#ENTREPRENDRE
La simplification, un chantier sans fin

La dynamique entrepreneuriale reste toujours vivace en France, avec un nouveau record de créations malgré la crise sanitaire. Le gouvernement confirme sa volonté de simplifier et de protéger le parcours des entrepreneurs, avec l’adoption de la loi sur les Indépendants, le 8 février, et le lancement d’un portail d’informations pratiques et légales.

 

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La crise sanitaire n’a visiblement pas dissuadé les créateurs d’entreprise de se lancer. Ils ont été près d’un million à concrétiser leur projet en 2021, soit un nombre record.

995 900 créations ont été immatriculées l’an dernier, précise l’institut national de la statistique dans sa publication Insee Première du 2 février 2022soit une augmentation  de 17 % par rapport à 2020 (147 700 unités de plus), atteignant ainsi un nouveau record historique.

Cette forte progression est essentiellement due à l’immatriculation de nouveaux micro-entrepreneurs (ex-auto-entrepreneurs depuis le changement de dénomination) au nombre de 641 500, soit 64% du total!

Lancé en 2009 par Hervé Novelli, ce dispositif simplifié, assimilé à la « micro-entreprise » depuis 2016, permet de se lancer  par une déclaration en ligne et sans capitaux propres… D’où son succès. Sachant qu’une proportion importante de ces micro-entrepreneurs ne réalisent pas de chiffre d’affaires ou facturent très peu dans l’année

« Auto-entrepreneurs » : combien sont-ils exactement?

Expert en entrepreneuriat, André Letowski nous apporte les précisons suivantes : 2,230 millions d’auto-entrepreneurs sont recensés à fin juin 2021, par le réseau des Urssaf, soit 393 000 de plus sur un an (+ 17,2 %). Cette forte augmentation du nombre total s’explique par les 719 000 nouvelles immatriculations sur 12 mois, soit 30% de plus que sur l’année précédente!  Alors que l’Insee recense pour la même période 654 623 micro-entrepreneurs (intégrant ceux qui paient « des cotisations sociale selon le droit commun », mais excluant ceux de l’agriculture). Au cours de cette même période, 326 000 « auto-entrepreneurs » ont été radiés pour n’avoir déclaré aucune recette depuis au moins huit trimestres consécutifs…  La proportion des  « auto-entrepreneurs » économiquement actifs n’est que 51,3% en juin 2021 (47,7% au 2éme trimestre 2020 et 59% au 2ème trimestre 2019). « Ces taux montrent combien il est peu pertinent d’observer les créations de façon globale… », remarque André Letowski.
Précision : les données mentionnées diffèrent de celles de l’Insee car elles sont issues du système d’information de l’Acoss et des Urssaf qui couvre les micro-entreprises soumises au régime microsocial (lequel a intégré le dispositif « auto-entrepreneur » créé en 2009 );  ce suivi exclut les micro-entreprises payant leurs cotisations sociales selon le droit commun.

 

Le secteur des transports contribue nettement à la hausse des créations en 2021, notamment les activités de livraison à domicile, qui ont été stimulées par la crise sanitaire : « elles représentent 83 % des créations dans les transports et l’entreposage et relèvent très largement du régime du micro-entrepreneur », note l’Insee.

Fait notable à relever, le nombre de créations sous la forme d’une société (SARL, SA, SAS…) a augmenté aussi très fortement en 2021 ( +24 %), « la plus forte progression enregistrée sur les dix dernières années », note l’Insee, soit un total de 271 000 entreprises.  Parmi ces sociétés, c’est le statut juridique de la SAS (société par actions simplifiées) qui s’impose largement, représentent désormais 68 % des créations de sociétés. Alors qu’ en 2010, la SARL (société à responsabilité limitée) était le statut préféré par 81 % des créateurs d’entreprise. La SAS permettant à son dirigeant de conserver le régime de protection sociale du salarié, une particularité qui semble appréciée des créateurs en reconversion professionnelle, souhaitant conserver les avantages du salariat (les experts-comptables ont eu aussi tendance ces dernières années à recommander à leurs clients la SAS, ou sa variante unipersonnelle la SASU).

On voit donc cohabiter ainsi deux populations de créateurs : les micro-entrepreneurs (« solos ») et les chefs d’entreprise en société.

Ceci marque des différences dans les objectifs poursuivis : dans le premier cas, il s’agit davantage d’une démarche individuelle (créer son activité, son emploi); dans le second cas, l’option de créer une société, de déposer des statuts, de déclarer un capital social, dénote une volonté plus marquée de développement; une démarche davantage collective, puisqu’en société, il faut être plusieurs associés; une démarche « pour poser une projet durable », remarque André Letowski, expert en entrepreneuriat.

◊ L’option de l’entreprise individuelle est a priori la plus simple, la plus rapide à mettre en œuvre. Mais dans le même temps, elle limite les possibilités de développement, et aussi de financements (notamment le recours à des capitaux-investisseurs).

 

Déclic. Une enquête menée par le réseau entrepreneurial, Initiative France, auprès de 1 565 entrepreneurs soutenus, fait apparaître que la crise a pu jouer comme un déclic. en tout cas auprès des jeunes créateurs de moins de 30 ans, qui à 30% la citent comme un élément déclencheur de leur décision.

La crise sanitaire les a incités à prendre davantage en compte l’impact écologique de leur entreprise et à avoir une stratégie numérique, deux dimensions qui ressortaient moins dans les précédentes enquêtes du réseau.

Les motivations des créateurs interrogés dans cette enquête rejoignent les raisons habituellement mises en avant par ceux qui entreprennent : être son propre patron (76% de citations en tête et 47% dans les 3 premières citations); mais aussi, donner du sens à son activité (47%); saisir une opportunité de création ou de reprise (30%)…

Simplifier, une exigence toujours d’actualité

crédit photo : Z Rainey – Pixabay

Bien qu’accompagnés par un réseau comme Initiative France, les entrepreneurs interrogés citent parmi les difficultés rencontrées pour lancer leur projet les formalités administratives et l’obtention d’un financement, qui restent les obstacles les plus fréquemment mentionnés (respectivement 47 % et 29 %).

Tous les gouvernements promettent de simplifier la vie des entrepreneurs… 

Alors que la charge administrative, les normes et contraintes qui  pèsent sur la gestion quotidienne d’une entreprise n’ont cessé de s’accroître au cours des années, ce que Jean-Pierre Raffarin appelait déjà au siècle dernier « l’impôt paperasse », sans parler de la transposition en droit français des multiples directives et règlements de l’Union européenne…

Déjà en décembre 2013, pendant la présidence de François Hollande, Laurent Grandguillaume, alors député de la Côte-d’Or, avait remis au gouvernement un rapport sur « la simplification des régimes juridiques, sociaux et fiscaux de l’entrepreneuriat individuel. »

Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait constitué début 2014 un groupe de travail afin de « réfléchir à la création d’un statut juridique unique de l’entreprise. »

Finalement c’est la loi dite « API » adopté le 8 février 2022, soit huit ans plus tard (voir infra), qui institue une modalité unique de création de l’entreprise indépendante. Sans pour autant remettre en cause le régime de la micro-entreprise (nouvelle dénomination de l’auto-entrepreneur institué en 2009)…

Celui qui veut entreprendre reste donc toujours confronté au même dilemme : comment choisir le bon statut? 

Heureusement, il existe en France de très nombreux réseaux d’accompagnement à l’entrepreneuriat qui peuvent aider le futur créateur à bien peser les avantages/inconvénients des différentes options.

Laurent Grandguillaume, ex-député de la Côte d’Or, a coprésidé le Conseil de simplification pour les entreprises placé auprès du Premier ministre (2014-2017)

 Laurent Grandguillaume : « Simplifier, c’est laborieux » 

« Le chantier de la simplification avance, mais c’est laborieux », nous avait déclaré Laurent Grandguillaume en 2016… « Nous avons accumulé des couches successives de droit, pour protéger les consommateurs et aussi certains secteurs économiques. (…) Simplifier, c’est laborieux : souvent il s‘écoule un an entre l’idée et sa mise en œuvre (…) c’est beaucoup trop long pour un entrepreneur. Il faut modifier notre manière de faire la loi, aller à l’essentiel (…) et changer de méthode : notre système où l’on veut tout vérifier a priori témoigne de la culture de défiance de nos administrations vis-à-vis des entreprises » (…) Au Conseil de la simplification, que je co-préside avec Françoise Holder, une chef d’entreprise (co-fondatrice des boulangeries Paul -NDLR), chaque fois qu’un projet de loi est présenté en conseil des ministres, nous réunissons une dizaine d’entrepreneurs afin qu’ils donnent leur avis avant que le projet soit débattu au Parlement. (…) Notre objectif est à la fois de changer de culture – passer de l’autorisation administrative préalable à la déclaration »

 

 

◊ Simplifier et protéger, objectifs de la nouvelle loi « API » pour les indépendants

 

crédit photo : Sabine Van Erp – Pixabay

L’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté le 8 février 2022, à l’unanimité, le projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante.

Publiée au journal officiel du 15 février, la nouvelle loi dite « API », a pour objectif de d’apporter aux entrepreneurs « un cadre plus simple et protecteur au moment de la création d’entreprise et pour les accompagner tout au long de l’exercice de leur activité ».

Cette loi est au centre du « Plan Indépendants » porté par l’ex-ministre chargé des PME, Alain Griset (qui a démissionné du gouvernement le  8 décembre 2021) et présenté le 16 septembre dernier au palais de la Mutualité, par le président de la République en personne, lors du congrès de l’Union des entreprises de proximité, l’U2P.

Les dispositifs de la loi API concernent les plus de 3 millions d’entrepreneurs indépendants actifs dans notre pays : artisans, commerçants, professions libérales, dirigeants de sociétés affiliés à la sécurité sociale des travailleurs indépendants…

Séparation des patrimoines. Dans son article premier, la loi établit pour tout professionnel indépendant la séparation de son patrimoine personnel et de son patrimoine professionnel, ce dernier pouvant faire l’objet d’une transmission universelle entre vifs (y compris sous la forme d’un apport en société).

Désormais, l’ensemble du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel sera protégé. Il devient par défaut insaisissable par les créanciers professionnels, sauf si l’entrepreneur en décide autrement. Seuls les éléments utiles à l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel pourront être saisis en cas de défaillance professionnelle.

La loi API met fin au statut juridique de l’entreprise individuelle à responsabilité limité (EIRL), créé en 2010 mais qui n’avait pas rencontré un grand succès (à la différence de la SASU, société par actions simplifiée à associé unique qui a eu ces dernières années les faveurs de nombreux créateurs)

 

  • Parmi ses autres dispositions, la loi permet aux entrepreneurs individuels de faire évoluer plus aisément leur activité en passant de l’entreprise individuelle à un statut de société : dans ce cas, l’entrepreneur individuel pourra vendre, donner ou apporter en société l’intégralité ou une partie seulement de son patrimoine professionnel, sans procéder à la liquidation de celui-ci.

 

  • Allocation des travailleurs indépendants (ATI) : cette allocation, désormais ouverte aux travailleurs indépendants après une déclaration de cessation totale et définitive d’activité, pourra être obtenue soit auprès du centre de formalités des entreprises (CFE) compétent jusqu’au 31 décembre 2022, soit auprès du guichet unique à partir du 1er janvier 2023, lorsque cette activité n’est pas économiquement viable.
    La condition d’un revenu minimum à 10 000 € est maintenue uniquement pour la meilleure des deux années précédant la demande d’ATI.

 

  • Afin de sécuriser la situation des gérants majoritaires de SARL, la loi rend désormais possible, en cas de défaillance, l’effacement des dettes professionnelles dans le cadre d’une procédure de surendettement des particuliers.

 

•  Assurance volontaire perte d’emploi : la loi fait aussi obligation à Pôle Emploi, aux établissements de crédit, aux chambres de commerce et d’industrie, aux chambres des métiers et de l’artisanat, ainsi qu’aux experts-comptables, d’informer les travailleurs indépendants, à l’occasion de leurs interventions, quant à la possibilité de souscrire un contrat d’assurance contre la perte d’emploi subie.

* * * VERBATIM * * *

Est-ce la fin des cautions personnelles exigées par les banques? On peut en douter…

Lors des débats préalables au vote de la loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante, le 8 février 2022, le sénateur (LR) Christophe-André Frassa, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire sur le projet de loi, a questionné l’attitude future des banques : vont-elles renoncer à prendre des cautions sur les biens personnels de l’entrepreneur individuel?  La distinction des deux patrimoines permettra, selon le parlementaire, « de mieux protéger les travailleurs indépendants en cas de faillite, puisque leurs biens personnels seront désormais à l’abri des poursuites de leurs créanciers professionnels. Il ne faut pas, néanmoins, en attendre de miracles, car les créanciers professionnels les plus importants, notamment les banques, continueront d’exiger des sûretés spéciales sur certains biens de l’entrepreneur, y compris ses biens personnels. Ils pourront également lui demander de renoncer à leur profit au bénéfice de la séparation de ces deux patrimoines, afin de pouvoir saisir n’importe lequel de ses biens dans le cas où leur créance resterait impayée. Si la plus-value réelle de cette réforme reste donc à démontrer, elle n’en constitue pas moins une véritable révolution juridique qui rompt avec les principes les mieux établis de notre droit privé. Ces principes pluriséculaires sont littéralement fondamentaux. Ils fondent la responsabilité de chacun vis-à-vis d’autrui, dans la vie sociale et économique, et ils sont par conséquent au fondement de la confiance sociale et du crédit, qui n’existent que parce que la responsabilité des personnes est elle-même bien établie. Il ne faut donc toucher à ces principes que d’une main tremblante… »
Le sénateur Frassa n’a pas manqué d’envoyer à cette occasion une pierre dans le jardin du gouvernement en interpellant le ministre délégué aux PME Jean-Baptiste Lemoyne :  « Le texte initial du Gouvernement nous est apparu assez bâclé. (…) Il était certes compréhensible que le Gouvernement veuille faire un geste à l’égard des 3 millions d’indépendants et de leurs familles, à quelques mois d’élections importantes. Mais de là à présenter devant le Parlement un texte à trous… (…) Dans les deux semaines qui lui étaient imparties pour examiner le projet de loi, le Sénat s’est attaché autant que possible à en combler les lacunes. Nous avons presque entièrement réécrit les dispositions relatives au nouveau statut de l’entrepreneur individuel. L’ Assemblée nationale, par la suite, est revenue à un texte plus proche de celui du Gouvernement. Elle a néanmoins conservé certaines dispositions introduites par le Sénat qui nous paraissaient particulièrement importantes pour garantir la sécurité juridique de la réforme… »
Après avoir rappelé que la loi avait en 2015 rendu non-saisissable la résidence principale de l’entrepreneur, le ministre Jean-Baptiste Lemoyne, a salué pour sa part, « une avancée juridique considérable : on évite la double peine consistant à s’en prendre au patrimoine personnel d’un indépendant lorsque ses affaires ne vont pas bien« . Le ministre a interpellé les banques: « Nous attendrons des établissements bancaires qu’ils prennent toutes leurs responsabilités dans la mise en œuvre de cette réforme. Nous serons très vigilants, à la suite de la réforme, sur les flux de crédit et sur le taux de renonciation, et je souhaite que nous puissions faire un premier bilan dès la fin de l’année. »

 

Un portail officiel pour faciliter les démarches des entrepreneurs

crédit photo : Pixabay

Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué au Tourisme, aux Français de l’étranger et à la Francophonie, et chargé des PME, a officiellement lancé le 14 février un nouveau portail Internet « entreprendre.service-public.fr » rassemblant toutes les informations légales, pratiques et utiles, destinées aux entrepreneurs.

« Entièrement développé en responsive design », ce portail est accessible à partir de tous supports : ordinateur, tablette ou mobile.

Il propose plusieurs points d’entrée correspondant aux principales étapes de la démarche entrepreneuriale : « Je crée, Je reprends, Je gère, Je développe, Je clos, Je transmets »…

Créateurs et chefs d’entreprise y trouveront de nombreuses informations officielles, des services en ligne, des outils pour effectuer des démarches administratives, comme l’immatriculation, des outils de simulation ( ex: « calculer les cotisations sociales pour l’embauche du premier salarié »; « calculer un prix HT ou TTC »…), de nombreux formulaires administratifs Cerfas…

Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué, chargé des PME, à Bercy le 14 février 2022.
crédit photo : Anne Daubrée – SN Agence de Presse Magazine

« Ce site apporte aux entrepreneurs une information gratuite, fiable et personnalisée, afin de faciliter et d’améliorer leur parcours », a précisé le ministre lors de sa présentation.

Le portail Entreprendre.service-public.fr a été conçu, confirme Bercy, en liaison avec les principaux réseaux et institutions d’accompagnement et de soutien aux entrepreneurs; ils ont été associés au projet au sein d’un « comité de partenaires » piloté par la DILA (Direction de l’information légale et administrative, rattachée au Premier ministre).

Ce nouveau portail s’inscrit dans le « plan de simplification » des services en ligne dédiés aux professionnels, mis en œuvre par les pouvoirs publics cette année.

Outre entreprendre.service-public.fr, le site formalites.entreprises.gouv.fr centralisera l’ensemble des formalités administratives à accomplir pour immatriculer, modifier ou cesser son activité ou encore déposer ses comptes, quel que soit son secteur. Ce site mutualisera les ressources d’une dizaine de sites différents issus notamment des Centres de Formalités des Entreprises (CFE), et se substituera à eux à compter du 1er janvier 2023,

Le nouveau site portailpro.gouv.fr    permet de déclarer et de payer ses contributions fiscales et ses cotisations sociales, sur un seul et même espace en ligne, avec un accès direct  aux services des impôts, des Urssaf et de la douane. « Conçu comme un outil de pilotage et de gestion du quotidien, il permettra à l’entrepreneur d’effectuer simplement l’ensemble des démarches fiscales, douanières et sociales. Grâce à un identifiant unique, le chef d’entreprise – ou son mandataire – pourra suivre sa situation en temps réel sur un unique tableau de bord. Il pourra également dialoguer grâce à une messagerie sécurisée avec les services publics concernés : Urssaf, Douanes ou Finances Publiques », précise Bercy.