La révolution « servicielle » : des opportunités à saisir par les entreprises

Après l’ère industrielle, entrons-nous dans une ère « servicielle » ? Une mutation accélérée par le numérique, et qui concerne tous les secteurs d’activité, conclut  un groupe de travail de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Île-de-France : les entreprises ne doivent pas rater ce « virage serviciel »! Pilote du groupe de travail consulaire, Corinne Vadcar, analyste senior, en explicite pour Consulendo les enjeux et les obstacles à surmonter.

 

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Les défis de l’ère « servicielle »

Les entreprises doivent repenser leur modèle économique

Par Corinne Vadcar*

 

Les services prennent une place croissante dans les économies modernes. Mais cette évolution va bien au-delà de ce qu’on appelle la « tertiarisation » de l’économie : on observe, en effet, une transformation plus large qui consiste en un passage de la logique « produit » à la logique « service » dans tous les secteurs d’activité, de l’agriculture au tertiaire, en passant par l’industrie ou la grande consommation.

Dans une logique « service », il ne s’agit pas seulement de développer le service ; il est essentiel d’axer la relation-client sur les effets utiles et la performance d’usage de la solution, d’une part, et de valoriser principalement les ressources immatérielles sur lesquelles s’appuie l’activité de l’entreprise, d’autre part. Par effets utiles, on entend l’ensemble des effets positifs que le client/usager ou d’autres bénéficiaires peuvent attendre de l’usage d’un bien ou de l’accès à un service.

Le produit ne peut alors exister sans le(s) service(s) ; ces derniers sont au cœur de l’offre et le produit devient, au contraire, un élément d’une solution plus ou moins complexe : il n’est rien sans le service, sans l’usage sur lequel il débouche. C’est ce que l’on appelle le système produit-service (PSS), la valeur résultant de la nature hybride de l’offre.

Pour s’insérer dans cette dynamique  » servicielle », les entreprises doivent repenser leur proposition de valeur.

Pour les entreprises, cette évolution a un profond impact : elle les conduit à revisiter leurs business models selon cinq axes majeurs :

1. Faire d’une activité secondaire de l’entreprise l’activité principale et vice-versa : ainsi, le service-client ou un service de maintenance doivent être au cœur de l’offre quand ils étaient hier associés à l’offre.

2. Faire du client le point de départ de l’offre de l’entreprise : il s’agit de définir une offre à partir des usages clients, en somme une offre qui lui soit utile.

3. Se placer au centre d’un réseau de partenaires qui vont lui permettre d’élargir son offre : il s’agit d’entrer dans une logique de parties prenantes (écosystème) pour construire de la valeur.

4. Appréhender les nouvelles attentes en termes de modes de consommation : facilité/simplicité, immédiateté, personnalisation, sens et partage selon Christian Nibourel [1].

5. Valoriser le capital humain : les savoir-être sont alors fondamentaux dans une économie qui « rend service » ou qui est « au service du » client.

Une illustration majeure de ces transformations réside dans la manière dont les entreprises conçoivent et formulent leur proposition de valeur (« market offering »).

Quatre éléments majeurs – auxquels il convient d’ajouter la qualité qu’exige aujourd’hui le client dans un monde où il est possible de comparer à très large échelle – sont essentiels dans cette proposition de valeur.

Illustration à travers des exemples de propositions de valeur par des entreprises : 

# Simplifier la vie des clients en apportant de la facilité d’usage

◊ La Poste : Que puis-je faire pour vous aujourd’hui ? (solution B2B : Assistant Courrier)

Bic Shave Club : Simplifiez-vous la vie : votre rasoir et vos lames de qualité livrés directement chez vous

◊ Deezer : Écoutez votre musique, où et quand vous le voulez

◊ Lyft :  « A ride when you need one »

◊ Évian : L’eau des Alpes directement chez vous

◊ Ubeeqo : « Choisissez, réservez, conduisez. Et c’est tout »

◊ Take it Easy : Vos restaurants préférés à Paris livrés chez vous

# Personnaliser en assurant le « sur-mesure », grâce aux Data notamment

◊ Carfit : L’entretien automobile personnalisé

◊ Teleperformance :  Chaque interaction compte. Chaque personne a sa propre histoire

◊ Yvivre : Mon appartement et ma copropriété sur-mesure

◊ WeWork : Un espace qui s’adapte à vous

# Etre extrêmement réactif en apportant des réponses en moins de 24 heures

◊ Trusk : Déplacez tout ce que vous voulez dans l’heure

◊ YoUnitedCredit : Le crédit, en plus rapide

◊ Ventes Privées : Votre shopping 24H/24H en toute sérénité

# Donner du sens en intégrant des engagements comme la responsabilité sociale et environnementale, l’éthique, la transparence sur la supply chain, la lutte contre le réchauffement climatique, etc.

◊ Monoprix : Pour que le livreur ne reparte pas les mains vides…(solution Shop & Give)

◊ Saint-Gobain : Des matériaux pensés pour le bien-être de chacun et l’avenir de tous

◊ Schneider Electric :  Nos services pour le cycle de vie de votre installation (Programme Ecofit)

◊ Whole Foods : « Are you hungry for better?« 

# Etre dans le partage en proposant des solutions collaboratives

◊ AirBnB : Réservez des logements et des expériences uniques

◊ Booking : Trouvez les meilleures offres d’hébergement, du gîte champêtre cosy à l’appartement citadin design

(Source des exemples : sites des entreprises citées)

La proposition de valeur dans les modèles serviciels consiste donc à aller sur les effets utiles pour les clients, qu’ils soient finals ou intermédiaires.

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Une transformation encore hésitante des modèles économiques

Pour autant, force est de noter que l’exercice est loin d’être évident.

D’une part, ce sont les nouveaux acteurs, plateformes numériques ou start-up, qui sont allés les premiers sur cette logique servicielle en répondant à une demande qui n’était pas ou pas assez satisfaite par les acteurs établis.

D’autre part, une grande partie des modèles économiques reste centré sur le produit.

Pour se définir à partir des besoins et des usages clients, il faut, en effet, changer de mode de pensée!

Et dans ce process, les entreprises se heurtent, à la fois, à des obstacles internes et externes.

Enfin, les business models « serviciels » ne sont pas encore écrits : ils sont en construction et, pour certains, en période de test. Ils n’ont pas encore fait la preuve de leur soutenabilité et de leur rentabilité. Il leur faut aussi rencontrer leur marché.

Les services aux particuliers sont en pleine croissance. Mais à quel prix? Et qui paye en définitive?

On le voit dans différents secteurs comme celui de la dépendance où des services viennent apporter des solutions utiles aux personnes vieillissantes et à leurs accompagnants, mais elles n’ont pas forcément encore rencontré leur marché.

On note aussi la difficulté à faire payer les services à leur prix réel (d’où le recours à des aides publiques comme par exemple l’APA ou des crédits d’impôts)…

 

Dans bien des domaines, la règle est encore celle du gratuit, notamment pour les services proposés en ligne. Or, pour que le zéro prix ne conduise pas au zéro profit, certains modèles gratuits doivent, en effet, se réformer profondément.

Pour autant, le mouvement est en marche !

Il devrait puissamment transformer, à terme, l’offre de l’économie et des entreprises françaises.

C. V.

*Corinne Vadcar est analyste senior à la Chambre de commerce et d’industrie de Région Paris Île-de-France

[1] « L’ère du service, nouveau paradigme », GPS, 2015 – Le Groupement des professions de services (GPS) est présidé par Christian Nibourel qui a été auditionné par le groupe de travail de la CCI.

 

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« Les entreprises au défi de la transformation servicielle de l’économie » étude du groupe de travail * de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Île-de-France (2019)

Dans son étude, la CCI de Paris-Île de France estime que « les entreprises françaises fonctionnent encore largement sur le modèle de l’économie pré-servicielle : leur business model reste, en grande part, centré sur le produit ou n’est pas encore suffisamment défini à partir du client et de ses usages. »

La Chambre formule trois propositions principales :

Repenser la compétitivité française dans un monde « serviciel » : casser la notion de services telle qu’on la lit dans la typologie des services et compléter le diagnostic de la compétitivité de la France dans une ère servicielle.
Élaborer les politiques publiques en adéquation avec ce basculement : repenser les politiques publiques correspondant au temps de l’âge industriel pour réduire la dissymétrie entre les transformations servicielle et numérique et les cadres existants.
Éduquer à ce nouveau modèle : comprendre et faire comprendre où la valeur est créée aujourd’hui et faire mûrir la société et les utilisateurs sur la valeur et le prix du service.
La Chambre rappelle, par ailleurs, que cette entrée dans la logique « servicielle » comporte un potentiel de croissance et d’emplois qui dépend aussi de l’action d’autres acteurs que les pouvoirs publics nationaux ; il est donc important de porter cette mutation à trois autres niveaux :
> Encourager tous les business models par un accompagnement des PME à la « disruption ».
> Investir dans la construction d’écosystèmes au sein des territoires.
> Faire de l’investissement dans le capital humain la priorité d’action.

* Composition du Groupe de travail de la CCI, piloté par Corinne Vadcar et présidé par Jean-Claude Karpelès, président de la commission Economie et Financement des entreprises : Muriel Barnéoud, directeur de l’engagement sociétal, Groupe La Poste, Marcel Bénezet, gérant de la SARL Aux Villes de l’Est, Jean-Luc Bérard, directeur du groupe des ressources humaines, Groupe Safran, Gilles de Colombel, direction de la mission du Grand Paris, Schneider Electric France SAS, Jérôme Frantz,  gérant de Gicef, Philippe Goetzmann, ex-directeur des relations institutionnelles d’Auchan Retail France, Jean-Charles Herrenschmidt, président de l’European Council for Motor Trades and Repairs (CECRA), Michel Laurent, président d’Imac, Bernard Michel, Président de Real Estech Europe & Viparis, Patrice Puyperoux, président de Cplc, Jean-Michel Tasse, gérant de Festo France, Michel Valache, président de Mve Conseil.

♦ La CCI a aussi organisé sur cette problématique une table ronde le 17 avril 2019 intitulée « L’économie sera servicielle ou ne sera pas ! >>>Consulter le compte rendu