(1) Consulter les synthèses  des contributions citoyennes au Grand Débat national.
(2) Nicolas Bouzou vient de publier avec Luc Ferry « Sagesse et folie du monde qui vient – Comment s’y préparer? Comment y préparer nos enfants? »XO Editions – 444 pages

 

>>> Lire aussi notre article « Vive le travail »