DISPARITION
Philippe Simonnot, un économiste éclectique et libéral

L’économiste, essayiste et journaliste Philippe Simonnot, récemment disparu, laisse une œuvre considérable, en partie méconnue. Ce libéral convaincu, voire « libertarien », était toujours prompt à démontrer que l’extension du domaine d’intervention de l’État était néfaste à la prospérité économique. Il ne craignait pas de susciter la polémique par le choix de ses sujets d’investigation. Nous reproduisons, en guise d’hommage, un article que nous avions consacré à l’un de ses nombreux ouvrages « Chômeurs ou esclaves, le dilemme français. »

« Les échanges » – Sculpture de l’artiste Romaine Lorquet qui orne l’un des murs du ministère de l’Economie à Bercy.

 

L’économiste, essayiste et journaliste Philippe Simonnot est décédé le 17 novembre 2022, à l’âge de 81 ans.

Il laisse une œuvre considérable et de très nombreux articles.

Titulaire d’un doctorat en économie, après des études à Sciences-Po et une licence en droit, Philippe Simonnot avait débuté comme journaliste au Monde (de 1968 à 1976) où il dirigea la rubrique Économie et Finances internationales, avant de devoir quitter le quotidien du soir après la publication d’une note confidentielle de la compagnie Elf Aquitaine qu’il s’était procurée dans des circonstances controversées.

Il a poursuivi ensuite sa carrière de journaliste en collaborant à différents journaux et magazines, mais il s’est surtout illustré par la publication d’une bonne trentaine d’essais (voir sa bibliographie en fin d’article)

Soucieux de vulgariser la compréhension de l’économie, et notamment de mieux faire connaître les principes du libéralisme, trop souvent caricaturé, Philippe Simonnot s’est intéressé à des sujets variés.  Si la monnaie et le pétrole furent ses premières spécialités (il avait couvert pour Le Monde la décision du président Nixon de suspendre la convertibilité du dollar en or le 15 août 1971), il traita de questions originales du point de vue économique comme la religion, le sport ou le sexe. Son dernier livre récemment paru, en atteste puisqu’il décrypte la vulgate écologiste de l’hitlérisme : « Le Brun et le Vert – Quand les nazis étaient écologistes » (éditions du Cerf).

Philippe Simonnot (1941-2022)

Ce franc-tireur à l’allure ascétique, au talent de polémiste, auteur de deux recueils de « leçons d’économie » le reliant à l’enseignement qu’il avait aussi pratiqué, n’a eu que rarement les faveurs des plateaux télés aux heures de grande écoute, sans doute parce que son point de vue, souvent iconoclaste, allait à l’encontre des idées dans l’air du temps.

Il n’épargnait pas son temps et son énergie tant dans l’écriture que dans de nombreux engagements comme l’Observatoire économique de la Méditerranée, l’Atelier de l’économie contemporaine ou encore le Séminaire monétaire de l’Institut Turgot.

En guise d’hommage, nous reprenons , ci-dessous l’article que nous avions consacré en 2013 à son ouvrage « Chômeurs ou esclaves – Le dilemme français »(Éditions Pierre-Guillaume de Roux).

Aux sources de la « préférence » française pour le chômage

 

Alors que le chômage atteint un niveau record en France (près de 5 millions de personnes sans emploi ou en sous-emploi !), le dernier livre de l’économiste Philippe Simonnot au titre provocateur, « Chômeurs ou esclaves », ne laissera pas indifférent.

C’est dans l’histoire du Droit – plus spécifiquement la rédaction du Code civil, puis la construction du Code du travail au cours des décennies, que l’auteur recherche l’archéologie de ce « dilemme français. »

Paradoxe. Contrairement à l’imprécation de Georges Pompidou à la fin des années soixante : « si le chômage dépasse les 500 000 personnes, ce sera la révolution … », les Français semblent s’être résignés au cours des décennies à un chômage durable (« On a tout essayé … » , soupirait naguère François Mitterrand à l’Elysée).

Depuis la Révolution de 1789, analyse Philippe Simonnot, les élites de notre pays sont hantées par le spectre de l’esclavage. Au début du 19ème siècle, les rédacteurs du Code civil (alors Code Napoléon) craignaient que le salariat ne rétablisse l’esclavage. On parlait alors de « louage du travail » – il n’était pas encore question de « droit du travail » élaboré … A l’époque, on distinguait le travail manuel, lequel pouvait faire l’objet d’un échange marchand – car on ne louait que sa force physique – et « le travail intellectuel qui engageait toute la personne, et donc ne pouvait être récompensé que par des honneurs… »

Dans l’inconscient français on est toujours resté, par rapport au travail, dans cette « logique de l’honneur » qu’a fort bien analysée le sociologue Philippe d’Iribarne (1989).

Mais, souligne Philippe Simonnot, cette « dichotomie entre la force de travail et la personne du travailleur » est désormais intenable : elle est remise en cause par l’organisation du travail moderne, où l’interaction entre le travailleur et les interfaces numériques engage à la fois son physique et son intelligence …

Pourtant cette approche archaïque reste encore très prégnante dans la culture et l’inconscient français, au point que certains « bien-pensants » estiment aujourd’hui « qu’il vaut mieux être pauvre sans travail qu’un travailleur pauvre … »

Lien de subordination. La confusion culturelle entre travail et esclavage (le mot « servage » nous paraîtrait plus approprié car il correspond à ce que fut la situation prévalant sous l’Ancien Régime) a généré, dans le sillage des luttes sociales et du mouvement ouvrier, une construction juridique subtile et la complexification continue des lois sociales.

On se retrouve aujourd’hui avec un arsenal législatif et réglementaire littéralement écrasant, dont le seul but est de rendre acceptable le « lien de subordination » institué en droit entre l’employé et son employeur (notion, semble-t-il, typiquement française).

Ce qui conduit Philippe Simonnot à qualifier le salariat d’« esclavage civilisé » … Les syndicats très attachés à la défense de ce « lien de subordination » qui fonde le statut du salarié apprécieront …

On doit en tout cas s’interroger : pourquoi des millions de travailleurs acceptent-ils (ou même le revendiquent avec la bénédiction des syndicats) ce « lien de subordination » plutôt que de lui préférer le travail indépendant ?
Seules les contreparties en termes d’avantages sociaux et de protection sociale obtenues au fil des décennies par les salariés peuvent expliquer ce consentement général à une forme de « servitude volontaire »…

Camus déplorait que l’homme moderne, né libre, montre toujours une préférence pour la servitude.

Aujourd’hui ces contreparties sociales représentent un coût très élevé pour la collectivité nationale (les prélèvements sociaux et fiscaux atteignent 46% du PIB français, soit 15 points de plus en trente ans !) Un fardeau excessif qui pèse sur l’ensemble de l’économie et finit par l’entraver.

Ce surcoût destiné à rendre acceptable la subordination consentie par les salariés ne génère-t-il pas en même temps la raréfaction de l’emploi ?

L’empilement des lois sociales, l’hypertrophie de notre code du travail et les nombreuses contraintes règlementaires qui pèsent sur les entreprises ont pour effet pervers de dissuader l’embauche, tout en surprotégeant ceux qui sont à l’intérieur du système …

« Les exclus du travail ne feront pas la révolution : les chômeurs ne descendent pas dans la rue. Tandis que les salariés à l’intérieur des entreprises se tiennent tranquilles de peur de se retrouver sans emploi … De sorte que, plus il y a de chômeurs, et plus il y a d’esclaves, et plus il y a d’esclaves plus il y a de chômeurs », conclut l’auteur.

Qu’on le partage ou non, son diagnostic à l’emporte-pièce a le mérite de forcer la réflexion sur la nature et l’organisation du travail au 21ème siècle. Encourageons les élus de la Nation, qui ont à graver prochainement dans la loi « la sécurisation du travail », à engager, avec d’autres, cet indispensable chantier de refondation sociétale.

J.G. ( ©Consulendo.com – 2013)

*Philippe Simonnot – « Chômeurs ou esclaves – Le dilemme Français » (Editions Pierre-Guillaume de Roux – 112 pages – 2013)

 

Parmi les nombreux autres livres de Philippe Simonnot:

  • L’Avenir du système monétaire, Paris, Robert Laffont, 1972.
  • Le Complot pétrolier : du rapport Schvartz à la dénationalisation d’ELF, Paris, 1976.
  • Le Monde et le pouvoir, préface de Michel Le Bris, Jean-Pierre Le Dantec, Jean-Paul Sartre, Paris, Les Presses d’aujourd’hui, 1977.
  • Les Nucléocrates, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1978.
  • Banquiers, votre argent nous intéresse, Paris, Grasset, 1979.
  • Mémoire adressé à Monsieur le Premier Ministre sur la guerre, l’économie et les autres passions humaines qu’il s’agit de gouverner, Paris, Le Seuil, 1981.
  • Le Grand Bluff économique des socialistes, Paris, Jean-Claude Lattès, 1982.
  • Le Sexe et l’économie ou la Monnaie des sentiments, Paris, J.-C Lattès, 1985.
  • Homo sportivus : sport, capitalisme et religion, Paris, Gallimard, 1988.
  • Doll’art, Paris, Gallimard, 1990.
  • 39 leçons d’économie contemporaine, Paris, Gallimard, 1998.
  • Mitterrand et les patrons, 1981-1986, avec Yvon Gattaz, Paris Fayard, 1999.
  • Vingt et un siècles d’économie : en vingt et une dates-clés, Paris, Les Belles lettres, 2002.
  • Économie du droit, tome 1 : L’Invention de l’État, Paris, Les Belles lettres, 2003.
  • L’Erreur économique : Comment économistes et politiques se trompent et nous trompent, Paris, Denoël, 2003.
  • Économie du droit, tome 2 : Les Personnes et les choses, Paris, Les Belles lettres, 2004.
  • Les Papes, l’Église et l’argent : histoire économique du christianisme des origines à nos jours, Paris, Bayard, 2005.
  • Le marché de Dieu : L’économie des religions monothéistes, Paris, Denoël, 2008.
  • Le Jour où la France sortira de l’Euro, Paris, Michalon, 2010.
  • Delenda America, Lyon, Éditions Baudelaire, 2011. Publication en ebook, Copenhague, ToucheNoire, 2011.
  • La Monnaie, histoire d’une imposture, cosigné avec Charles Le Lien, Paris, Perrin, 2012.
  • Le Rose et le Brun. Quel a été le rôle des homosexuels dans la montée du nazisme au pouvoir ? Paris : Dualpha, 2015.
  • Nouvelles leçons d’économie contemporaine, Paris, Gallimard, coll. « Folio actuel », janvier 2018.
  • Le Siècle Balfour : 1917-2017, Pierre-Guillaume de Roux Editions, mars 2018.
  • Le Brun et le Vert, Éditions du Cerf, 2022.

Source de la bibliographie : Wikipedia

* On peut aussi lire, en accès libre, les analyses de Philippe Simonnot dans la revue libérale Contrepoints.