Le textile Made in France retrouve des couleurs

La pandémie a aiguisé la prise de conscience de nos dépendances aux productions lointaines… Circuits courts, proximité, traçabilité deviennent des critères qui comptent dans les décisions d’achat. Produire localement et réindustrialiser le pays sont des thèmes portés par les candidats à l’élection présidentielle de 2022. Sur le terrain, des entrepreneurs perspicaces ont fait du Made in France une arme de reconquête de leurs marchés.

 

 

Métier à tisser « Jacquard » – Garnier-Thiébaut, Gérardmer – 2021 (photo : Consulendo )

Malgré la concurrence asiatique dans tous les rayons, malgré notre addiction aux produits low-cost qui ont submergé notre quotidien depuis des décennies, malgré le discours marketing de la grande distribution faisant des « prix bas » les meilleurs alliés du pouvoir d’achat des Français, l’idée de redonner la préférence à nos productions tricolores ( ou au moins européennes) s’installe de plus en plus dans les esprits. Elle devient même une position « raisonnable ». Face à une vulgate ricardienne*, simplifiée à l’extrême, qui fut la doxa des pays occidentaux pendant de nombreuses années, enjoignant d’importer à tour de bras le nécessaire et le superflu du plus lointain de la planète, pourvu qu’il soit le moins cher!

* Du nom de l’économiste David Ricardo, inventeur de la théorie des avantages comparatifs, incitant chaque pays à se spécialiser dans les productions où il excelle.

 

La France a ainsi perdu ses usines et ses emplois. Et beaucoup de Français se sont en réalité appauvris, croyant s’enrichir parce qu’ils achetaient à vil prix… Oubliant que « nos emplettes, sont nos emplois » (un beau slogan naguère claironné par nos Chambres de commerce et d’industrie, mais sans effet massif sur les comportements des consommateurs).

La crise de la Covid-19, la pénurie criante de « 25 centimètres de tissu propre et sec » à se mettre sur le nez et la bouche pour se protéger de ce virus retors, ont accéléré la prise de conscience que « produire localement » était le meilleur garant de notre indépendance et de notre bien-être économique.  Souvenons-nous que les entreprises de la filière textile ont relevé le défi et réorienté une partie de leurs lignes de production vers la fabrication de masques…

Plus de 95% d’importations. Mais il reste encore du chemin à parcourir car, dans ce secteur, le poids des importations reste écrasant : les textiles d’habillement et de linge de maison consommés en France sont importé à 95,7%  (source : Union des industries textiles et Douanes 2019)

Cependant de nombreux entrepreneurs passionnés par leur métier, attachés à leur territoire et fiers des savoir-faire et des traditions qu’ils portent dans leurs entreprises, se mobilisent depuis des années pour faire renaître un textile Made in France.

En 2008 , le Syndicat Textile de l’Est soucieux de mettre en avant ces savoir-faire d’excellence défend l’idée d’une sorte d’ « AOC Industrielle » pour les produits textiles garantissant au consommateur que ces produits labellisés auraient passé au minimum 75% des étapes de fabrication locale, tout en respectant des critères  environnementaux et sociaux.

Paul de Montclos, président de Garnier Thiébaut, initiateur du label Vosges terre textile (crédit photo : DR)

Sous l’impulsion de l’industriel Paul de Montclos, repreneur de l’entreprise centenaire Garnier-Thiébaut à Gérardmer, le label  « Vosges terre textile  » est officiellement créé en 2011. Plus de 90% de la filière textile vosgienne y adhère et le million de produits labellisés est atteint dès la première année. Les industriels alsaciens emboîtent le pas aux Vosgiens, « Alsace terre textile » naît en 2013. En 2014, les industriels du Nord et de Rhône-Alpes se rapprochent de Terre textile et décident à leur tour de décliner le label dans leurs régions.

Désormais, quatre des six principales régions textiles de France se sont fédérées autour du projet afin de promouvoir un label national, « France terre textile« .

Un voyage de presse organisé courant octobre par l’AJPME, association de journalistes spécialisés dans l’entrepreneuriat et les PME, nous a permis de nous rendre compte de la résilience de la filière textile dans les Vosges : coopération, innovation, qualité, formation ont contribué à la renaissance de cette industrie traditionnelle qui compte aujourd’hui une bonne trentaine d’entreprises et quelque 3000 salariés.

Garnier-Thiébaut , l’art de la table haut de gamme

Créée en 1833 à Gérardmer dans les Vosges, l’entreprise Garnier-Thiébaut a été rachetée en 1985 par la famille de Paul de Montclos, l’actuel dirigeant. L’entreprise s’est positionnée sur le haut de gamme, le sur-mesure et les petites séries, en investissant dans l’innovation, la création et la qualité, avec l’embauche de deux stylistes à la clé… Une centaine de nouveaux modèles sont créés chaque année.

Un des métiers à tisser « Jacquard » des usines Garnier-Thiébaut à Gérardmer (crédit photo : Consulendo)

Comptant 220 salariés dans ses deux usines vosgiennes, Garnier-Thiébaut fournit deux marchés complémentaires :  les produits de de linge de maison/art de la table haut de gamme pour les grands hôtels, palaces et établissements gastronomiques, et la vente aux particuliers (800 à 1000 références en stock), notamment via un réseau de boutiques et de magasins d’usine.  En complément des productions maison, une activité de négoce permet d’importer des articles non-produits sur place, comme les serviettes éponges, et pour lesquels il y a une forte demande.

Garnier-Thiébaut forme en permanence dans ses usines sept ou huit alternants. La formation d’un teinturier demande sept à huit mois, celle d’un tisserand dix-huit mois…

Soucieuse du respect de l’environnement, l’entreprise possède sa station d’épuration des eaux. La chaleur générée par les machines sert à chauffer les bureaux.  L’entreprise a créé une lessive 100% végétale pour aider clients et collaborateurs à prendre soin de l’environnement. Elle a même des ruches sur son site industriel et produit son propre miel!

Garnier-Thiébaut exporte ses productions dans 85 pays, avec notamment une filiale aux Etats-Unis qui réalise 20 millions d’euros de ventes (sur 46 millions d’euros de chiffre d’affaires global.)

 

Les jeans 1083 rachètent leur tisseur vosgien

Le stand des jeans 1083 au salon MIF Expo

C’est en 2013, que Thomas Huriez décide de lancer sa marque de jeans Made in France, 1083, en s’appuyant sur le crowdfunding. Il  relance ainsi l’activité textile de Romans-sur-Isère dans la Drôme.

Confectionnés, teints et délavés en France, en utilisant un coton bio, les jeans portent la marque  « 1083 », pourquoi? 1083 km est la distance maximale entre les deux villes les plus éloignées de l’Hexagone… ainsi chaque consommateur sait que son jean n’aura pas parcouru plus que cette distance pour lui parvenir!

En 2018, la société de Thomas Huriez a décidé de racheter l’entreprise de filature-tissage vosgienne, Valrupt Industrie qui l’approvisionnait en toile denim depuis le début de l’aventure et qui était au bord de la faillite. Rebaptisée Tissage de France, l’entreprise vosgienne emploie une cinquantaine de personnes.

Au printemps 2021, la société 1083, avec le soutien du Plan de relance,  a décidé de créer un nouvel atelier de confection de jeans au sein de l’usine Tissage de France, à Rupt-sur-Moselle dans les Vosges.

Recyclage.  Conformément à son projet d’intégrer en France toute la chaîne productive d’un jean, Thomas Huriez a ouvert, au sein de Tissage de France, un atelier d’effilochage de jeans usagés afin de produire du fil de coton (le coton étant aujourd’hui un produit d’importation). Il s’agit d’inciter les consommateurs à rapporter leurs vieux jeans, quelle que soit la marque, auprès de centres de collecte textile qui seraient situés sur tout le territoire national afin d’être recyclés en fil de coton… Initiative à suivre.

 

Karine Renouil-Tiberghien, défense et illustration de la maille française 

L’équipe de la Manufacture de tricots Jean Ruiz, à Roanne, labellisée Entreprise du patrimoine vivant (EPV), spécialisée dans la maille adulte haut de gamme (crédit photo : DR)

Après avoir travaillé pour un holding d’investissement, Karine Renouil-Tiberghien a repris, en 2016, avec Arnaud de Belabre, La Manufacture de Layettes et Tricots MLT à Pau : « Nous étions séduits par une aventure industrielle dans la fabrication textile et nous voulions prouver qu’on peut, encore aujourd’hui, tricoter en France! » Implanté à Pau, au pied de la chaîne des Pyrénées, MLT tricote depuis plus de 40 ans des layettes et tricots pour bébés.

En septembre 2018, les deux associés reprennent la Manufacture de tricots Jean Ruiz à Roanne.  Labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV), la Manufacture est spécialisée dans la maille adulte haut de gamme et dispose d’un des tout derniers ateliers de remaillage en France.

En décembre 2020, ils reprennent la Manufacture de tricots Marcoux qui a longtemps tricoté de la layette et qui tricote aujourd’hui principalement des orthèses (genouillère, chevillées etc…) pour le sport et pour le médical.

Karine Renouil lance un appel aux pouvoirs publics pour que le Made in France soit mieux pris en compte dans les appels d’offres : les aides et subventions, c’est bien, mais les commandes c’est encore mieux!
« Avec des commandes, explique la chef d’entreprise, on investit sans avoir besoin de subventions et on recrute : c’est un processus sain et durable. Il devient vraiment urgent de se pencher sur nos commandes publiques qui doivent montrer l’exemple. Même si c’est nominalement plus cher, au bout du bout, on verra qu’en fait ça valait ce coût !
« Nous rencontrons les mêmes difficultés avec les orthèses ( pourtant remboursées aux patients grâce à nos cotisations à la Sécurité sociale ) : le marché a été envahi par des produits Made in Asia ! Au risque de nous faire complètement perdre notre savoir-faire national. Il est temps de reprendre notre destin industriel en main, même si pour cela il faut bousculer un peu l’Europe … on doit pouvoir privilégier ou imposer des commandes locales ( vraiment locales , pas locales-européennes tant que le salaire minimum n’est pas le même partout ) quand elles sont faites avec nos sous. C’est, pour moi, un des enjeux des élections 2022! »

 

Payote, l’espadrille aux couleurs du Sud

Olivier Gelly, fondateur de la marque d’espadrilles Payote, à l’atelier de fabrication de Mauléon

C’est en 2016 qu’Olivier Gelly, un jeune Roussillonnais autodidacte, décide de lancer sa marque d’espadrilles à Perpignan, Payote. La fabrication d’espadrilles (appelées « vigatanes » en catalan) fait partie des traditions artisanales de sa région, mais les petites fabriques locales ont dû progressivement déclarer forfait face au tsunami des productions asiatiques.

Pour produire ses espadrilles de toile, originales et très colorées (plus de 250 modèles disponibles en boutiques ou en ligne!),  Olivier Gelly a confié leur fabrication à l’atelier Megam, une entreprise implantée depuis trois générations à l’autre bout de la chaîne des Pyrénées, à Mauléon, au Pays basque,

En mars 2021, Payote a inauguré un premier atelier de prototypage à Perpignan destiné à la  fabrication de 8000 paires « Made in Roussillon », notamment pour des produits personnalisés.  L’entreprise perpignanaise poursuit sa collaboration avec l’atelier de Mauléon pour le reste de ses collections. A terme, 20 nouveaux emplois directs doivent être créés.

Toutefois, le principal frein au développement de la jeune entreprise est la limite de ses capacités de production actuelles : l’atelier de Mauléon ne peut fournir que 80 000 paires de Payote par an alors que, selon Olivier Gelly, sa marque pourrait en vendre dix à 15 fois plus… A quand un atelier catalan?

 

Un salon pour mettre à l’honneur le Fabriqué en France

Le salon MIF Expo, le salon du made in France tient sa neuvième édition à Paris Expo – Porte de Versailles du 11 au 14 novembre 2021. 815 exposants sont annoncés, représentant tous les secteurs d’activité : mode et accessoires, mobilier, gastronomie, cosmétique, enfance…

 

La fondatrice de l’Atelier Missegle, Myriam Joly (à dr), honorée par le Grand prix du public au salon MIF Expo 2021

Le tricoteur tarnais Missegle Grand prix du public MIF Expo 2021

Installé à Burlats, près de Castres dans le Tarn, l’atelier de tricotage Missegle réalise des vêtements et accessoires en fibres naturelles, animales ou végétales.

L’aventure de l’atelier Missegle débute en 1983 quand sa fondatrice, Myriam Joly, jeune ingénieure agronome fraichement diplômée, alors âgée de 26 ans, s’installe à la ferme de Missegle, dans le Tarn. Elle y élève un troupeau de chèvres angora pour se lancer dans la production du Mohair. Elle entraîne à ses côtés une poignée d’éleveurs passionnés, qui donnent naissance à la filière du Mohair français et se regroupent au sein d’une coopérative.

Myriam se passionne très vite pour la production et la vente directe, afin de resserrer le lien entre producteur et consommateur. Au fil des années, elle ajoute à son activité d’élevage la fabrication de vêtements, reprenant notamment deux ateliers voisins en faillite, afin de sauver l’emploi local. Ainsi est né l’Atelier Missegle – qui compte aujourd’hui une soixantaine de salariés – labellisé Entreprise du patrimoine vivant (EPV).

Au sein de cette entreprise familiale, Myriam Joly est accompagnée au quotidien depuis 2012  par deux de ses trois fils, Olivier et Gaëtan.

Soucieux  de préserver l’environnement, l’Atelier Missegle a décidé de ne fabriquer qu’en petite quantité pour ne pas sur-stocker.  La production s’effectue sans déchets grâce aux métiers à tricoter en
3D qui limitent les chutes de laine. Les vêtements qui présentent des défauts sont détricotés. Les emballages, en papier ou carton uniquement, sont entièrement recyclés –et recyclables. Grâce à des panneaux photovoltaïques, l’atelier produit la moitié de l’énergie qu’il consomme.

L’Atelier Missegle est en cours de certification pour l’obtention du label Origine France Garantie et du label de la mode écoresponsable Slow WeAre.