#PLAN INDÉPENDANTS :
Le projet de loi en faveur des indépendants examiné par le Parlement pour une entrée en vigueur en 2022

Rendu public par le président de la République en personne, le « Plan Indépendants » est conçu pour faire partie des réformes emblématiques du quinquennat d’Emmanuel Macron. Parmi ses 20 mesures, certaines sont intégrées dans la loi de Finances, tandis que d’autres font l’objet d’un projet de loi spécifique, soumis au Parlement. L’une des mesures-phares est la création d’un « statut unique » pour l’entrepreneur individuel. Au delà de l’effet d’annonce, la mise en pratique de ce plan devra démontrer que la montagne n’a pas accouché d’une souris…

 

crédit photo : Yvette W – Pixabay

Annoncé de longue date, le plan en faveur des indépendants dont l’élaboration avait été confiée par l’Élysée à Alain Griset, ministre délégué aux PME, a été révélé en détail le 16 septembre 2021 par le président de la République lui même, lors d’un discours-fleuve devant le congrès de l’U2P (syndicat patronal qu’Alain Griset présidait avant sa nomination au gouvernement).

L’ambition d’un tel plan est de « créer un environnement juridique, fiscal et social plus simple et plus protecteur pour les indépendants », qu’ils soient artisans, commerçants ou professions libérales.*

Ce « Plan Indépendants » contient 20 mesures articulées autour de 5 grands axes :

• Améliorer et simplifier le statut juridique des indépendants
• Améliorer et simplifier la protection sociale des indépendants
• Faciliter la reconversion et la formation des indépendants
• Favoriser la transmission des entreprises et des savoir-faire
• Simplifier l’environnement juridique des indépendants et leur accès à l’information

Le président de la République, Emmanuel Macron, le 16 septembre 2021, au palais de la Mutualité, annonçant le « Plan Indépendants » lors du congrès de l’U2P, en présence des ministres Bruno Le Maire et Alain Griset (crédit photo : U2P)

Devant le chef de l’Etat, sur l’estrade de la Mutualité à Paris, l’actuel président de l’U2P, Dominique Métayer s’est réjoui : « Les mesures annoncées sont ambitieuses et de bon sens. Elles répondent à nos demandes et nous donnent confiance en l’avenir. Depuis 27 ans et la loi « Madelin » du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle, il n’y avait pas eu de texte dédié à tous les travailleurs indépendants. Ce plan constitue donc une étape historique ! »

Projet de loi. La mise en œuvre de ce plan passe notamment par l’adoption d’un projet de loi soumis au vote du Parlement dans le cadre de la « procédure accéléré ». Tandis que d’autres mesures du Plan seront incluses dans le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.

L’une des mesures-phares de ce plan consiste en la création d’un statut juridique unique pour l’exercice de l’activité indépendante, conduisant la suppression de l’EIRL (entreprise individuelle à responsabilité limité, statut créé en 2010  mais qui n’a pas rencontré un grand succès). Ce volet fait l’objet d’un projet de loi soumis au Parlement.

Son examen en séance plénière débutera le 25 octobre au Sénat. Ensuite, le texte sera discuté à l’Assemblée nationale. Le gouvernement table sur une entrée en vigueur du texte en 2022.

Les 5 axes du « Plan Indépendants »

-1-  Un statut unique et plus protecteur
• créer un statut unique et protecteur pour l’entrepreneur individuel ;
• faciliter le passage d’une entreprise individuelle en société.
-2-  Une meilleure protection sociale des indépendants :
• faciliter l’accès au dispositif d’assurance volontaire contre le risque des accidents du travail et des maladies professionnelles par la baisse du taux de cotisation ;
• mieux protéger le conjoint collaborateur ;
• permettre la modulation des cotisations et des contributions sociales en temps réel ;
• supprimer les pénalités liées à une sous-estimation du revenu définitif ;
• neutraliser les effets de la crise sur l’assiette de calcul des droits aux indemnités journalières ;
• préserver les droits à la retraite pour les indépendants impactés par la crise sanitaire.
-3-  Faciliter la reconversion et la formation :
• rendre éligibles les indépendants à l’allocation des travailleurs indépendants (ATI) lorsque leur activité n’est plus économiquement viable ;
• assouplir la condition de revenu minimum pour bénéficier de l’ATI (allocation du travailleur indépendant) ;
• doubler le crédit d’impôt pour la formation des dirigeants des TPE.
-4- Favoriser la transmission des entreprises et des savoir-faire:
• dynamiser la reprise des fonds de commerce ;
• encourager la cession d’un fonds donné en location-gérance ;
• assouplir temporairement le délai de demande d’exonération des plus-values professionnelles de cession d’entreprise réalisées lors d’un départ à la retraite ;
• augmenter les plafonds d’exonération partielle et totale des plus-values lors de cession d’entreprises individuelles.
-5- Simplifier l’environnement juridique des indépendants et leur accès à l’information :
• simplifier le début d’activité des indépendants ;
• assouplir les conditions de la délivrance des attestations de vigilance ;
• faciliter le traitement des dettes de cotisations sociales des gérants majoritaires de SARL dans le cadre de la procédure de surendettement des particuliers ;
• clarifier et aligner les règles communes aux professions libérales réglementées ;
• créer un site unique pour améliorer l’information et l’orientation des entrepreneurs.

 

Le projet de loi « en faveur de l’activité professionnelle indépendante » examiné par le Sénat

 

Sénat, l’Hémicycle du palais du Luxembourg, pendant la session des questions au gouvernement (crédit photo : Consulendo)

Actuellement examiné au Sénat, le projet de loi qui comporte 14 articles crée un statut unique pour les entrepreneurs indépendants.

Le statut de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL), précisent les pouvoirs publics, sera mis en extinction progressive, ses principaux avantages étant repris par ce nouveau statut « unique »,  « plus protecteur pour le patrimoine personnel : celui-ci deviendra par défaut insaisissable par les créanciers professionnels. »

Depuis 2010, l’EIRL n’a « séduit » que 100 000 indépendants sur plus de 3 millions… ce qui confirme sa faible attractivité (manque de clarté par rapport à l’option de création d’une structure sociétaire, plus courante, type SARL, SAS ou SASU)

Un patrimoine affecté à l’activité de l’entrepreneur : après adoption de la future loi, seuls les éléments nécessaires à l’activité professionnelle de l’entrepreneur pourraient être saisis par les créanciers en cas de défaillance.

 

« Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil, et sans préjudice des articles L. 526-1 et L. 526-7 du présent code, l’entrepreneur individuel n’est tenu de remplir son engagement à l’égard de ses créanciers, dont les droits sont nés à l’occasion de son exercice professionnel, que sur son seul patrimoine professionnel, sauf sûretés conventionnelles ou renonciation dans les conditions prévues à l’article L. 526-24. Les dettes dont l’entrepreneur individuel est redevable auprès des organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales sont nées à l’occasion de son exercice professionnel. »
(Article 1er du projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante)

 

  • Il convient de rappeler que dans la situation actuelle, l’indépendant qui n’a pas choisi le statut de l’EIRL (entreprise individuelle à responsabilité limitée) est redevable indéfiniment de ses dettes sur l’ensemble de son patrimoine, biens personnels et professionnels. (La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, a toutefois encadré ce risque en rendant la résidence principale insaisissable pour la liquidation des dettes professionnelles.)

 

La réforme en cours concernera toutes les créations d’entreprises après l’entrée en vigueur de la loi en 2022. Aujourd’hui, les trois-quarts des créateurs d’entreprise optent pour le statut de l’entreprise individuelle.

Observons que ce projet de loi ne remet pas en cause le régime de la micro-entreprise (ex-auto-entrepreneur) choisi par les trois-quarts des nouveaux créateurs… De facto, il existera donc au moins deux statuts en vigueur pour entreprendre en indépendant, le régime microsocial et le nouveau statut créé par la loi (sans parler de l’option du portage salarial)…

Le Sénat améliore le projet de loi du gouvernement afin de lever les ambiguïtés du texte initial

Le 13 octobre, examinant le texte du projet présenté par le gouvernement, la commission des lois du Sénat a « souhaité remédier aux fragilités du dispositif présenté par le gouvernement. »

Sortir du « flou ». La commission des lois du Sénat a ainsi précisé les règles de démarcation entre les deux patrimoines, « dont le flou risquait d’alimenter une longue succession de contentieux. »
En outre, les exceptions à la séparation des patrimoines dont bénéficieraient l’administration fiscale et les organismes de sécurité sociale selon le texte du gouvernement, « ont été plus strictement encadrées, afin que la réforme ne soit pas immédiatement vidée d’une partie de sa portée », précise le Sénat: « Le formalisme exigé pour renoncer à cette séparation a été allégé pour ne pas entraver l’accès au crédit des investisseurs. »

« La réelle efficacité de la protection offerte aux entrepreneurs individuels ne se mesurera qu’en cas d’insolvabilité. Aussi la commission des lois a-t-elle estimé nécessaire de tirer dès à présent les conséquences de ce nouveau régime sur les procédures de traitement de l’insolvabilité ouvertes aux entreprises (procédures collectives prévues au livre VI du code de commerce) et aux particuliers (procédures de surendettement des particuliers prévues au livre VII du code de la consommation), plutôt que d’habiliter le Gouvernement à le faire par voie d’ordonnance (article 4). »  (Commission des lois du Sénat – 13 octobre 2021)

 

Serge Barbary, rapporteur de la commission des affaires économiques, président de la délégation sénatoriale aux entreprises

Des incertitudes à lever. Les préventions émises par la commission des lois font échos aux remarques formulées par la commission sénatoriale des affaires économiques et par son rapporteur Serge Babary qui demandent que soient levées des « incertitudes » quant à l’application concrète de l’article premier, en pointant le fait que le projet ouvre la possibilité à l’entrepreneur individuel de devoir renoncer à séparer patrimoine professionnel et patrimoine personnel « sur demande écrite d’un créancier »

« Il serait en effet dommageable de laisser croire à l’ensemble des entrepreneurs individuels que leur activité en 2022 sera similaire à celle de 2021, mais avec une protection supplémentaire. » Le rapporteur Serge Babary estime que « les créanciers, au premier rang desquels les banques, ne se satisferont pas d’un droit de gage ne portant que sur le patrimoine professionnel, surtout pour les plus petites entreprises (dont le patrimoine affecté, par définition, est bien mince). Par conséquent, il est plus que probable que les banques exigeront de l’entrepreneur qu’il fasse usage du droit dont il dispose en vertu du nouvel article L. 526-24 du code de commerce, à savoir celui de renoncer expressément à la protection de son patrimoine personnel, ou demanderont des sûretés conventionnelles (gage, nantissement, etc.). Si le délai de réflexion (prévu par le texte) de sept jours semble suffisant, (…) l’entrepreneur n’aura bien souvent pas le choix que d’accepter la demande de renonciation ou de sûreté, au risque de perdre le financement… »

Ainsi les traditionnels rapports de force économiques observés entre les créanciers (bancaires ou institutionnels) et les TPE risquent de réduire à néant la promesse de protection renforcée de l’indépendant alléguée par la future loi.

Charte d’engagement. Dans ce contexte, le rapporteur Serge Babary  invite le gouvernement et les banques à élaborer une charte d’engagement sur les conditions de financement des indépendants, « sur le modèle de celle rédigée à propos de l’octroi des PGE (Prêts garantis par le gouvernement) ou de celle du 31 mai 2011 pour améliorer l’accès au crédit des EIRL – dans cette dernière, la Fédération bancaire française s’est par exemple engagée à « accorder des crédits sans prise de gage sur le patrimoine personnel du chef d’entreprise ou de sûreté personnelle sur l’entrepreneur ou sur son conjoint, en cas de cautionnement mutuel des crédits. »

Le Sénat a adopté le 26 octobre le projet de loi après l’avoir amendé

 Soumis au Sénat le 29 septembre 2021, le projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante a fait l’objet de discussions en commissions (voir plus haut) et de plusieurs amendements de la Chambre Haute. Le texte modifié a été adopté, en première lecture, le 26 octobre.

 Les amendements adoptés visent notamment à préciser certains points du projet de loi gouvernemental,  tels que la distinction des patrimoines professionnel et personnel, le régime de la preuve en cas de contentieux et les conditions de la transmission universelle du patrimoine professionnel. Il s’agit aussi de « veiller à ce que les créanciers publics (administration fiscale et organismes de sécurité sociale) ne puissent appréhender l’ensemble des biens d’un entrepreneur individuel, par dérogation au principe de la séparation des patrimoines, que dans des conditions clairement définies et suffisamment restrictives.
Les sénateurs ont fixé au 31 octobre 2024 la date limite pour demander l’allocation des travailleurs indépendants, en demandant que le bilan et les perspectives de cette allocation aient fait l’objet, au plus tard le 30 avril 2024, d’une concertation avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel, ainsi qu’avec les organisations représentant les travailleurs indépendants.
Le Sénat demande à Pôle Emploi, aux établissements de crédit, aux chambres de commerce et d’industrie, aux chambres des métiers et de l’artisanat, ainsi qu’aux experts-comptables, d’informer les travailleurs indépendants sur la possibilité de souscrire un contrat d’assurance contre la perte d’emploi subie et des dispositions de l’article 154 bis du code général des impôts.
Parmi les autres amendements adoptés par le Sénat, figurent aussi la possibilité de lever l’interdiction bancaire d’un entrepreneur dès que l’ouverture d’une conciliation amiable est constatée;  la recommandation de réaliser, dans le cadre du bilan et perspectives de l’allocation des travailleurs indépendants, un état des lieux précis de la situation des travailleurs des plateformes de services sur Internet.

Anthony Streicher, Président de l’association GSC (système d’assurance perte d’emploi pour les indépendants) se réjouit que le Sénat enjoigne aux conseils et institutions en lien avec les indépendants de faire connaître les solutions d’assurance volontaire existantes pour « minimiser les conséquences d’une perte d’emploi : la liberté de choix est fondamentale mais elle n’existe que si le choix est connu de tous! »

 

Les autres dispositions du projet de loi sur l’activité professionnelle indépendante

crédit photo : Pixabay

  • Le texte entend faciliter le passage d’une entreprise individuelle en société.

Cette transformation est une opération complexe qui peut aussi générer des droits de mutation à acquitter. Le projet envisage la transmission de la totalité du patrimoine professionnel en une seule opération, simple à réaliser.

Le texte de loi prévoit aussi :
• de rendre éligible les indépendants à l’allocation des travailleurs indépendants (ATI) lorsqu’ils arrêtent leur activité devenue non viable, afin de faciliter leur reconversion. Depuis fin 2019, cette allocation de 800 euros par mois est versée pendant six mois aux indépendants qui ont exercé dans une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire ;
• de permettre que les dettes de cotisations et de contributions sociales des dirigeants majoritaires de sociétés anonymes à responsabilité limitée (SARL) puissent être effacées dans le cadre d’une procédure de surendettement des particuliers ;
• de faciliter l’accès à la formation des indépendants. Le fonds d’assurance formation des chefs d’entreprise artisanale (FAFCEA) et des conseils de la formation des chambres de métier et de l’artisanat (CMAR) seront fusionnés ;
• d’adapter la procédure disciplinaire des experts-comptables ;
• de revoir le cadre de la négociation collective pour les chambres de commerce et d’industrie (CCI).

Le texte habilite également le gouvernement à prendre des ordonnances pour :
• simplifier et clarifier les règles communes applicables aux professions libérales réglementées ;
• rénover le code de l’artisanat.

 

*Les indépendants en chiffres

On dénombre quelque 3,5 millions d’indépendants dont 444 000 travailleurs du secteur agricole exerçant une activité non salariée à titre principal ou en complément d’activité. Il n’existe pas de définition juridique « universelle » du travailleur indépendant. Aux yeux des différentes administrations, ils sont répertoriés de façon négative comme des « travailleurs non-salariés » – TNS (preuve de la place éminente accordée au salariat, notamment en CDI, dans la culture française). L’instauration du régime de l’auto-entrepreneur en 2009 (devenu micro-entrepreneur) et le développement des entreprises-plateformes de services sur Internet ont boosté le nombre des indépendants, avec une grande diversité de parcours, de profils, de métiers et de motivations.

crédit photo : Mohamed Hassan – Pixabay

Environ 2,4 millions d’unités légales de moins de dix salariés sont dirigées par des indépendants, dont plus de 900 000 ont opté pour le régime du micro-entrepreneur. On dénombre aussi 100 000 EIRL et 800 000 gérants majoritaires de sociétés assimilés à des TNS.
Les femmes représentent 37% des indépendants et près de 40% chez les micro-entrepreneurs.
Les entrepreneurs individuels emploient 1,3 million de salariés et représentent 8,4 % du chiffre d’affaires et 12,9 % de la valeur ajoutée de l’ensemble des secteurs marchands.
En 2017, le revenu mensuel moyen des travailleurs indépendants était de 2 580 € nets, mais avec une forte disparité entre travailleurs indépendants « classiques »  (3 580 € par mois en moyenne) et micro-entrepreneurs (470 € par mois).