#LEMONDED’APRÈS (II)
L’État-providence est de retour!

La crise sanitaire née de la Covid-19 a redonné aux pouvoirs publics un rôle de premier plan dans l’économie. Ce retour en force de l’État réveille chez nous les vieux réflexes de l’interventionnisme et du dirigisme économique. Et certains en redemandent! Quel modèle économique et social voulons-nous? Consulendo poursuit sa série d’analyses sur le « monde d’après ».

 

L’État-providence est de retour!

Faut-il s’en réjouir? Faut-il s’en inquiéter?

 

crédit photo : Gerd Altmann – Pixabay

Avec la crise sanitaire, l’État a retrouvé son rôle de «sauveur en dernier ressort» de l’économie.

Ce retour en force de l’intervention de la puissance publique dans la vie économique et dans la vie quotidienne des Français, réjouit certains – ceux qui demandent toujours « Plus d’État » et plus de protections –, tandis qu’il inquiète les défenseurs de l’économie de marché : ils redoutent la restauration de « l’économie administrée« , une veille tradition française,  après plusieurs décennies de réhabilitation de l’initiative privée dans un pays centralisé et colbertiste…

Rappelons que c’est à la faveur de deux grandes fractures historiques que s’est imposée cette notion d’Etat-providence : la crise de 1929 ; la Reconstruction consécutive à la Seconde Guerre mondiale… *

La crise née de la pandémie Covid-19 a redonné l’avantage à l’État central : il s’est, en quelque sorte, attribué les pleins pouvoirs dans le cadre d’une loi d’exception – l’état d’Urgence sanitaire – heureusement de façon temporaire.

La mise sous cloche de l’économie à compter du 14 mars minuit a provoqué l’arrêt brutal de l’activité de secteurs entiers et le contexte anxiogène de la crise sanitaire continue à peser sur la reprise progressive de l’activité depuis le 11 mai, reprise qui est plus lente en France que dans d’autres pays européens.

Les conséquences de cette situation devraient se traduire par une chute de la production nationale de 10 à 12 % en 2020…

Aux yeux de nombreux acteurs économiques, il apparaissait presque normal que l’État vole au secours des entreprises, puisqu’il était à l’origine de la disparition ou de l’effondrement de leur chiffre d’affaires…

 

On commence à chiffrer l’ampleur du soutien public à l’économie:

L’intervention de l’État atteindrait 450 milliards d’euros (en cumulant les différents dispositifs d’aides, de garanties et allègements de charges), ce qui entraînera un déficit budgétaire historiques de 220 milliard d’euros en 2020. Du jamais vu !

 

« Argent magique »

Un tel déficit équivaut aux recettes cumulées de la TVA de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés, autant dire la quasi-totalité des recettes budgétaires !

Dans une de ses interventions, le président Macron avait rappelé à ses interlocuteurs qu’il n’y a pas d' »argent magique » Pourtant les Français sont fondés à le croire. Tant la crise du coronavirus a fait sauter en éclat toutes les règles de l’orthodoxie économique en vigueur… Oubliée la sacro-sainte référence européenne au ratio du déficit des comptes publics limité à 3% du PIB!

  • Les États et les banques centrales se sont entendus pour recourir à la vieille (et dangereuse!) recette de la planche à billets. La monnaie ainsi créée par les banques centrales, en soutenant un endettement illimité des États, ne correspond, pour l’instant, à aucune création de valeur dans l’économie productive… Cette opération repose sur le pari (risqué) que cette nouvelle monnaie injectée dans les circuits économiques, via le réseau bancaire, stimulera une relance économique et finira par générer plus de richesse économique que la crise n’en a détruit. Mais, in fine, cet endettement public devra être remboursé d’une manière ou d’une autre. 

 

Le retour en grâce des « planificateurs »

crédit photo : Gerd Altmann – Pixabay

En fait, n’ assiste-t-on pas à une forme de re-nationalisation de l’économie?

Via le dispositif de l’activité partielle (dit « chômage » partiel), 12 millions de salariés au plus fort de la crise ont vu leurs salaires dépendre de la puissance publique… Si l’on y ajoute les 6 millions de fonctionnaires et assimilés, c’est comme si l’État était subitement devenu l’employeur de 70% de la population active!

Dans les secteurs comme l’automobile ou l’aérien, l’Etat a aussi repris la main pour « sauver » des entreprises emblématiques comme Renault et Air France, en apportant des capitaux importants, assortis de contreparties sous forme d’engagements (en termes d’emploi, de localisation industrielle et/ou de transition écologique)

Le gouvernement prépare par ailleurs un « Plan de relance » économique pour la rentrée, à travers lequel la technostructure colbertiste va se faire fort de redéfinir « d’en haut » les axes stratégiques, les innovations-clés, les priorités industrielles, les secteurs prioritaires à soutenir… Les adeptes de la planification publique (enterrée dans les années 1990) se frottent les mains de voir renaître cet outil de pilotage emblématique du dirigisme économique.

N’oublions pas que ce colbertisme industriel a certes montré ses avantages dans le passé, en affichant à son bilan le Plan Calcul, le TGV, l’indépendance énergétique… mais en étant aussi à l’origine de projets surdimensionnés ou controversés, comme le Concorde ou l’EPR nucléaire.

Ce retour à une  intervention massive de l’État dans l’économie s’opère dans un pays ou le poids de la dépense publique est déjà l’un des plus élevé de l’OCDE (voisin des ratios du Danemark) : 56% du PIB avant la crise; cette proportion pourrait atteindre 64% pour l’année 2020!

Cette particularité française a souvent été pointée du doigt comme l’un des principaux handicaps structurels français en matière de compétitivité, même si elle offre l’avantage de fournir à la population un coussin amortisseur des crises.

Cependant la France redémarre toujours avec plus de retard à l’allumage que ses voisins européens…

Xavier Fontanet

Cette situation a inspiré à Xavier Fontanet, l’ex-PDG d’Essilor, aujourd’hui professeur à HEC et chroniqueur, la métaphore qu’il ne manque jamais une occasion de citer :

« La France est un des rares pays ou le jockey (l’État) pèse plus lourd que le cheval (l’économie de marché)…

 

On rappellera que la ponction totale des prélèvements fiscaux et sociaux sur l’activité a franchi à l’automne 2018 la barre historique des 1000 milliards d’euros ! Soit 44% de la richesse nationale produite en 2018 (le PIB se montant à 2282,8 milliards d’euros).

Se pose donc le coût financier et les effets indirects de l’interventionnisme économique des pouvoirs publics.

Au nombre des effets pervers de cette ponction publique grandissante, il y a  l’effet dissuasif sur le dynamisme de la société civile : la charge de plus en plus lourde des prélèvements obligatoires sur les actifs et les entreprises finit par restreindre le potentiel de croissance économique, en décourageant l’initiative et la prise de risque par les entrepreneurs : Pourquoi travailler plus, pourquoi facturer davantage, si mon gain marginal est « confisqué » par l’État ?

Il serait, en effet, intéressant d’évaluer la part supplémentaire du PIB qui n’est pas produite chaque année par crainte que celle-ci ne soit reprise par l’État : un manque à gagner pour tout le monde ! Sans compter l’incitation à tout un champ d’activités « souterraines » pour échapper au fisc…

En économie ouverte, les plus créatifs et les plus industrieux sont enclins à aller s’installer là où la création de richesses est la moins taxée… Et donc à se « délocaliser ».

Cette intensification de l’intervention de l’État s’opère au prix de l’augmentation astronomique de notre dette publique (qui devrait grimper cette année à 120% du PIB!). Certes la France bénéficie de taux d’intérêt très bas, mais elle ne peut accroître indéfiniment son endettement et dépenser ainsi « à découvert »…

Les Français sentent bien qu’il faudra que quelqu’un paye un jour la note!

Même si le ministre de l’Economie Bruno Le Maire assure que le caractère massif de l’intervention publique ne peut être que temporaire, jusqu’à retour à meilleure fortune.

Il n’en reste pas moins que cette « largesse » de l’État  est un signal symbolique qui n’échappe pas aux partenaires sociaux.

Les syndicats de salariés, notamment dans le secteur public, seront fondés à souligner qu’en matière de dépenses, « ce qui paraissait impossible hier, le devient aujourd’hui »…

On relèvera aussi que le Medef, dans ses propositions de relance présentées le 28 mai, ne répugne pas à solliciter le soutien de la puissance publique ( par exemple pour distribuer des « éco-chèques » aux consommateurs afin de relancer les achats « verts »), tandis que la CPME demande le prolongement du dispositif de « chômage partiel » pour aider les entreprises qui ne pourront pas reprendre de sitôt l’ensemble de leurs collaborateurs, faute de carnets de commandes suffisants…

Clarifier la  répartition des rôles entre l’Etat et les entreprises

crédit photo : Gerd Altmann – Pixabay

Regroupant des entreprise à forte croissance et des ETI, le mouvement Croissance Plus, incite dans une tribune à une clarification des rôles entre le public et le privé : « S’il revient à l’État de jouer un rôle de soutien pendant la crise sanitaire pour protéger les citoyens, aider les entreprises à tenir leur rôle et éviter l’effondrement économique, ce sont les entreprises, petites et grandes, qui seront moteur dans la mise en place d’un plan de reprise ambitieux, en responsabilité et en solidarité. »

Une remarque qui fait écho a l’appel lancé au mois d’avril par des économistes libéraux « contre le virus de l’interventionnisme »:

« De tous bords politiques émanent des déclarations pour renforcer la mainmise de l’Etat sur la société civile. Les uns en appellent à des nationalisations, d’autres veulent en finir avec la mondialisation, d’autres encore imaginent un endettement sans limite. La plupart des déclarations vantent les mérites de l’Etat Providence et appellent de leurs vœux la rupture avec une société de liberté pour lui substituer une société de commandement. Nous considérons au contraire que les crises qui secouent notre pays depuis plusieurs décennies sont dues principalement à l’Etat Providence, qui prétend s’occuper de tout, avec la centralisation, la bureaucratie et les gaspillages que cela représente, et qui valent à la France le record des dépenses publiques, des prélèvements obligatoires et des réglementations arbitraires. C’est dans un des pays européens où la santé publique représente la part la plus élevée du PIB que l’encombrement hospitalier et le manque de praticiens se sont révélés dramatiques (…)

Et de réclamer une « séparation aussi stricte que possible de la sphère de l’Etat de celle de la société civile« , et que « les mesures exceptionnelles adoptées (soient) destinées à disparaître une fois la crise passée. »

Notre modèle économique et social peut-il perdurer ainsi?

© Crédit photo : Pixabay

Dans une note publié pendant la période de confinement, Paul Allibert, directeur général de l’Institut de l’Entreprise rappelle que l’État-providence ne peut exister sans une économie dynamique :

« La création de richesses par les entreprises permet avant toute chose aux multiples parties prenantes de se nourrir, de se loger, de consommer, de faire des études, de payer leurs impôts, d’investir. La continuité de la création de richesse n’est pas optionnelle pour elles, pas plus qu’elle ne l’est pour les finances publiques qui ne peuvent prospérer éternellement sur la dette. »

Et de questionner le « modèle économique » de notre modèle social: 

« La France est littéralement suspendue à l’argent public, au point qu’il est permis de s’interroger sur la survie de son modèle socio-économique, fondé notamment sur une protection sociale très favorable, la prise en charge de l’enseignement, et des infrastructures publiques de qualité. En effet, ce système, qui est rendu possible par la production initiale de richesses par les 18,5 millions de citoyens travaillant encore début mars 2020 au sein des entreprises ou en tant qu’indépendants, souffre de trois maux.

  • Le premier, conjoncturel, est que la crise du Covid-19 a soudainement et temporairement asséché sa source de financement : au 21 avril 2020, 10,2 millions de personnes avaient basculé dans le chômage partiel.
  • Le second, structurel, est que cette richesse ne suffisait de toute manière plus à financer les dépenses publiques en temps normal, puisque l’État emprunte une partie de son budget annuel depuis plus de 30 ans.
  • Et le troisième, sans issue claire, est que l’importance de ses dépenses va croître de manière colossale pour un temps. (…) Par conséquent, il y a une véritable inconnue sur la pérennité intrinsèque du modèle socio-économique français qui, avant la crise, était déjà en souffrance et sans marges de manœuvre claires. (…)   Nous ne savons donc pas combien de temps il faudra pour passer d’un modèle soutenu par la dette à un modèle autoporté par une population active plus productive, ni même si c’est possible. (…)

L’issue ne peut être positive que si les entreprises sont mises en situation de pouvoir produire davantage de richesses. Un pari qui semble d’autant plus difficile que l’avenir proche est fait d’incertitudes durables, concernant la situation sanitaire et l’unité européenne. »

 

* À propos de l’État-providence

crédit image: Mirko Grisendi – Pixabay

A la suite de la grande dépression économique de 1929 et son cortège de malheurs, l’État-providence (Welfare State) s’est progressivement imposé comme la forme moderne de la démocratie dans les pays occidentaux. L’objectif étant de garantir à tous les citoyens un niveau de vie « décent » via un ensemble de prestations sociales et de mécanismes de redistribution de la richesse nationale produite.

Parfois assimilé à la social-démocratie, l’État-providence s’appuie sur l’économie de marché et se veut une alternative au système communiste vers lequel de nombreux pays se sont tournés au cours du 20ème siècle.
Mais, au fil du temps, l’État-providence a étendu son emprise sur les actes de plus en plus privés de la vie quotidienne, supplantant les anciennes solidarités traditionnelles et annexant des domaines relevant précédemment de l’assurance volontaire.

Monstre bureaucratique: avec la généralisation et la sophistication des moyens informatiques de gestion, l’État-providence s’est mué en un monstre bureaucratique, envahissant, inquisiteur et de plus en plus coûteux…

En France, c’est sous l’impulsion du Conseil national de la résistance que ce programme a été progressivement mis en œuvre au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et institutionnalisé dans le préambule de la constitution de 1946 (repris dans celle de 1958 instituant la 5ème République).

Ce qui est souvent qualifié comme le  « modèle Français » contient un ensemble de dispositifs de transferts sociaux opérés via l’État et via un système d’assurances publiques ou mutualistes obligatoires : Sécurité sociale, retraite, allocations familiales, assurance-chômage, indemnités d’invalidité, RMI/RSA, salaire minimum, allocations logement, école publique, etc.

Cependant, deux caractéristiques de notre système social sont régulièrement au centre des débats et des controverses : sa complexité et son coût croissants.

  • Complexité : cohabitent des systèmes privés (médecine, pharmacie, éducation) et des systèmes publics ; coexistent des structures publiques, associatives, mutualistes, des formes de gestion publique et des formes paritaires (Etat-syndicats-assurés) ; coexistent une multitude de régimes spéciaux en matière de sécurité sociale (ex. RSI) ou de retraite… Tout ceci a engendré un « monstre bureaucratique » chargé d’administrer, plus ou moins efficacement, une énorme machine qui doit, à la fois, collecter, recenser, contrôler, redistribuer, évaluer, sanctionner…

 

  • Coût : nos dépenses sociales se situent, en pourcentage du PIB, 10 points en moyenne au dessus des autres pays de l’OCDE.

Face au coût croissant de notre « modèle social », les Français peuvent légitimement se poser la question : « En avons-nous pour notre argent ? »

Un euro de dépenses publiques chez nous est-il aussi efficace qu’ailleurs?  Alors que les dépenses de santé ne sont pas proportionnellement au PIB plus élevées en Allemagne qu’en France, la crise de la Covid-19 a mis à nu les dysfonctionnements de notre système hospitalier et montré que le système outre-Rhin était plus efficace…

J.G.

>>> lire aussi:

#LEMONDED’APRÈS (I)
Tendances et changements à venir dans l’économie et les entreprises

 

>>> Nos prochains dossiers:

  • Le télétravail est-il l’avenir du travail?
  • Un consommateur plus suspicieux, plus exigeant et plus engagé 
  • Quel rôle pour les entrepreneurs?