BREXIT
Et maintenant?

Le 31 janvier 2020 à minuit, le Royaume-Uni a officiellement quitté l’Union européenne. Conséquence du choix exprimé le 23 juin 2016 par 51,9% des Britanniques en faveur de la sortie de l’Union. Après trois ans et demi de débats et de tergiversations, et une période de « transition » qui s’est ouverte, une nouvelle page des relations tumultueuses entre l’Ile et le Continent va s’écrire. Nous publions le point de vue d’Olivier Morel, avocat d’affaires à Londres, connaisseur avisé de l’écosystème des entreprises franco-britanniques.*

 

Et maintenant ?

Par Olivier Morel *

 

Alors que le Royaume-Uni vient de larguer les amarres de l’Union européenne, voici pèle-mêle mes sentiments après cette sorte d’‘apnée émotionnelle’ que le Brexit nous a fait vivre.

D’abord, le soulagement. Le retour à une certaine normalité. Et surtout la quasi disparition du Brexit dans les esprits et les discours, a ramené un « business as usual«  bienvenu, aidé en cela par les fêtes de fin d’année – moins de Twitter, plus de temps passé en famille autour de la dinde et du Christmas pudding…

Il reste intéressant de se pencher sur la recette du triomphe de Boris Johnson dans les urnes : la limpidité du message « Get Brexit done » (appliquons le Brexit). C’est simpliste et ça a fonctionné à merveille, auprès d’un électorat épuisé par trois ans et demi d’attente d’un dénouement qui ne venait pas. Le parallèle avec la campagne victorieuse du camp du Leave (les partisans de la sortie de l’Union-NDLR) en 2016 est saisissante : le slogan « Take Back Control » (reprenons le contrôle) avait alors fait merveille. Tout le génie (diabolique) de Dominic Cummings, le Raspoutine de Boris Johnson et architecte des deux campagnes, est la simplicité du message pour faire appel à un électorat qui ne croit plus du tout à la véracité du discours politique, mais qui est prêt à suivre quelqu’un qui présente une solution en apparence simple, rapide et indolore à tous leurs maux. (…)

Retenons un autre élément de la tactique électorale élevée en stratégie et qui a servi le Premier ministre britannique : sur un sujet aussi clivant que le Brexit, mieux vaut une élection qu’un référendum. Lors d’un scrutin uninominal majoritaire à un tour, le candidat qui remporte le plus grand nombre de voix est élu, et il n’y a pas de deuxième tour. Il est donc possible de l’emporter avec 43,6% des voix dans le pays, comme ce fut le cas le 12 décembre 2019, ou même les 36,8% qui permirent à David Cameron d’obtenir une majorité de sièges pour les Conservateurs en 2015. Par contraste, un référendum demande 50% des suffrages plus une voix pour l’emporter – la marche est plus haute…

Zizanie dans le camp pro-européen et accumulation de lieux communs

On ressent une vive exaspération vis-à-vis des forces politiques du camp du Remain (les partisans du maintien au sein de l’Union européenne – NDLR) : campagne inepte, tant en 2016 qu’en 2019, et n’ayant rien appris de la déroute du référendum, avec en prime, en 2019, la zizanie au sein même des différentes factions du camp pro-européen ; une opposition travailliste inexistante et une campagne électorale des Libéraux Démocrates absurde.

L’agacement aussi à l’encontre de ces Britanniques qui se découvrent une passion européenne tardive. Où étaient-ils ces centaines de milliers de manifestant pro-européens qui ont défilé dans les rues de Londres ces mois derniers, lorsqu’il y a 30 ans, Boris Johnson, alors journaliste en poste à Bruxelles, contribuait à la petite musique anti-européenne en publiant des articles résolument eurosceptiques ? (…) Le propriétaire du Daily Telegraph de l’époque, Conrad Black, dira de lui : « L’efficacité de Johnson comme correspondant à Bruxelles était telle qu’elle a grandement influencé l’opinion publique britannique sur les relations de ce pays avec l’Europe ». (…)

J’ai aussi entendu pas mal d’approximations et de formules creuses dans les médias français autour du 31 janvier: soit en essayant de démontrer que le Brexit sera forcément une catastrophe, soit en affichant le gros titre volontairement provocateur « Le Brexit va-t-il marcher ? ». Bref, il faut communiquer à tout prix, il faut exprimer un avis, même mal informé…

Tout comme l’idée du Brexit, ça sonne creux. Le fil rouge de ces lieux communs est la tentative de réduire un problème complexe en une série de clichés et de formules chocs.

Je suis persuadé comme je l’ai souvent dit que quand on est une petite île pluvieuse et ventée dans le nord-est Atlantique au XXIème siècle, il ne fait pas bon être seul, mais les conséquences de ces événements se mesurent à l’échelle de décennies.

Le Brexit a cela de commun avec l’environnement : toute une série d’actes semble-t-il anodins, de décisions en apparence sans conséquences et n’ayant que peu de liens entre elles prendront tout leur sens des décennies plus tard, avec des impacts parfois catastrophiques, à un moment où il est trop tard pour inverser la vapeur.

Les investisseurs respirent…

Ceci étant, et comme je le constate depuis quelques semaines, les investisseurs européens ‘respirent’ à nouveau, pour reprendre mon image de l’apnée. Ils s’intéressent toujours aux entreprises britanniques et au marché du Royaume-Uni : deux acquisitions en cours et quatre en préparation, sans parler des projets d’expansion.

« Londres demeure un carrefour d’affaires mondial et multiculturel »

Ces opérations ont toutes en commun que ces investisseurs – qu’ils soient français, espagnols, ou allemands – voient dans le Royaume-Uni un marché de 67 millions d’habitants solvables et une économie de la taille de celle de la France ; une attitude pro-business et la facilité de faire des affaires ; sans mentionner le carrefour d’affaires mondial et multiculturel qu’est Londres.

Nous n’avons pas évoqué le Brexit une seule fois dans les projets de fusions-acquisitions que je mentionne plus haut. L’activité de conseil a repris vigoureusement après Noël, comme si les entreprises respiraient enfin après des mois à retenir leur souffle, paralysés par l’incertitude – « Dans le doute abstiens-toi !».

Pourtant le Brexit est venu se rappeler à moi de manière imprévue, sous les traits de cette dame d’un certain âge, une Britannique parlant un français parfait, ancienne professeure à Sciences Po, croisée dans un cocktail il y a quelques jours. Nous bavardions plaisamment, elle évoquait ses souvenirs de la fac de Nanterre en mai 68, lorsqu’au détour d’une phrase et sans avoir l’air d’y toucher elle m’annonce qu’elle avait voté « Leave » et m’assure que « tout ira bien ; je me souviens avant de rejoindre la CEE on devait prendre un visa…». J’ai répliqué, sans doute un peu sèchement, que je n’étais pas d’accord et que, même si la catastrophe annoncée par le camp Remain n’arrivait bien sûr pas, être seul quand on est une petite île pluvieuse et ventée dans le nord-est atlantique dans la première moitié du XXIème siècle n’est pas un sort enviable géopolitiquement… Elle m’a alors rétorqué avec un sourire que si j’étais ici, c’est que j’étais content d’y être ; mais « si vous n’êtes pas heureux ici, rentrez chez vous ! »… Je lui ai juste répliqué que j’avais la double nationalité, suffisamment interloqué pour oublier de lui répondre qu’en tout état de cause j’avais bien l’intention de rentrer chez moi ce soir, dans le Kent…

Comme quoi, chassez le Brexit, et il revient au galop ! Il faut donc savoir séparer les sentiments personnels de la réalité professionnelle, et Londres demeure un havre de cosmopolitisme.

Qu’est-ce qu’un demi-siècle à l’aune de nos histoires millénaires ? Que représente cette période pendant laquelle le Royaume-Uni fut membre de l’Union européenne (depuis 1973), pour de vieilles nations comme la France et le Royaume-Uni ? Alors que nous baignons dans une actualité historique qui envahit notre horizon, relativisons : c’est une période moins longue que les règnes de Louis XIV (72 ans) ou Louis XV (59 ans) ; à peine plus longue que le règne d’Elizabeth I (44 ans) et plus court que celui de George III (59 ans) et évidement celui de Victoria (63 ans) ; plus de trois fois moins long que les quelque 130 ans entre la conquête de l’Algérie par la France et son indépendance il a près de 60 ans ; bien loin de la durée du British Raj en Inde (89 ans – voire 190 ans si y on y ajoute la période de gestion par l’East India Company). Enfin et non des moindres, moins de la moitié de la durée de la Guerre de Cent Ans (qui a en fait duré ‘officiellement’ 116 ans), symbole de notre éternelle rivalité et de la consanguinité des histoires de nos deux pays.

Les historiens observeront donc peut-être qu’entre le dernier quart du XXème siècle et les deux premières décennies du XXIème, le Royaume-Uni a fait partie du plus ambitieux et du plus grand groupe de libre échange et de libre circulation au monde établi entre des pays indépendants…

Quoi qu’il en soit, la vie continue et le mot d’ordre dominant dans les milieux d’affaires à Londres est désormais un pragmatique « Let’s get on with it ! » (allons de l’avant, malgré tout !)

O.M.

Olivier Morel, vice-président de la French Chamber of Great-Britain, Londres

 

 

* Binational, avocat français et solicitor anglais, associé d’un cabinet britannique, Olivier Morel préside le Comité UK des Conseillers du Commerce Extérieur de la France. Il est aussi le vice-président de la French Chamber of Great-Britain.
Né en France, Olivier Morel entame sa quatrième décennie au Royaume Uni ; il est l’auteur de plusieurs articles et ouvrages et anime aussi un blog « Les chroniques du Brexit »

 

 

Business : des relations bilatérales qui comptent

Selon le cabinet de conseil Pramex International, on dénombre plus de 800 entreprises françaises présentes physiquement au Royaume-Uni à travers 1 361 filiales et, parmi celles-ci, 861 filiales de PME et
d’ETI (soit 63 % des filiales françaises au Royaume-Uni).

Les échanges commerciaux entre la France et le Royaume Uni se sont élevés à 92 milliards d’euros, en 2017, et un niveau probablement équivalent en 2018.

Plus de 36 millions de personnes transitent chaque année de part et d’autres de La Manche, en train, ferry ou avion.

Période de transition

Pour aider les PME-ETI à mieux se préparer au Brexit, le portail de la direction générale des Douanes propose un dossier avec de nombreuse informations pratiques sur les conséquences concrètes pour les entreprises de la sortie du Royaume Uni de l’Union européenne. Il est notamment précisé que le droit de l’Union européenne cessera de s’appliquer au Royaume-Uni à l’issue de la période de transition prévue jusqu’au 31 décembre 2020 :
« La période de transition définie par l’accord de retrait garantit que, pendant l’année 2020, rien ne change pour les particuliers et les entreprises, afin de laisser le temps à chacun de préparer la mise en œuvre de l’accord de retrait et d’anticiper la relation future entre l’UE et le Royaume-Uni, qui doit encore être négociée. »

>>>Portail de la direction générale des douanes et droits indirects

♦ Pour mieux comprendre l’historique du Brexit, lire aussi  le dossier de Toute L’Europe