Commerces de centre-ville :
un capital de sympathie à consolider

Le commerce de centre-ville a retrouvé les faveurs des Français, qui privilégient la proximité. Une étude récente de la Banque postale confirme l’attachement des habitants à leur centre-ville. Victimes collatérales des manifestations de ces derniers mois, les commerçants et les artisans métropolitains font l’objet de la sollicitude des élus locaux et des pouvoirs publics. Face à la concurrence du e-commerce et des nouveaux modes de consommation, les magasins traditionnels doivent se repenser et enrichir leur offre.

 

Longtemps délaissés au profit des grandes surfaces de périphérie, les commerces de centre-ville subissent la concurrence croissante des achats sur Internet.

Depuis près d’un an, commerçants et artisans des villes sont aussi les victimes collatérales des manifestations –souvent violentes – des Gilets jaunes. Et beaucoup redoutent dorénavant une pérennisation des blocages des quartiers commerçants avec l’engouement pour les mouvements d’inspiration écologique et anarchiste tel Extinction-Rébellion, ou encore les marches lycéennes inspirées par la militante suédoise Greta Thunberg.

Christian Pimont, président de l’Alliance du commerce

Une situation qui inquiète le président de l’Alliance du commerce, Christian Pimont qui s’exprime dans le quotidien Les Echos du 8 octobre 2019 :

« Chaque semaine depuis un an, les commerçants sont confrontés à des manifestations qui les empêchent d’exercer normalement leur activité (…). Alors que s’approche la période des fêtes de fin d’année qui représente une part importante des ventes, les commerçants de centre-ville et de périphérie tirent la sonnette d’alarme ! Ils ne veulent pas revivre ce qu’ils ont subi l’an passé. Le commerce ne supportera pas une nouvelle saison de manifestations (…). Depuis un an, les manifestations ont eu un impact majeur sur le comportement des clients. Un Français sur cinq a diminué sa fréquentation du centre-ville et le samedi n’est plus le premier jour de shopping en France. (…) Notre marché a perdu 15 % de sa valeur en 10 ans (…). Nous avons compté que dans notre secteur, la mode, plus de 5.000 personnes ont été sujettes à un plan de sauvegarde de l’emploi lors des trois dernières années. (…) »

« Les modes de consommation changent également, mais, là encore, les commerçants s’adaptent pour répondre aux nouvelles attentes des clients. (…) En revanche, on ne peut pas travailler dans un climat de défiance et d’insécurité. »

François Feijoo, président de la fédération Procos

Procos et son président François Feijoo, Pdg de l’enseigne Eram, s’alarment aussi de la situation dégradée du commerce indépendant: si les commerçants sont prêts à innover, à se transformer pour relever le défi de la digitalisation et du multicanal, cette transformation requiert des investissements importants, difficilement mobilisables dans un contexte de perte de chiffre d’affaires et de baisse de rentabilité … d’autant que les loyers commerciaux ont augmenté plus vite que les chiffres d’affaires…

La fédération Procos qui rassemble quelque 300 enseignes appelle les pouvoirs publics à adapter la fiscalité du commerce au nouveau modèle omnicanal en soulignant que « les coûts immobiliers (loyer, charges, fiscalité) demeurent une cause majeure de la fermeture de magasins et donc de vacances commerciales. »

 

Les commerces de centre-ville, acteurs essentiels de l’animation et du dynamisme économiques

 

Le commerce de centre-ville ne manque pas d’atouts. Il apparaît vertueux à l’heure de chasse au carbone où l’on délaisse la voiture pour privilégier la proximité, où l’on promeut les consommations « locavores », les produits de terroirs, le bio, où le slow-food (lancé par le Piémontais Carlo Petrini) devient tendance..

Artisans et commerçants, entreprises du quotidien.

L’attachement des Français à leur centre-ville est confirmé par une étude originale réalisée auprès d’un échantillon de 1 500 habitants de villes moyennes (de 20 000 à 200 000 habitants) par La Banque Postale et Les Echos Études et rendue publique le 10 octobre 2019.

Pour 90% des sondés, l’attractivité des centres-villes repose essentiellement sur les commerces qu’on y trouve

 

Les deux tiers des habitants fréquentent leur centre-ville au moins une fois par semaine pour y faire leurs achats.

Si les magasins de centre-ville sont nettement appréciés pour leur variété et les produits qu’on y trouve, plus d’une personne sur deux estime que ces commerces sont insuffisamment nombreux, perception se renforçant avec l’âge des sondés.

Les sondés regrettent, par exemple,  de ne pas trouver dans leur centre-ville assez de magasins de bricolage/jardinage, de jouets, de décoration, d’ameublement… (des commerces qui traditionnellement se sont, en effet, implantés dans les périphéries des villes).

Inquiétude. Il ressort également de cette étude que 40,4% des personnes se disent inquiètes quant à l’avenir de leur centre-ville ; cette proportion d’inquiets atteint 58% des sondés chez les habitants des plus petites villes (entre 20 000 et 50 000 habitants) et elle est davantage marquée dans certaines régions comme le Nord et l’Est de la France. Inquiétude de l’opinion qui rejoint celle des organisations professionnelles pointant du doigt la dégradation de la situation financière de nombreux commerçants, l’augmentation continue des charges d’exploitation et la vacance commerciale dans les petites villes…

Nouveaux usages et nouveaux modes de consommation influent sur les attentes des habitants  à l’égard de leur centre-ville

 

Etre présent sur le Web. L’étude de la Banque Postale confirme qu’il est désormais indispensable pour un commerçant  d’être immédiatement « identifiable » sur Internet via un site dédié ou un page Facebook – or trop de TPE négligent encore cette dimension de l’offre commerciale. Rappelons que 9 internautes sur dix se renseignent d’abord sur le Web avant d’aller en boutique… Et les consommateurs sont friands des avis-clients exprimés sur le Web à propos d’une enseigne ou d’un produit.

L’étude recueille auprès des personnes interrogées la suggestion que les commerçants d’un centre-ville s’organisent entre eux pour proposer une page Facebook commune ou montent une « marketplace« , une plateforme digitale regroupant les offres commerciales et artisanales locales.

Click and collect. 69% des sondés plébiscitent la possibilité de commander en ligne et de retirer leur produit en magasin, un dispositif appelé « click and collect » que les commerçants ont intérêt à proposer. C’est déjà le cas pour les enseignes en réseaux, intégrés ou en franchise, mais les indépendants isolés ont tout à gagner en adoptant ce dispositif. La livraison a domicile est aussi souhaitée par 65,5% des sondés.

Ce que les consommateurs attendent surtout des commerçants c’est davantage de conseils personnalisés,  mais aussi, éventuellement, une assistance ou des cours d’initiation, bref tout ce qui fait la supériorité de la relation humaine sur l’écran.

Ils sont aussi demandeurs  d’animations événementielles (type braderies, promotions…) organisées dans les centres-villes et apprécieraient de bénéficier d’une carte de fidélité collective.

Les consommateurs aimeraient aussi l’extension des plages d’ouverture des magasins notamment à l’heure des repas… une attente qui est sans doute plus difficile à satisfaire pour des TPE dont les ressources humaines sont forcément plus limitées.

Prime aux commerces « hybrides »

Le magasin traditionnel doit aussi se distinguer du Web en « enrichissant » l’expérience de ses clients, en diversifiant de façon originale la palette des ses offres. A l’exemple des commerces hybrides qui commencent à s’imposer, tels la librairie-café, le caviste-tapas-épicerie, la boucherie-restaurant, le magasin de jouets-librairie…

>>>Découvrir l’étude « Le regard des Français sur leur centre-ville »

À la reconquête des centres-villes

De nombreuses collectivités locales se mobilisent depuis plusieurs années pour redynamiser leur centre-ville.

A l’instar de la plateforme Centre Ville en Mouvement qui rassemble des élus, des experts, des chercheurs et se veut un centre de ressources et d’initiatives pour accompagner les collectivités dans leurs actions.

Beaucoup de municipalités intègrent désormais au sein de leurs agents des managers de centre-ville (appelés aussi managers du commerce) qui font l’interface entre les commerçants installés, les enseignes et les porteurs de projet souhaitant ouvrir un commerce ou une activité artisanale. Ces cadres spécialisés disposent normalement d’informations de première main sur les emplacements susceptibles de se libérer ou en quête d’un repreneur. Ils sont donc des interlocuteurs très utiles pour les entrepreneurs préparant leur installation. Ils se sont d’ailleurs organisés en association professionnelle, le Club des managers de ville et de territoire.

  • Le programme national « Action Cœur de Ville »

Les pouvoirs publics ont lancé en décembre 2017 un plan national  « Action Cœur de Ville » destiné à revitaliser les villes moyennes en France métropolitaine et ultra-marine. 222 communes sont concernées par ce plan d’investissement public d’ampleur. Élaboré avec l’association Villes de France présidée par Caroline Cayeux, maire de Beauvais, avec les élus locaux et trois partenaires financiers nationaux, – la Banque des territoires, Action logement et l’Agence nationale de l’habitat -, ce programme vise à soutenir le travail des collectivités locales, à inciter les acteurs du logement, du commerce et de l’urbanisme à réinvestir les centres-villes, à favoriser le maintien ou l’implantation d’activités en cœur de ville, afin d’améliorer les conditions de vie dans les villes moyennes. Ces actions de revitalisation doivent mobiliser tant la commune que son intercommunalité ainsi que les partenaires publics et privés.

5 milliards d’euros doivent être investis sur cinq ans dans ce programme, dont 1 milliard d’euros de la Caisse des dépôts en fonds propres, 700 millions d’euros de prêts, 1,5 milliard d’euros d’Action logement et 1,2 milliard d’euros de l’Agence nationale de l’habitat (Anah).

  • Une stratégie nationale en faveur des entreprises de proximité

Agnès Pannier-Runacher, Secrétaire d’Etat

De son côté, Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, a présenté le 11 octobre 2019 une « Stratégie nationale pour l’artisanat et le commerce de proximité«  destinée à  « poser le cadre d’un accompagnement novateur et durable de l’Etat au bénéfice des professionnels de l’artisanat et du commerce de proximité afin de s’adapter aux enjeux actuels, au premier rang desquels figurent les transitions numérique et écologique. »

Les organisations consulaires CMA France et CCI France sont sollicitées pour prendre part à la mise en œuvre de ce programme qui concerne quelque 2 millions d’entrepreneurs : « chaque entreprise, où qu’elle se trouve sur le territoire, doit avoir une réponse à ses interrogations et être accompagnée en fonction de ses besoins, que ce soit pour se développer ou faire face à de nouveaux enjeux. »

Parmi les mesures annoncées, figurent des actions destinées à encourager le commerce de proximité et l’artisanat dans les territoires, précise le communiqué ministériel :

  • Les initiatives du ministère de la cohésion des territoires en faveur des villes moyennes et des zones rurales seront amplifiées.

Une étude relative à la vacance commerciale et à la situation des commerces des
villes moyennes a été lancée, conjointement avec le Commissariat général à l’égalité
des territoires (CGET). Ses résultats, attendus pour début 2020, permettront de mesurer
et suivre l’évolution des taux de vacance, de proposer un outil d’auto-diagnostic, un guide
de bonne pratique et de nouvelles mesures, à destination des élus locaux et des
managers de centre-ville.

L’objectif d’aider les artisans à trouver des locaux en centre-ville à coût peu élevé
sera poursuivi en mobilisant davantage les outils juridiques et financiers des
acteurs publics, tout en mettant en avant les bonnes pratiques de certaines
collectivités. Les artisans demandent que soit réservée une part de locaux dédiés aux
activités artisanales dans les projets d’aménagement des centres-villes et des zones
commerciales, avec un loyer modéré. Afin de répondre à cette demande, une convention
en ce sens sera négociée avec les différents partenaires concernés d’ici l’été 2020. Elle
comportera des engagements nationaux appelés à être déclinés localement dans les
projets urbains.

Un dispositif d’exonération facultative de la cotisation foncière des entreprises
(CFE) et de la taxe foncière (TF) sera créé pour les centres-villes de villes
moyennes, et les collectivités locales seront incitées à y recourir.

Mesures gouvernementales de soutien pour compenser l’impact du mouvement des Gilets jaunes

 

Auparavant, le 30 septembre 2019, Agnès Pannier-Runacher avait reçu les représentants des associations locales de commerçants fédérées au sein de l’association Commerçants et Artisans des Métropoles de France (CAMF), ainsi que les organisations professionnelles des secteurs du commerce et de l’artisanat.

Cette réunion a permis de faire un nouveau point de situation sur l’impact économique du mouvement des « Gilets jaunes » et la mise en œuvre des mesures de soutien engagées par le Gouvernement depuis le 26 novembre 2018.

Au 30 septembre 2019, l’appui en trésorerie aux commerçants et artisans s’élève à 370 millions d’euros, grâce aux délais et reports fiscaux (111 millions €) et sociaux (259 millions €). L’activité partielle a été sollicitée, au 23 août, par 1 503 entreprises, soit 39 007 salariés, représentant un montant de 3,3 millions € consommés sur 15,3 millions € de montants autorisés (chiffres France métropolitaine).

La secrétaire d’Etat a détaillé la mise en œuvre des premières opérations d’animation commerciale visant au retour de la clientèle dans les centres-villes impactés par les manifestations des Gilets jaunes  que 35 collectivités, dans 11 Régions, ont prévu de mener, avec l’appui de l’Etat qui y concourt, aux côtés des collectivités locales, à hauteur de 5,7 millions d’euros.

Agnès Pannier-Runacher a enfin indiqué que la sollicitation des mesures par des commerçants et artisans dont l’activité est impactée par des manifestations locales ponctuelles de Gilets jaunes reste possible, sur une base individuelle. Les CCSF (Commission des chefs de services financiers), dispositif de droit commun, peuvent également être saisies à tout moment par toute entreprise fortement fragilisée ayant des difficultés à régler une échéance fiscale ou sociale.

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Editions Le Cavalier Bleu – 2018

*  Sur les transformations de l’espace urbain, on lira avec intérêt l’ouvrage « Comprendre la ville » (éditions Le Cavalier Bleu – 2018), rédigé par des urbanistes, économistes, sociologues.

Il comporte notamment trois chapitres sur les thèmes suivants : « La renaissance du commerce de proximité« , « Internet révolutionne le point de vente » , « Du digital au point de vente« .