Dialogue social
Pourquoi ça marche dans les autres pays européens?

Le dialogue social en France est patraque. Il se résume souvent à un constat de désaccords quand il ne tourne pas à l’épreuve de force… Pourquoi nos voisins européens font-ils mieux que nous? Les 7èmes Rencontres du Dialogue Social* organisées cet automne par la Ville de Suresnes ont permis de faire un focus sur les pratiques dans d’autres pays d’Europe. Nous reprenons de larges extraits des présentations faites à cette occasion, avec l’aimable autorisation des organisateurs des Rencontres.

© Crédit photo : Pixabay

SUÈDE

L’efficacité du dialogue social en Suède repose sur un fort taux de syndicalisation : 70% des salariés adhèrent à un syndicat. Dans ce pays qui favorise le « compromis négocié » entre partenaires sociaux représentatifs et autonomes, la culture du contrat semble prévaloir sur la contrainte de la loi : ainsi il n’existe pas de salaire minimum, car il est négocié entre syndicats et patronat; de même pour la durée du travail qui est négociée au niveau de la branche ou de l’entreprise. L’âge légal de la retraite est de 65 ans, même si l’on peut partir avant : le système actuel qui mêle pragmatiquement répartition et capitalisation, est issu d’une réforme de fond en 2001, nécessitée par le problème de son financement… On dit que le modèle suédois a inspiré le projet d’Emmanuel Macron de « retraite à points ».

Dominique Anxo

♦ Dominique Anxo, professeur à l’Université Linné en Suède, titulaire de la chaire Économie du Travail, auteur de nombreux ouvrages :

« Le modèle suédois s’appuie sur des « compromis négociés » par des partenaires sociaux « puissants et autonomes »

« Pilier central du « modèle suédois », les relations sociales jouent un rôle fondamental dans la régulation du marché du travail et dans l’orientation du développement des structures salariales, des structures d’emploi et des compétences. Des partenaires sociaux puissants et autonomes, une forte densité syndicale associée à un taux de couverture des accords collectifs élevé, et à un dialogue social développé et institutionnalisé, sont les éléments constitutifs du système suédois des relations sociales.

« Ces éléments, associés à un système de négociation centralisé et coordonné à deux niveaux, et au fait que la plupart des dispositions de la législation relative au marché du travail pourraient être modifiées (en tout ou en partie) par des conventions collectives, créent un environnement institutionnel favorable à l’émergence de compromis négociés. Ces compromis permettent d’équilibrer flexibilité et sécurité sur le marché du travail.

« Bien qu’il n’existe aucune obligation légale en Suède en ce qui concerne les consultations entre le gouvernement/les autorités publiques et les partenaires sociaux, le dialogue social a une longue tradition et est bien établi. Les autorités publiques consultent régulièrement les partenaires sociaux qui constituent des acteurs clés des politiques publiques de l’emploi et des politiques sociales. Même si les consultations et l’échange d’informations sur les questions relatives au marché du travail entre le gouvernement, le Parlement les entreprises et les partenaires sociaux ont une longue tradition et caractérisent le processus politique, la nature des relations sociales en Suède reste essentiellement bipartite. Bien sûr, l’État est impliqué dans le dialogue social en tant qu’employeur, mais, au niveau central comme local, ce dialogue social se fait par l’intermédiaire d’organisations d’employeurs et de travailleurs.

« Malgré la nature principalement bipartite des négociations, les pourparlers tripartites existent et sont même favorisés. Le tripartisme permet alors d’aboutir à des conventions collectives globales, ou à des lois et règlements.

« La Suède constitue donc un bon exemple d’un régime de « flexisécurité », fondé sur la flexibilité négociée, dans lequel les partenaires sociaux sont largement associés, y compris en ce qui concerne les conditions de travail, la fixation des rémunérations au niveau local de l’entreprise ou au niveau de la branche, la formation professionnelle, et également le système de protection sociale (retraites et allocations de chômage notamment).

« Même si certains défis subsistent, notamment en ce qui concerne l’intégration de certains groupes de migrants au marché du travail, la nature bipartite du système suédois de relations professionnelles et le pouvoir équilibré entre les partenaires sociaux expliquent en grande partie les bons résultats de la Suède en matière de qualité de l’emploi, de conditions de travail décentes, d’égalité des chances et d’égalités de revenus. Selon l‘indice européen de justice sociale, qui couvre six dimensions (réduction de la pauvreté, égalité face à l’éducation, accès au marché de l’emploi, cohésion sociale et absence de discrimination, santé et justice intergénérationnelle), la Suède était en première position en 2016 – position qu’elle maintient depuis 2008 – suivie par la Finlande et le Danemark. »

 

DANEMARK

Tore Keller

♦ Tore Keller, attaché aux Affaires politiques et économiques de l’ambassade du Danemark en France, ancien correspondant du journal « Borsen » à Bruxelles et Paris:

« Le Danemark représente un des régimes les plus libéraux en Europe en matière de flexibilité »

« La « flexisécurité » est un modèle très spécifique au Danemark, développé depuis plusieurs générations. Ce système donne beaucoup de flexibilité aux entreprises et aux travailleurs, en leur permettant de mettre fin très facilement à un contrat, dans un délai de un à trois mois.

« La raison pour laquelle cela fonctionne et qui fait que les Danois peuvent dormir tranquillement la nuit, c’est parce que ce régime présente aussi de la sécurité pour les travailleurs : les travailleurs qui perdent leur travail ont droit à des revenus de remplacement très généreux et un effort particulier de formation est déployé.

« Au Danemark, les cotisations sont payées par les travailleurs et non par les entreprises. Le demandeur d’emploi a droit aux allocations de chômage durant deux ans sur une période de trois ans. Le système d’assurance chômage s’est donc adapté aux mutations du marché du travail en prenant en compte les risques de ruptures professionnelles et l’augmentation du temps partiel. Le message envoyé est le suivant : « si vous perdez votre travail, votre vie privée n’en sera pas impactée pour autant.« 

« Le système est payé partiellement par les travailleurs sur leur assurance chômage, mais la plus grande partie est à la charge de l’état. L’inconvénient, c’est que ce système est relativement cher…

« Les Danois payent donc des impôts relativement élevés pour financer le système de protection sociale dont ils bénéficient. Mais ils acceptent ce qui constitue d’une certaine manière le prix de la sécurité, parce que la plupart bénéficient d’avantages sociaux sous une forme ou une autre. Au Danemark, les citoyens préfèrent ce système de protection sociale plutôt que des réductions d’impôts.

« Cela ne veut pas dire que ce système est statique : les gouvernements des 30-40 dernières années ont accompli des réformes et des ajustements de ce régime, pour s’assurer que l’argent des contribuables est utilisé le plus efficacement possible.

« Résultats : Le taux de chômage est inférieur à 5% et continue à diminuer (actuellement 4,3%). Le taux de chômage des jeunes est un exemple de réussite dans une perspective globale. Pour beaucoup de raisons, les situations en France et au Danemark ne sont pas comparables, mais à titre d’exemple on peut mentionner que le taux de chômage des 16-24 ans en France est de 20% alors qu’au Danemark nous sommes en dessous de 3% (2,8%). De même, le pourcentage de chômeurs de longue durée au Danemark est de 23,6%. En France il est de 42,7%.

« En septembre 2017, 90% des jeunes danois en formation technique avaient trouvé une place d’apprentissage. C’est la première étape pour établir une relation avec le marché du travail.

« Pour autant, ce système oblige-t-il les Danois à prendre un travail ou une formation qu’ils ne souhaitent pas ?C’est effectivement le principe. Sinon, vous ne pouvez pas bénéficier de revenus de remplacement très généreux.

« Mais il y a beaucoup de flexibilité dans cette partie du système aussi et, en tant que demandeur d’emploi, vous avez beaucoup d’influence sur la formation à suivre et le secteur dans lequel vous cherchez du travail. Quand vous êtes au chômage, vous pouvez aussi partir en vacances, mais vous êtes obligé de rester disponible pour le marché du travail. Vous êtes obligé de notifier votre période de congés aux autorités.

Flexibilité et adaptation continue

« Cette flexibilité permet aux entreprises de s’adapter aux changements conjoncturels et, globalement, il n’y a pas de grande différence entre les travailleurs sous contrat CDI et ceux en CDD.

« Comme les travailleurs qui ont 45-55 ans n’ont pas peur de ne pas trouver un nouveau travail, ils laissent plus facilement de la place pour les jeunes sur le marché du travail!

« La formation continue – également pendant les périodes de chômage – permet à l’industrie danoise de s’adapter tout le temps. Cela donne une base pour l’innovation. Par exemple, avant, nous construisions des bateaux porte-conteneurs. Maintenant nous construisons des turbines éoliennes sur le même site. Cela est possible parce que la main-d’œuvre danoise s’est adaptée en suivant des formations. »

 

ALLEMAGNE

Contrairement à la culture conflictuelle qui prédomine en France – héritée d’une tradition anarcho-syndicaliste-, en Allemagne, syndicats et patronat ne se prévalent pas d’intérêts contradictoires entre le capital et le travail.              Il y a longtemps que la « cogestion » s’est imposée dans de nombreuses entreprises, avec la participation active de représentants des salariés aux conseils d’administration. Comme l’a souligné, lors des 7ème Rencontres du Dialogue social à Suresnes, la représentante du BDA, le patronat allemand, Renate Hornung-Draus,  « en Allemagne, on ne déclenche une grève qu’après l’échec des négociations »…  Alors qu’en France, la grève est bien souvent le préalable à la négociation!

Renate Hornung-Draus, BDA

♦ Renate Hornung-Draus, directrice générale et directrice des pays d’Europe et des Affaires internationales de la confédération des associations allemandes d’employeurs (BDA):

« L’Europe sociale ? une sur-réglementation centralisée et bureaucratique… »

« Durant les premières décennies de l’intégration européenne, le concept d ‘«Europe sociale» était à juste titre associé aux effets socialement bénéfiques de l’intégration économique induite par le marché unique européen: plus d’emplois et plus de prospérité. En conséquence, la législation sociale européenne s’est concentrée en premier lieu sur les règles de coordination des systèmes d’assurance sociale et sur un petit nombre de droits fondamentaux et de normes minimales nécessaires pour garantir des conditions de concurrence équitables au sein du marché unique. Cette orientation a été modifiée au cours de phases successives – par exemple, après les crises pétrolières des années 1970 et avec l’introduction de l’Union économique et monétaire par le Traité de Maastricht au début des années 90 – par le passage à une approche plus réglementaire…

« Compte tenu de la vaste législation sociale de l’Union européenne (UE) qui a été adoptée et de l’élargissement prochain de l’UE aux anciens satellites soviétiques d’Europe orientale, l’accent a été mis à juste titre sur la coordination de la politique sociale nationale à l’échelle de l’UE. Toutefois, depuis la crise économique et financière de 2008, notamment depuis la nomination de Jean-Claude Juncker au poste de président de la Commission européenne (2014), la politique sociale et européenne a été centralisée et rendue plus bureaucratique à une échelle sans précédent: en réalité, la dimension sociale de l’UE a été assimilée à la quantité de législation sociale au niveau de l’UE, les propositions législatives empiétant de plus en plus profondément sur les systèmes nationaux de droit du travail, d’assurance sociale et de relations professionnelles qui ont évolué de manière très différente et provoquent des dysfonctionnements massifs.

« Les partenaires sociaux européens, investis de pouvoirs plus importants par le traité de Maastricht, ont été rétrogradés au rang de simples porteurs de sacs à main, la Commission européenne ne tenant tout simplement pas compte de l’autonomie du dialogue social européen.

« Dans le même temps, en particulier en ce qui concerne le développement de l’Union économique et monétaire, la politique sociale s’éloigne de plus en plus de la coordination des politiques nationales au profit de paiements de transfert qui sont appelés « des stabilisateurs automatiques » pour contrer les chocs asymétriques dans la zone euro.

« Tous ces développements nuisent maintenant considérablement au marché unique et à l’expansion économique des entreprises opérant au-delà des frontières.

« L’avenir de l’Europe sociale doit être repensé en profondeur sur les fondements économiques du progrès social et sur la manière dont l’action au niveau européen dans le domaine de la politique sociale doit être structurée de manière à générer une réelle valeur ajoutée pour les citoyens de l’UE. »

 

>>> Retrouvez en vidéo toutes les interventions et les débats  des 7èmes Rencontres du Dialogue Social organisées par la Ville de Suresnes

* Ces Rencontres sont organisées par la Ville de Suresnes sous le haut patronage du bureau de l’OIT pour la France et le Global Deal

 

  • Intertitres et commentaires de cet article ont été rédigés par la rédaction de Consulendo