Partage de la valeur créée en entreprise :
Les partenaires sociaux veulent encourager la participation dans les PME

Éclipsée par le bras de fer sur la réforme des retraites, la négociation syndicats-patronat sur le partage de la valeur dans l’entreprise a porté ses fruits. Un Accord national interprofessionnel (ANI) visant à améliorer la participation des salariés à la richesse créée, devrait être prochainement approuvé par une majorité des partenaires sociaux. Preuve que le dialogue social peut fonctionner sans l’ingérence de l’État et que le paritarisme n’est pas moribond.

crédit image : Gerd Altmann – Pixabay

Vers un meilleur partage de la valeur créée dans les PME

 

Après des mois de négociation, les partenaires sociaux ont abouti le 10 février 2023 à un texte de compromis destiné à améliorer la répartition de la valeur créée dans les entreprises, entre actionnaires et salariés. notamment dans les plus petites d’entre elles (moins de 50 salariés) qui constituent l’essentiel de notre tissu économique.

Le texte de cet accord national interprofessionnel, ANI, est soumis aux votes des partis prenantes, syndicats patronaux et de salariés, d’ici le 22 février.

Les trois organisations patronales, Medef, CPME et U2P, ont salué la conclusion de cet accord.

De son coté la CFDT a annoncé le 15 février signer cet accord « pour un meilleur partage de la valeur », notamment pour les salariés des PME.

Dans un communiqué, la centrale syndicale  estime que « cet accord normatif démontre l’utilité du dialogue social et l’efficacité du paritarisme. La CFDT se félicite, qu’organisations syndicales et patronales, aient réussi à s’entendre pour œuvrer à un meilleur partage de la valeur avec les salariés des entreprises, notamment ceux des petites et moyennes entreprises. C’est dans cet esprit que le bureau national du 14 février 2023 a décidé d’approuver cet accord. »

FO pourrait finalement signer cet accord, tandis d’autres syndicats de salariés tels que la CGT et CFE-CGC se montrent réticents ou hostiles.

Le texte de l’ANI vise à « rendre plus accessibles » aux entreprises de moins de 50 salariés les dispositifs existants en matière de partage de la valeur, notamment en poursuivant « la simplification des dispositifs d’intéressement, de participation et d’actionnariat salarié » et en renforçant « leur attractivité. »

  • Jusqu’à présent le mécanisme de participation des salariés aux bénéfices de l’entreprise n’est obligatoire que dans les sociétés employant plus de 50 personnes (voir infra, la présentation des dispositifs existants)
  • L’intéressement (sur la base de performances financières ou non ) est laissé à la discrétion de l’entreprise, quelle que soit sa taille, mais est encore peu répandu dans les PME.

 

Selon les données de la Dares, alors que 88,5 % des salariés d’entreprises de plus de 1000 personnes bénéficiaient d’un dispositif de partage de la valeur en 2020, moins de 20 % des collaborateurs de PME de moins de 50 salariés en sont bénéficiaires…

Le principe que les salariés puissent recevoir une part des profits de l’entreprise qu’ils ont contribué à générer, paraît légitime et simple, mais, en pratique, installer dans une PME les mécanismes de redistribution existants reste compliqué, en raison des nombreuses conditions qu’il faut satisfaire. La loi Pacte a certes introduit quelques améliorations mais cela reste insuffisant.

En septembre 2019, Fondact, association qui promeut l’intéressement et la participation des salariés, avait publié le rapport d’un groupe de travail présidé par la députée Véronique Louwagie sur les freins existants à la mise en place de mécanismes de partage de la valeur dans de petites structures : « Les TPE et PME sont, en effet, plus fragiles et moins équipées pour faire face à la complexité de l’appareil réglementaire qui entoure ces dispositifs (…) Le caractère aléatoire du déclenchement de l’accord, la conclusion avant la mi-année, l’engagement pour trois ans, le principe de non-substitution aux primes variables collectives existantes, … autant de paramètres qui peuvent effrayer les chefs d’entreprise dans la mise en place de ces dispositif… »

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« Un dispositif facultatif de participation pour les PME »

Au terme de l’accord conclu le 10 février, précise la CPME, « les branches professionnelles devront, pour les entreprises de moins de 50 salariés, prévoir un dispositif facultatif de participation avec une formule pouvant déroger à la formule de référence, dont la CPME dénonce, depuis des années, la complexité. Si ces mêmes entreprises, pendant au moins trois années consécutives, dégagent un bénéfice net fiscal au moins égal à 1% de leur chiffre d’affaires, elles devront se saisir d’un dispositif légal de partage de la valeur (participation, intéressement, Prime de partage de la valeur ou épargne salariale), en conservant le choix du mécanisme le plus adapté à leur situation et à leurs objectifs. »

Plus de simplification et de souplesse dans la mise en place des dispositifs d’intéressement ou de participation dans les PME, c’est ce que demandait aussi l’U2P : en mettant comme condition « que les branches professionnelles qui aboutiront à un accord allant dans ce sens, prévoient un dispositif permettant aux entreprises qui le souhaitent de l’appliquer directement, sans passer par un accord d’entreprise qui serait impraticable dans les TPE. »

Le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, s’est réjoui de cet accord comme  d’un « grand pas en avant ». Dans un long entretien au Figaro, il salue ce « texte fondateur » en demandant au gouvernement et au Parlement « de reprendre cet accord sans le dénaturer » : « Nous traduisons le compromis avec les syndicats par la mise en place de dispositifs de participation dérogatoires à la formule légale de la participation. Par ailleurs, d’ici juin 2024, les branches devront ouvrir des négociations sur ce thème pour proposer des dispositifs de participation adaptés aux PME. (…) Parmi les 36 articles du texte d’accord figurent également des incitations à davantage orienter les fonds de l’épargne salariale vers des supports d’investissement verts, solidaires et responsables. Il crée aussi trois nouveaux cas de déblocage anticipé des plans d’épargne entreprise. Ou encore, il permet de faciliter le développement de l’actionnariat salarié dans les entreprises non cotées avec un dispositif très innovant. J’ajoute que tout le monde était d’accord, autour de la table, pour ne pas endosser le concept de «dividende salarié», que personne ne comprend. »

Feu le « dividende salarié »

Ce dernier point est aussi particulièrement apprécié par la CPME : « Les partenaires sociaux écartent explicitement la notion de ‘dividende salarié’ dont ils ne soutiennent pas le concept, en indiquant que le dividende caractérise une modalité de rémunération des apporteurs de capitaux propres. »

En revanche l’expression de « dividende du travail » figure dans le Code du travail pour caractériser les dispositifs d’intéressement, de participation et d’épargne salariale »

La Confédération des PME souligne aussi que les partenaires sociaux se sont retrouvés « autour de la nécessité d’une plus grande souplesse des dispositifs, par exemple en élargissant la faculté de prévoir des avances pour les salariés, au-delà des seuls accords d’intéressement, ou en réclamant des nouveaux cas de déblocage anticipé des PEE (plan épargne entreprise) pour les proches aidants ou pour financer des travaux de rénovation énergétique. »

Pour sa part, la CFDT se réjouit que des fonds d’épargne responsables prenant en compte des critères extra-financiers, labellisés ISR, Greenfin, Finansol, CIES ou France Relance, seront désormais proposés dans la liste de fonds mis à disposition des salariés par les gestionnaires d’épargne salariale.

Les « Superprofits » seront partagés

L’ANI fait aussi un sort au traitement des « superprofits » réalisés par certains grands groupes, notamment à la suite de la flambée des prix de matières premières, de l’énergie ou du transport maritime.

Ces profits exceptionnels qui ont déclenché une polémique et inspiré des propositions d’impôts supplémentaires, devront donner lieu à des versements complémentaires d’intéressement et de participation : les entreprises de plus de 50 salariés devront prévoir dans leur accord de participation ou d’intéressement une formule dérogatoire pour les résultats considérés comme exceptionnels. 

Ce mécanisme prévoit, précise Geoffroy Roux de Bézieux dans son interview au Figaro, « de déclencher, après accord d’entreprise, un versement automatique supplémentaire de participation ou d’intéressement. Ou renverra à une nouvelle discussion sur le versement d’un dispositif de partage de la valeur. On ne définit pas la notion de «superprofit» dans le texte, parce qu’on ne peut évidemment pas comparer une major du pétrole à une entreprise moyenne du bâtiment. J’en profite pour dire que TotalEnergies, qui fait des profits exceptionnels, c’est vrai, redistribue aussi de manière exceptionnelle. »

Partage de la valeur  entre Capital et Travail : en France, la répartition reste favorable aux salariés…

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Contrairement à ce que l’on peut entendre parfois, la valeur ajoutée (différence entre la valeur de la production de l’entreprise et ses consommations intermédiaires) fait l’objet dune répartition plus favorable aux salariés qu’aux actionnaires.

C’est ce que souligne une étude récente réalisée par Eric Dor, directeur des études économiques de l’IESEG, et publiée par le site The Conversation.

« La répartition de la valeur ajoutée nette des entreprises es particulièrement favorable aux travailleurs en France. (…) La rémunération des salariés a augmenté tendanciellement de 1988 à 2021 en pourcentage de la valeur ajoutée nette. Elle a atteint 82,56 % en 2021, depuis 75,02 % en 1988. Au premier semestre 2022, elle a un peu diminué pour se retrouver à 81,81 %.
« En effet, la part des salaires, en pourcentage de la valeur ajoutée nette, est supérieure en France à celle de tous les autres pays de l’Union européenne (UE), à l’exception de la Slovénie.
« Le corollaire est que le partage de la valeur ajoutée des entreprises dégagée en France apparaît nettement en défaveur des actionnaires.
« La part des profits nets distribués ou épargnés des sociétés situées en France, hors secteur financier, reste en effet inférieure à celle de tous les autres pays de l’UE, à l’exception de Chypre. (…)
« Les dividendes nets payés par les entreprises situées en France restent eux aussi inférieurs à ceux de leurs concurrentes situées dans la plupart des autres pays de l’UE :
il ne s’agit pas d’un prélèvement sur la valeur ajoutée dégagée en France par ces sociétés au détriment des salariés français, contrairement à ce qu’avancent certaines interprétations erronées.
« En réalité, une grande partie de ces dividendes payés par les multinationales françaises sont une simple redistribution à leurs actionnaires des dividendes qu’elles ont reçus de leurs filiales localisées à l’étranger, et qui sont donc issus du partage de la valeur ajoutée dans ces autres pays. Les dividendes de ces multinationales sont donc en grande partie indépendants du partage de la valeur ajoutée dégagée par leurs activités situées en France. »

Une analyse que corrobore une note de l’économiste Sylvain Bersinger du cabinet Asterès, publiée en octobre 2022:

« En moyenne, le poids des salaires dans le PIB est plus élevé en France que dans le reste de l’Europe.

« Le partage de la valeur ajoutée entre salariés et entreprises est resté stable en France depuis environ 30 ans, et demeure plus favorable aux salariés que dans le reste de l’Europe. (…)

« La part de la valeur ajoutée revenant aux entreprises est également stable. En 1995, l’EBE (excédent brut d’exploitation, c’est-à-dire le montant restant dans l’entreprise après le paiement des consommations intermédiaires et des salariés) et les revenus mixtes représentaient 35,4 % du PIB, et 35,5 % en 2021.

« La part de l’EBE dans le PIB est tendanciellement plus faible en France que dans les autres pays européens. » (…)



 

Intéressement, participation, PPV…  Comment ça marche?

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# INTÉRESSEMENT:

L’intéressement est un dispositif facultatif mis en place par voie d’accord avec les salariés ou leurs représentants.

Objectif : motiver et fidéliser les salariés en les associant aux performances  et résultats de l’entreprise.

Toutes les entreprises (quels que soient leur forme juridique, leur nombre de salariés ou leur domaine d’activité) peuvent le mettre en place.

Un accord d’intéressement peut être conclu soit par :
• convention ou accord collectif de travail de droit commun (c’est-à-dire avec un ou plusieurs délégués syndicaux)
• accord entre l’employeur et les représentants d’organisations syndicales représentatives
• accord au sein du comité social et économique (CSE)
• referendum adopté à la majorité des 2/3 du personnel, d’un projet d’accord proposé par l’employeur.

Les entreprises de moins de 50 salariés peuvent mettre en place un régime d’intéressement par décision unilatérale de l’employeur à condition de ne pas relever d’un accord de branche proposant un dispositif d’intéressement agréé et d’être dépourvues de délégué syndical et de comité social et économique ou d’avoir échoué dans leurs négociations sur ce sujet si elles en sont pourvues.

La somme perçue au titre de l’intéressement peut être en partie ou en totalité versée au salarié, à condition que ce dernier en fasse la demande au plus tard 15 jours après avoir été informé du montant lui étant attribué
Si le salarié ne se manifeste pas, les sommes perçues au titre de l’intéressement lui sont automatiquement versées (au plus tard le dernier jour du 5e mois suivant la clôture de l’exercice) sur un plan d’épargne salariale.

Agnès Bricard, expert-comptable, ambassadrice à l’intéressement et à la participation, fait valoir que dans une PME, le dirigeant lui-même peut bénéficier de l’intéressement, ce qui le rend attractif.

 

# PARTICIPATION :

La participation est un dispositif de redistribution aux salariés d’une partie des bénéfices réalisés par l’entreprise.

La participation est obligatoire pour toutes les entreprises qui emploient plus de 50 salariés par mois, au cours des cinq dernières années et ce quelle que soit la nature de leur activité et leur forme juridique.

La participation est mise en place par voie d’accord entre l’entreprise et les salariés ou leurs représentants, selon les modalités suivantes :
• dans le cadre d’une convention ou d’un accord collectif conclu au niveau professionnel ou au niveau de la branche;
• dans le cadre d’un accord entre le chef d’entreprise et les représentants d’organisations syndicales représentatives;
• Dans le cadre d’un accord au sein du comité social et économique (CSE), entre le chef d’entreprise et les représentants du personnel;
• dans le cadre d’un projet d’accord proposé par l’employeur et adopté par référendum à la majorité des 2/3 des salariés.

Les PME de moins de 50 salariés, non assujetties à ce dispositif, peuvent mettre en place de façon volontaire la participation dans leur entreprise.  Mais à cette fin, elle doivent conclure un accord dans les mêmes conditions que celles qui sont légalement tenues d’appliquer un régime de participation aux résultats.

Les sommes versées sur la réserve spéciale de participation sont réparties entre tous les salariés de l’entreprise selon les critères de répartition suivants :
• soit de façon uniforme entre chaque salarié
• soit en proportion des salaires
• soit en proportion du temps de présence dans l’entreprise
• soit par la combinaison des trois critères ci-dessus.

Les salariés peuvent disposer immédiatement de la somme qui leur a été attribuée sous réserve d’en faire la demande dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle ils ont été informés du montant dont ils bénéficient.
À défaut d’en faire la demande, les sommes acquises au titre la participation peuvent être affectées par les bénéficiaires à l’un des placements d’épargne suivants :
• un plan d’épargne entreprise (PEE)
• un plan d’épargne pour la retraite collectif (PERCO)
• un plan d’épargne interentreprises (PEI)

#PPV – Prime de partage de la valeur :

Instituée par la loi du 16 août 2022 sur la protection du pouvoir d’achat, la prime de partage de la valeur – PPV –  permet aux entreprises de verser à leurs salariés une prime exonérée de toutes cotisations sociales, ainsi que des autres taxes, contributions et participations dues sur le salaire. Et ce, dans la limite de 3 000 €, et jusqu’à 6 000 € pour les entreprises ayant mis en place un dispositif d’intéressement ou de participation.

Cette prime ne peut, en aucun cas, se substituer à la rémunération du salarié, ni à des augmentations de rémunération ou des primes prévues par un accord salarial, par le contrat de travail ou par les usages en vigueur dans l’entreprise, l’établissement ou le service.

Toutes les entreprises quelle que soit leur taille peuvent verser à leurs salariés une PPV.

Plus spécifiquement, elle peut être versée par :
• tous les employeurs de droit privé, y compris les travailleurs indépendants (artisans, commerçants, exploitants agricoles, professions libérales), les mutuelles, les associations ou les fondations, les syndicats, etc.
• les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC);
• les établissements publics administratifs (EPA) lorsqu’ils emploient du personnel de droit privé (ex. les agences régionales de santé – ARS).

(Source: Bercy Infos Entreprises)