BUREAUCRATIE
Défendre des usagers « épuisés » par la complexité administrative

L’emprise de la bureaucratie dans nos vies quotidiennes s’est aggravée, malgré ou à cause de la généralisation des technologies numériques. La crise sanitaire n’a fait qu’accroître la suradministration. « Jamais nos vies n’ont été autant administrées et soumises à la rationalisation bureaucratique… » s’alarme un groupe de députés qui veut lutter contre le risque de « burn-out administratif » des usagers.

 

 

crédit photo : Arek Socha – Pixabay

Qui n’a jamais été en butte à des tracasseries administratives?

Les situations les plus bégnines peuvent prêter à sourire, inspirer la satire façon Courteline ou Daumier ou l’ironie grinçante, mais certaines personnes peuvent du jour au lendemain se retrouver piégées dans un univers kafkaïen, aux prises avec des difficultés inextricables ou perdues en Absurdistan.

Le passage au numérique dans la gestion de la relation Administration-usagers, s’il a facilité des démarches courantes, permis de notables gains de temps, a aussi généré complications, incompréhensions, blocages, bugs et contentieux. Surtout, il s’est traduit par une déshumanisation de cette relation : aujourd’hui, il devient quasi-miraculeux de pouvoir joindre au téléphone un interlocuteur en chair et à os dans une grande organisation…

A cela s’ajoute la spécificité française avec son « millefeuille administratif », empilant les strates de décision, source de complications, doublons et lenteurs, dans un pays qui reste encore très centralisé alors que les effectifs de la fonction publique territoriale ont explosé …

Pourtant, le gouvernement s’est engagé avec la loi « ASAP » (cf. infra) et le programme Services publics Plus à améliorer la relation de l’Administration avec ses usagers et à faire la chasse aux « situations absurdes ». Mais l’hydre bureaucratique a tellement grossi au cours des décennies que la tâche semble herculéenne!

De plus, la crise sanitaire a étendu l’emprise de la bureaucratie sur notre quotidien. Avec une inflation de textes, directives, règlements, instructions, formulaires et contrôles…

Valérie Petit, députée du Nord, Groupe Agir ensemble (DR)

Associée à la majorité présidentielle, à travers le groupe parlementaire Agir ensemble la députée Valérie Petit s’est émue de cette situation  et a interpelé le gouvernement le 20 juillet 2021 :

« Mais cessez donc d’emmerder les Français, il y a dans ce pays trop de lois et de règlements » s’exclamait en 1966 Georges Pompidou, alors Premier ministre, a rappelé la députée du Nord. Un demi-siècle plus tard, les choses ont-elles vraiment changé ? Rien n’est moins sûr. Tandis que, depuis des décennies, chaque gouvernement prend des engagements de simplification administrative, je continue, comme la plupart de mes collègues dans cet hémicycle, de recevoir chaque semaine dans ma permanence des Français perdus, stressés, découragés, me demandant de les sauver de relations labyrinthiques et de situations absurdes avec l’administration… »

Avec d’autres parlementaires, Valérie Petit a déposé une proposition de résolution pour faire reconnaître l’épuisement ou  « burn-out administratif » des usagers victimes de l’Administration: « Des Français perdus, stressés, découragés, (nous) demandent de les sauver de relations labyrinthiques et de situations absurdes avec l’Administration. Souvent, les problèmes rencontrés par nos concitoyens se résument à un seul, implacable : ils n’entrent pas dans les cases prévues par l’administration. La faute à des parcours de vie singuliers, la faute, aussi, à une complexité administrative et à une dématérialisation des démarches qui fait peser sur nombre d’entre eux une angoisse quasi-existentielle : celle de cocher la mauvaise case ou, pire, de n’en cocher aucune. »

crédit photo : Gerd Altmann – Pixabay

« L’état d’urgence sanitaire a donné à l’État et à son administration des pouvoirs comme jamais ils n’en avaient eus… »

 

Dans son exposé des motifs, la proposition de résolution parlementaire souligne :  « La crise sanitaire et la création du régime de l’état d’urgence sanitaire ont donné à l’État et à son administration des pouvoirs comme jamais ils n’en avaient eus depuis la dernière guerre. Jamais nos vies n’ont été autant administrées et nos quotidiens autant soumis à la rationalisation bureaucratique. Et si pour une partie des Français, l’administration s’est mue en cocon protecteur, pour d’autres, au contraire, sa nature contraignante et infantilisante s’est révélée dans toute sa dureté, blessant y compris leur psyché » (…)

« Prison psychologique » :  « Il est temps de libérer nos concitoyens de cette cage d’acier décrite par Max Weber et de la prison psychologique que peut devenir leur relation à l’administration », argumente la proposition des parlementaires.

« Une cage d’acier. C’est la métaphore frappante dont le sociologue Max Weber usait, il y a un siècle, pour décrire ce que risquait de devenir nos sociétés modernes et bureaucratiques dans leur expression la plus « aboutie ». L’image de la cage rappelle que l’emprise de l’État et de son administration se fait toujours au détriment des libertés individuelles, tandis que l’acier dont elle est forgée évoque la dure et froide logique qui l’anime, celle de la rationalisation préférée au sentiment et à l’humanisation. Elle rend compte aussi de ce sentiment d’accablement, d’oppression et d’enfermement qui menace d’étreindre les individus prisonniers de la cage, empêchés d’entreprendre librement leur vie ou découragés de faire valoir leurs droits pour la vivre effectivement.

« Il est temps de libérer nos concitoyens de cette cage d’acier et de la prison psychologique que peut devenir leur relation à l’administration. Temps de faire échouer la prophétie wébérienne et de ne pas devenir ces « derniers hommes » de l’ère bureaucratique, ces spécialistes sans esprit et des jouisseurs sans cœurs. Il ne tient qu’à nous, de remettre du sens et du cœur dans l’action publique.

« Reconnaître que l’administration peut porter atteinte à la santé physique et psychologique de nos concitoyens, serait un symbole fort et une première action concrète, pour marquer ce changement de culture et de pratiques dans la relation entre l’administration et les citoyens. Un signal historique d’une administration qui se veut désormais bienveillante et humaine. (…)

« Parce qu’elle veut administrer de façon exhaustive (pour ne pas dire compulsive) la vie des Français, (l’Administration) produit toujours plus de règles, de procédures et autres règlements pour tenter de maitriser et de standardiser la complexité de nos vies. Mais, ce faisant, elle ne réussit bien souvent qu’à produire toujours plus de complications, d’exclusion et … de souffrances. »

 

crédit photo : Sabine Van Erp – Pixabay

Abandon. « Les chiffres viennent confirmer cette expérience de terrain. Un Français sur cinq dit aujourd’hui éprouver des difficultés à accomplir les démarches administratives courantes, un chiffre qui atteint 37 % chez les 18 24 ans. 12 % de ceux qui rencontrent des problèmes avec l’administration disent abandonner leurs démarches, un taux qui atteint 18 % chez les personnes précaires ou isolées, tandis que les agriculteur(ice)s (25 %), les inactif(ve)s (16 %) ou encore les personnes non titulaires du baccalauréat (15 %) déclarent, plus souvent que l’ensemble de la population, abandonner les démarches face aux problèmes rencontrés avec l’Administration.

« De nombreuses études chiffrent à plus de 30 % le non recours aux droits lié à la complexité administrative, tandis que d’autres rappellent le coût financier de cette complexité : 84 milliards en 2018 (60 milliards en 2007).

« Trop de Français sont malades de leur relation à l’Administration… »

crédit photo : Pixabay

« Le coût en matière de dépense publique et les conséquences de la complexité administrative en matière de non recours aux droits (notamment pour ces « martyrs » de la complexité que sont les demandeurs de prestations sociales, les entrepreneurs ou les indépendants) sont connus et documentés depuis longtemps. Mais il existe une autre conséquence, sous estimée et peu prise en compte, de la complexité administrative : son impact sur la santé, physique et psychologique, des Français. Aujourd’hui, trop de Français sont malades de leur relation à l’administration. (…)

« Cette perte de sens face à une complexité administrative qu’ils ne maitrisent plus, cette perte du sentiment d’humanité face à une relation qui se dématérialise, porte un nom qui n’existe pas encore dans le dictionnaire de l’action publique : l’épuisement (burn-out) administratif. Il est temps de l’y inscrire. »

« Nos concitoyens nous expriment avec force d’émotions des ressentis douloureux : sentiment de tourner en rond, de parler à un mur, d’être enfermés dans une logique administrative qu’ils ne comprennent pas et qui ne semble pas les comprendre ; sentiment de ne pas être écoutés, respectés et de s’affronter à une machine bureaucratique déshumanisée. Stress, anxiété, dépression, autant de symptômes qui privent peu à peu les individus, au delà de leurs droits, de leur liberté et de leur capacité d’agir.  (…) Cette perte du sentiment d’humanité face à une relation qui se dématérialise porte un nom qui n’existe pas encore dans le dictionnaire de l’action publique : l’épuisement (burn-out) administratif. « 

« Il est urgent de reconnaître ces souffrances et de lutter contre elles », a plaidé Valérie Petit dans son intervention: « Elles minent tout à la fois le quotidien de nos concitoyens et la qualité de leur relation avec l’Administration. Je tiens à préciser que je distingue clairement les agents publics de la machinerie administrative, laquelle, en tentant d’administrer de façon presque compulsive la vie des Français, produit toujours plus de règles, de procédures et autres règlements pour tenter de maîtriser et de standardiser la complexité de nos vies. Mais, ce faisant, elle ne réussit bien souvent qu’à produire toujours plus de complications, de déresponsabilisation, d’exclusion et, parfois, de souffrance. »  (…)

« Lutter contre le risque d’épuisement administratif des Français »

C’est l’objectif de cette proposition de résolution : « reconnaître, prévenir et lutter contre le risque d’épuisement administratif des Français lié notamment à la complexité administrative. »

« Cette dimension est trop peu prise en compte aujourd’hui dans la conduite de l’action publique : l’épuisement ou burn-out administratif des usagers du service public. Elle s’inspire en la matière des travaux menés sur le syndrome d’épuisement professionnel (et plus largement sur les risques psycho sociaux au travail) par l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS).
(…)
« La souffrance au travail et burn-out professionnel ont été largement popularisés dans l’opinion publique ces dernières années puis intégrés dans les politiques de santé au travail. Dans le cadre de l’obligation de l’employeur d’assurer la santé et la sécurité des salariés, la lutte contre l’épuisement professionnel a été mise depuis longtemps à l’agenda des politiques RH et de prévention des risques psycho sociaux en entreprise. (…)

« À notre connaissance, jamais la question de l’épuisement professionnel inscrite initialement dans le cadre des relations de travail, n’a été mobilisée, à titre de comparaison, dans le cadre des relations entre l’Administration et les usagers du service public. (…)

« Se dessine alors une définition provisoire de l’épuisement administratif que nous proposons de décrire comme : l’ensemble des réactions physiques et psychologiques consécutives au stress administratif chronique, qui découle notamment de trois facteurs de risque liés à la relation Administration – usagers :
la complexité administrative entrainant notamment une charge mentale excessive ;
la déshumanisation et la dématérialisation de la relation entrainant un sentiment de dépréciation ;
et la dimension d’engagement émotionnel à l’œuvre entrainant une inquiétude de nature intime ou vitale pour la personne.  (…)

« La loi pour un État au service d’une société de confiance (ESSOC) votée en 2018, a instauré un droit à l’erreur des usagers face à une administration qu’ils jugent souvent toute puissante et soupçonneuse à leur endroit. C’est une petite révolution, mais beaucoup de chemin reste à parcourir pour faire de citoyens et leur Administration, une relation équilibrée et bienveillante, une relation porteuse de sens et profondément humaine. »(…)

  • Pour faire « reconnaître, prévenir et lutter contre l’épuisement administratif de nos concitoyens », les signataires de la résolution invitent le Gouvernement à mettre en œuvre les propositions suivantes :

1. Reconnaître l’épuisement administratif : Sous l’égide du ministère de la transformation et de la fonction publiques, une équipe de recherche pluridisciplinaire est chargée de définir précisément le syndrome d’épuisement administratif, d’en dresser un tableau clinique et de proposer des indicateurs ou à défaut une démarche diagnostique permettant de le détecter, de le prévenir et de le prendre en charge. (…)

2. Prévenir l’épuisement administratif : Le Gouvernement s’assure que la question de l’épuisement administratif et plus largement la qualité de la relation entre les usagers et les services publics sont effectivement intégrés dans les enseignements des écoles de service public. Le ministère de la transformation et l’action publiques s’assure que les managers publics sont effectivement sensibilisés, via des actions de formations continues ou de communication, à la question de l’épuisement administratif et plus largement à la prise en compte des risques psychosociaux liés à la relation entre l’administration et les citoyens. (…)

3. Lutter contre l’épuisement administratif: Le Premier ministre s’assure que chaque ministère veille à ce que les administrations sous son autorité soient sensibilisées à la question de la qualité de la relation entre les usagers et les services publics et au risque d’épuisement administratif des Français, et que cet enjeu soit intégré à la feuille de route de la transformation de chaque ministère et déclinée sous forme d’objectifs et d’actions mesurables par chaque administration.

>>> Lire le texte complet de la Proposition de résolution invitant le Gouvernement à reconnaître, prévenir et lutter contre le risque d’épuisement administratif des Français.

 

« Réformer l’État, une priorité pour le gouvernement »

 

Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques (DR)

Amélie de Montchalin, la ministre de la transformation et de la fonction publiques, a répondu à l’interpellation de Valérie Petit en rappelant l’engagement d’Emmanuel Macron : « Réformer l’État est une priorité et nous allons continuer à le faire ».

« La vocation de l’État,  a ajouté la ministre, est d’accompagner, soutenir et pas seulement de contrôler, empêcher ou juger. Les agents publics font donc face à des rigidités, des complexités, parfois des absurdités. Et, chaque jour, je le sais, ils cherchent, au plus près des Français, à trouver des solutions. (…)

« Le Gouvernement, depuis 2017, a une ambition : permettre à ses agents publics de remplir pleinement leur mission (…) en les libérant de certaines contraintes, en donnant toujours la priorité au quotidien des Français. Vous avez d’ailleurs voté la loi pour un État au service d’une société de confiance, qui reconnaît le droit à l’erreur et, par-là, instaure une nouvelle relation de l’administration avec les citoyens et avec les entreprises. Vous avez voté le prélèvement à la source. Vous avez accompagné de nombreux projets qui remettent de l’humain au cœur des services publics – je pense aux espaces France services promus par Jacqueline Gourault. (…)

« Dans quelques jours, le Premier ministre réunira l’ensemble du Gouvernement pour suivre les chantiers de simplification très concrets que nous avons lancés.  Ma volonté est que nous parlions en permanence des difficultés que vous avez évoquées : c’est l’objet du programme Services publics + qui permet à chaque Français, à chaque agent public de faire remonter, par le biais du site service-public.fr, les formulaires qui ne veulent plus rien dire, les situations absurdes. Et j’invite tous les Français à faire part de ces expériences, qu’elles soient positives ou négatives. » (…)

 

La loi ASAP veut rendre l’Administration plus proche des citoyens…

crédit photo : Ag Ku – Pixabay

Promulguée en décembre 2020, la loi d’Accélération et de Simplification de l’Action Publique, dite loi « ASAP », promet des « avancées majeures », selon le communiqué du gouvernement :  « En supprimant ou fusionnant des commissions administratives devenues non nécessaires, et en déconcentrant les décisions administratives, elle contribuera à accélérer la décision publique et à la rapprocher de nos concitoyens. (…)

« Elle permettra également des changements concrets dans le quotidien des Français en simplifiant la fourniture du justificatif de domicile pour obtenir des papiers d’identité, le permis de conduire, et un certificat d’immatriculation, en autorisant l’inscription en ligne à l’examen du permis de conduire, en facilitant l’ouverture et la gestion du livret d’épargne populaire, en accélérant la procédure administrative d’expulsion en cas d’occupation illicite du domicile d’autrui, en étendant la durée de la réserve citoyenne ou encore en permettant l’utilisation des chèques énergie dans les hébergements pour personnes âgées. (…)

« (La loi) facilite enfin le développement de l’intéressement en entreprise permettant un meilleur partage de la valeur ajoutée au bénéfice des salariés. (en complément de la loi PACTE – NDLR)
(…)
« Elle comporte (aussi) un volet visant à accélérer les implantations et extensions industrielles dans notre pays. Il s’agit de sécuriser les porteurs de projet sur la réglementation qui leur est applicable et de ramener les délais d’instruction des projets aux standards européens (…)

« La loi ASAP simplifie plusieurs dispositions de la commande publique permettant aux acheteurs publics de mobiliser ces outils pour la relance et la mise en œuvre d’un programme ambitieux de rénovation thermique des bâtiments publics. Ces dispositions visent également à faciliter l’accès des PME et TPE à la commande publique. Le seuil de dispense de publicité et de mise en concurrence est ainsi fixé pendant deux ans à 100 000 € pour les marchés de travaux. Cette dispense permettra d’accélérer les mises en chantier et de remplir les carnets de commande des entreprises du BTP. (…)

« Après l’adoption de la loi de la loi ESSOC (État au service d’une société de confiance) et de la loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), la loi ASAP constitue une étape importante dans la politique de simplification administrative voulue par le Gouvernement depuis le début du quinquennat. »