PERSPECTIVES 2023 (II) :
Inflation, stagnation, guerre… le monde confronté à ses démons

Sur fond de poursuite de la guerre russe en Ukraine, le spectre de la récession, voire de la stagflation, pèse sur les perspectives économiques des pays occidentaux en 2023. Avec une faible croissance et un endettement record, la France devrait connaître des tensions sociales, attisées par la hausse des prix et l’engagement de réformes cruciales.

 

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Désillusions. L’année 2022 n’aura pas répondu aux espoirs qu’elle avait suscités parmi les populations accablées par deux ans de Covid et de confinements : des populations impatientes de retrouver une vie  « normale », avides de rattraper les moments « perdus » en matière de convivialité, de loisirs, de voyages, de consommation…

Las, la guerre portée en février par la Russie à l’Ukraine, aux frontières de l’Union européenne, et ses multiples conséquences, humaines bien-sûr, économiques, énergétiques, psychologiques, ont brisé net les légitimes aspirations à un retour rapide à des « jours meilleurs ».

Le spectre de la récession économique sur fond de crise énergétique et d’inflation plane sur le début de l’année 2023.

Certains n’hésitent pas à parler de « stagflation », combinaison d’inflation et de stagnation économique, qui conduit irrémédiablement à un appauvrissement général, si une telle situation devait perdurer.

Le retour en force de l’inflation depuis la sortie de la pandémie, a conduit les banques centrales à resserrer leurs politiques monétaires jusqu’alors accommodantes avec les déficits publics, et à augmenter les taux d’intérêt. Ce qui renchérit le coût du crédit aux entreprises et aux particuliers et la charge de la dette des États…

Non seulement la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé mi-décembre le relèvement de son taux directeur, mais elle a prévu au moins deux nouvelles hausses en cours d’année « pour assurer un retour au plus tôt de l’inflation vers l’objectif de 2 % à moyen terme. »  Après un niveau de 8,4 % en 2022 dans la zone euro, l’inflation moyenne devrait refluer à 6,3 % en 2023, puis « ralentir nettement au cours de l’année (…) pour s’établir à 3,4 % en 2024 et à 2,3 % en 2025″, selon la BCE.

Nul doute que ces politiques restrictives pèseront sur le niveau global d’activité…

Quelles perspectives pour 2023 peut-on esquisser?

Voici quelques tendances et lignes de force, même si le contexte particulièrement incertain incite à faire preuve d’humilité dans l’analyse.

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Un contexte international particulièrement perturbé et incertain

 

La poursuite de la guerre de la Russie à l’Ukraine qui entre dans son onzième mois, domine la scène internationale, accroît les facteurs d’incertitude pour 2023.

A ce conflit dont personne n’entrevoit l’issue à brève échéance, s’ajoutent la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine pour le leadership économique du monde,  les défis du dérèglement climatique et des transitions énergétiques, le gonflement des dettes publiques du fait des dépenses liées à la pandémie et à la protection sociale.

Comme le confirment diverses prévisions, dont celles du FMI, ces tendances adverses conduisent à un ralentissement de l’économie mondiale, après une forte reprise et même des pénuries d’approvisionnement lors de la sortie de la pandémie.

La croissance s’essouffle à peu près partout hormis en Asie du Sud-Est, en Inde et en Afrique, où l’activité restera à des niveaux élevés.

Longtemps locomotive de l’expansion internationale, l’économie chinoise a fait les frais de la politique « Zéro Covid », source de tensions internes. Tandis que ses partenaires occidentaux, conscients des trop fortes dépendances révélées par la pandémie en 2020, révisent leurs chaînes d’approvisionnement.

La levée des restrictions sanitaires par Pékin en fin d’année, inquiète désormais les autres pays qui redoutent une relance des contaminations en cas d’afflux de touristes chinois…

Avec la sortie de sa politique « Zéro Covid », la Chine est en quête de croissance, analyse Philippe de Gouville,  cofondateur d’Ismo. La stabilisation du marché de l’immobilier est l’autre « priorité du gouvernement chinois pour 2023. Celui-ci espère relancer la machine avec de nouveaux grands projets d’infrastructures. Par ailleurs, il souhaite accélérer le processus de fusion-acquisition entre les promoteurs immobiliers en difficulté. La reprise de la consommation, elle, attendra encore un peu compte tenu de l’explosion par millions des cas de Covid. »

 

Le FMI constate en cette fin d’année un ralentissement simultané de la croissance aux Etats-Unis et en Europe, celle-ci subissant de plein fouet la crise énergétique née des l’embargo sur le gaz russe.

L’économie américaine devrait croître d’un petit 1% en 2023 tandis que l’Allemagne et l’Italie seraient dans le rouge.

Dans sa dernière note de conjoncture intitulée « Refroidissement », l’Insee anticipe un fléchissement de l’activité américaine au premier semestre 2023, ainsi qu’une récession de l’économie britannique « sur fond de très forte inflation aggravée par les contraintes d’offre issues du Brexit ».

Dans la zone euro, « malgré les soutiens budgétaires et les effets résiduels de rattrapage post-crise sanitaire, l’activité pourrait fléchir au cours de l’hiver, de manière un peu plus marquée en Allemagne et en Italie qu’en France.

L’Insee prévoit un recul de la croissance à -0,2% en Allemagne, principal partenaire économique de la France, et un léger regain positif à 0,3% en Italie, et +1,1% en Espagne, meilleure performance de la zone.

Selon la BCE, l’économie de la zone euro pourrait se contracter au dernier trimestre 2022 et au premier trimestre 2023,  « en raison de la crise de l’énergie*, de l’incertitude accrue, du ralentissement de l’activité économique mondiale et du resserrement des conditions de financement. » Soit  « une récession courte et peu marquée. » La croissance moyenne de la zone atteindrait un petit 0,5% en 2023.

(*) Le 19 décembre, l’Union européenne a trouvé un laborieux compromis pour fixer un prix plafond de ses approvisionnements en gaz afin d’éviter l’explosion des tarifs observée en 2022.

Pour ce qui concerne la France, après une baisse de son PIB de 0,2% au dernier trimestre 2022,  notre pays pourrait enregistrer 0,4% de croissance sur l’année 2023, projette l’Insee.

Baisse de la consommation. Ce ralentissement de notre économie en fin d’année 2022 s’explique selon l’Insee par « une production industrielle en recul et d’une activité atone dans les services. La consommation des ménages se contracterait nettement, en raison notamment d’un fort recul de la consommation d’énergie (en lien avec les conditions météorologiques clémentes d’octobre-novembre mais aussi du fait de comportements de sobriété, en partie spontanés, en partie liés à la hausse des prix) et d’un repli des dépenses en hébergement-restauration. Après un fort rattrapage cet été sur les achats de véhicules, l’investissement marquerait le pas… »

Déficit nucléaire. L’Institut de la statistique a aussi évalué l’impact non négligeable sur l’économie française des défaillances et arrêts d’une part substantielle du parc nucléaire : « le manque de disponibilité des réacteurs nucléaires aurait ôté environ 0,4 point de PIB en 2022 »!

Les prévisions pour 2023 sont évidemment suspendues à l’évolution du contexte géopolitique, notamment de la poursuite de la guerre en Ukraine, et des tensions sur le marché de l’énergie.

France : l’économie stagne,

tandis que l’inflation attise les revendications salariales

 

crédit photo : Gerd Altmann – Pixabay

Selon la Banque de France, après 2,6% de croissance en 2022, l’économie française connaîtrait en 2023 « un ralentissement marqué, et la croissance du PIB n’atteindrait que + 0,3 % ».

« Une telle projection est entourée d’une incertitude toujours large, avertit l’institution, notamment liée aux aléas sur les quantités et les prix d’approvisionnement en gaz : nous retenons de ce fait une fourchette comprise entre – 0,3 % et + 0,8 % pour cette prévision de la croissance en 2023. »

Toutefois, la Banque de France estime ne pas pouvoir  « exclure la possibilité d’une récession, qui serait cependant alors temporaire et limitée. »

La banque centrale estime que notre économie « subit un choc important de prélèvement extérieur d’au moins 1,5 % du PIB, du fait principalement de la forte hausse des prix de l’énergie en Europe, conséquence de la guerre russe en Ukraine. Il en résulte une inflation trop élevée et une ponction sur les revenus réels des entreprises et des ménages, en large partie cependant amortie par les finances publiques. »

Cependant l’institution publique se montre raisonnablement optimiste pour l’avenir : « Après une bonne résilience au cours de la plus grande partie de 2022, l’activité traverserait deux phases bien distinctes : un net ralentissement à partir de cet hiver, puis un recul des tensions inflationnistes et une reprise progressive de l’expansion économique en 2024 et surtout en 2025. »

L’Insee prévoit pour sa part un début d’année 2023 « marqué par la hausse des prix de l’électricité et du gaz, pour les entreprises comme pour les ménages ». L’activité « rebondirait néanmoins très légèrement au premier trimestre (+0,1 % prévu), à la faveur du rebond attendu dans la cokéfaction-raffinage après les grèves de l’automne, et du redémarrage programmé de plusieurs réacteurs nucléaires actuellement en maintenance. Le rebond serait plus franc au deuxième trimestre (+0,3 % prévu) avec une accélération de l’activité dans les services. »

Le niveau de l’inflation, en glissement annuel, atteindrait 7% en début d’année 2023, en raison de la « hausse programmée des tarifs réglementés du gaz et de l’électricité, ainsi que de la fin de la remise à la pompe », analyse l’Insee.

Mais la hausse des prix de l’alimentation atteindrait environ 13 %!

À partir du printemps, cependant, l’Institut de la statistique anticipe un reflux de l’inflation à +5,5 % en juin.

La Banque de France estime l’inflation en moyenne annuelle à 6% en 2023, mais avec une décrue progressive au second semestre pour atteindre les 4% en fin d’année.

Toutefois « les prix de l’alimentation et des produits manufacturés ne se replieraient que progressivement, avec une certaine persistance liée à la diffusion des coûts de production. La hausse des prix des services serait, quant à elle, entretenue par la progression des salaires nominaux, mais elle serait contenue par l’effet du plafonnement de l’indice de référence des loyers (IRL) à 3,5 % entre juillet 2022 et juin 2023″, précise la banque centrale.

Hausse des prix et défense du pouvoir d’achat

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Le niveau élevé de l’inflation attise les revendications salariales.

Le coup d’envoi de ces actions revendicatives pour « la défense du pouvoir d’achat » avait été donné cet automne par les grèves dures dans les raffineries de pétrole, suivies par les grèves dans les transports publics (métros, SNCF). Et désormais, de nombreux corps de métiers se sentent fondés à leur emboîter le pas.  A l’instar des médecins de ville qui ont fermé leurs consultations au moment des fêtes de fin d’année…

Avec en toile de fond, un chômage qui reste à un niveau élevé (7,3% de la population active) par rapport à la moyenne des pays européens, les revendications salariales seront au cœur des mouvements sociaux, les syndicats étant fortement mobilisés en ce début d’année autour des réformes sensibles de l’assurance-chômage et des retraites.

La négociation patronat-syndicat sur le partage de la valeur en entreprise qui doit se clore fin janvier donnera le ton du climat social dans notre pays.

Le paradoxe est que les grands groupes publieront au premier semestre des résultats financiers excellents, consécutifs à la reprise économique de 2022, alors que la conjoncture 2023 sera marquée par une stagnation de l’activité et des incertitudes accrues.

Tous ces éléments contribueront à accroître le niveau des tensions sociales dans notre pays que l’on sait particulièrement fracturé, et alors que le gouvernement ne dispose pas de majorité absolue au Parlement, et que ses marges de manœuvres budgétaires sont particulièrement réduites du fait de la charge plus lourde de la dette, laquelle avoisine les 3 000 milliards d’euros.

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