Agenda social et organisation du travail :
Après les « casserolades », il faudra bien s’asseoir à la table des négociations…

L’opposition virulente et persistante à la réforme des retraites, agrémentée du tintamarre des casseroles, éclipse d’autres enjeux sociaux tout aussi importants. En contrefeu à la contestation, le gouvernement plaide pour un « nouveau pacte de la vie au travail ».  Un rapport faisant des propositions dans ce sens a été rendu public récemment. Mais les partenaires sociaux, syndicats et patronat, rechignent à se faire dicter l’agenda social. La Première ministre, Elisabeth Borne, reçoit les syndicats à Matignon les 16 et 17 mai.

 

crédit illustration : Gerd Altmann – Pixabay

L’opposition persistante – syndicale et politique – à la réforme des retraites, à grand renfort de « casserolades », accapare depuis des mois l’agenda social. Au point d’éclipser d’autres problèmes cruciaux qui affaiblissent notre économie, réduisent notre potentiel de croissance et donc notre prospérité collective, faute de correctifs depuis parfois des décennies.

Or le tintamarre potache des casseroles ne saurait, en l’espèce, remplacer la négociation opiniâtre entre syndicats de salariés et patronat.

Parmi les questions en suspens citons, entre autres,

  • le sous-emploi chronique : la proportion de la population en âge de travailler effectivement en activité est plus faible en France que dans des pays comparables, notamment aux deux bouts, chez les jeunes et chez les plus de 60 ans. Nous avons aussi une part de « NEET » (acronyme anglais signifiant « ni en formation ni en emploi ») plus élevée qu’ailleurs, et 150 000 jeunes quittent chaque année le système éducatif sans diplôme…
  • l’inadéquation entre les formations dispensées dans l’Enseignement et les besoins des entreprises est confirmée par les difficultés qu’éprouvent ces dernières à recruter les collaborateurs qu’elles recherchent. L’enseignement professionnel a longtemps pâti d’un dédain  de la part d’une partie des Français, des médias et des élites… Il est bon que le président de la République l’ait présenté début mai comme une « cause nationale » et annoncé une série de mesures pour le renforcerLuc Ferry se désole de n’avoir pas eu les moyens de créer des « Universités des métiers » lorsqu’il était ministre de l’Education nationale sous Jacques Chirac (2002-2004)… Toutefois l’augmentation spectaculaire du nombre de personnes en apprentissage/alternance en 2022, approchant le million (contre une moyenne de 400 000 auparavant) est un progrès qu’il faut saluer. Rappelons qu’en Allemagne, l’apprentissage et l’alternance représentent la voie royale de la promotion professionnelle.
  • l’organisation du travail, le déroulement des carrières, la promotion interne, la participation à la gouvernance des entreprises, ces sujets récurrents n’ont pas vraiment fait l’objet de négociations globales car laissées aux discussions syndicats-patronat au sein des branches professionnels ou des entreprises. Or la revendication pour une semaine de 4 jours est en train de revenir dans l’actualité. Tandis que l’allongement nécessaire de la vie professionnelle oblige à repenser totalement le déroulement des carrières et à aménager les dernières années en activité afin d’éviter le couperet des pré-retraites, financièrement et socialement coûteuses, même si syndicats et patronat s’en sont fort accommodés jusqu’à présent. Quant à la gouvernance, mis à part les cas minoritaires des entreprises dites « libérées », la France a beaucoup de progrès à faire avant d’aboutir à des systèmes de type cogestion à l’allemande qui associent les collaborateurs aux grands choix stratégiques de leur entreprise…
  • Le management toxique, le harcèlement moral, la mauvaise ambiance au travail, l’impéritie de dirigeants « parachutés » par les actionnaires, les mauvaises décisions de gestion… sont autant de facteurs qui pèsent sur la performance de nos entreprises et sont rarement pris en compte dans les négociations sociales.

Heureusement l’accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur en entreprise, conclu en février entre syndicats et patronat, sauve la mise du « paritarisme ».

Il doit faire l’objet d’une transposition prochaine dans la loi et la Première ministre Elisabeth Borne a assuré que cette transposition législative respecterait l’esprit et le contenu de l’ANI.

Un « nouveau pacte de la vie au travail »,  en attendant une hypothétique loi Travail

En réponse aux manifestations d’opposition à la réforme des retraites, le président de la République, dans son allocution télévisée du 17 avril, s’était déclaré disposé à recevoir les syndicats, invitation que ces derniers ont déclinée… Emmanuel Macron a aussi plaidé pour l’instauration d’un « nouveau pacte de la vie au travail ».

Que met le président de la République derrière cette expression? 

Dans son allocution, il évoque des « négociations sans tabou (…) sur des sujets essentiels : améliorer les revenus des salariés, faire progresser les carrières, mieux partager la richesse, améliorer les conditions de travail, trouver des solutions à l’usure professionnelle, accroître l’emploi des seniors et aider aux reconversions. »

Ajoutant que « ce pacte sera construit par le dialogue social, et les accords très concrets au niveau national mais aussi au plus près du terrain que les organisations syndicales et patronales sauront trouver. »

Désireux de « tourner la page » de la fronde contre les retraites, l’exécutif s’active dans l’espoir de reprendre en main l’agenda social et de l’orienter à sa guise…

« Feuille de route » et « grain à moudre »…

La Première ministre Elisabeth Borne reçoit les syndicats les 16 et 17 mai 2023.

Si les syndicats de salariés comptent réaffirmer à cette occasion leur opposition totale à la loi sur les retraites, et notamment sur l’allongement à 64 ans de l’âge de liquidation des droits, la Première ministre se dit prête à aborder tous les sujets permettant de relancer le « dialogue et la négociation sociale »: « Je suis à l’écoute des priorités que les organisations syndicales et patronales souhaitent mettre dans la discussion », a-t-elle déclaré au Journal du Dimanche du14 mai.

Une illustration de la volonté de l’exécutif de sortir du blocus de la réforme des retraites en remettant sur le métier d’autres sujets pour lesquels il pourrait y avoir du « grain à moudre » entre partenaires sociaux, selon la célèbre expression de feu André Bergeron, ex-secrétaire général de Force Ouvrière (1963-1989).

Auparavant, à la suite de l’intervention du président de la République, la Première ministre a rendu publique le 26 avril « la feuille de route du gouvernement«  pour les mois à venir, dans laquelle elle reprend l’exhortation présidentielle à « vouloir bâtir un nouvel agenda social avec les partenaires sociaux, afin d’élaborer un nouveau ‘pacte de la vie au travail’ : 

  • Améliorer le revenu des salariés;
  • Faire progresser les carrières et la possibilité des reconversions; 
  • Travailler sur la gestion des temps avec le compte épargne temps universel;
  • Améliorer les conditions de travail;
  • Prévenir l’usure professionnelle;
  • Développer l’emploi des seniors. »

Autant de sujets sensibles qui devraient exciter l’appétit des syndicats pour la négociation!

Le projet de loi Travail repoussé. Initialement, avant que ne se déchaînent les manifestations contre la réforme des retraites, le gouvernement envisageait de présenter un projet de loi « Travail et plein emploi » avant l’été…

Face à l’agitation persistante, le  gouvernement a fait machine arrière et préfère laisser le terrain à la négociation sociale avant de présenter sa loi. Si l’on en croit Elisabeth Borne, ce projet législatif est désormais repoussé à 2024 et il devrait servir à « décliner le fruit des négociations sur le ‘pacte de la vie au travail’. »

« Dindons de la farce »

Mais le gouvernement semble un peu trop sûr de son fait en anticipant des avancées de la négociation sociale. Or les partenaires sociaux, déjà méfiants d’une trop forte ingérence de l’État – qui n’a cessé de se renforcer notamment à la faveur de la pandémie – répugnent à se faire imposer l’agenda de leurs négociations.

Candidate à la présidence du Medef, Dominique Carlac’h s’est inquiétée le 27 avril sur BFM Business : « Dans cette réforme des retraites, il ne faudrait pas que les entreprises soient les dindons de la farce, en faisant l’objet de surenchères sociales. Il ne faudrait pas qu’en creux du discours gouvernemental, on entende que les entreprises ne font rien, alors que les entreprises font déjà beaucoup sur des sujets comme l’emploi des seniors, ou l’apprentissage… Quant au « pacte de la vie au travail », j’ai une ligne rouge, c’est la productivité! »

Sophie de Menthon, présidente du mouvement Ethic (à droite de la photo), recevant, le 21 avril 2023, les candidats à la présidence du Medef, dont Dominique Carlac’h (à gauche) – crédit photo : Ethic

 

De son côté la présidente du mouvement patronal Ethic, Sophie de Menthon, a réaffirmé récemment devant la délégation sénatoriale aux entreprises sa totale opposition à une loi sur le Travail.  La dirigeante au franc-parler craint que l’État qui a considérablement étendu son ingérence dans l’économie depuis la pandémie, ne dépossède les partenaires sociaux de leurs prérogatives pour décider ce qui est bon pour les entreprises, en leur imposant de nouvelles contraintes, obligations et réglementations.

 

Quant aux syndicats de salariés, ils concentrent toute leur énergie à ferrailler contre l’application de la loi désormais promulguée sur la réforme des retraites, espérant un hypothétique vote parlementaire en ce sens en juin…

Un rapport sur une meilleure organisation du travail pour « nourrir les négociations à venir »…

 

Assises du Travail. Reprenant l’exhortation présidentielle à conclure un  « nouveau pacte de la vie au travail »,  le ministre du Travail, du plein emploi et de l’insertion, Olivier Dussopt, a réceptionné le 24 avril le rapport final consécutif aux travaux lancés dans le cadre des Assises du Travail,  initiées en décembre dernier, un des « chantiers » du Conseil national de la refondation (CNR).

Pour le ministre du Travail, les réflexions de ce rapport devraient « nourrir les discussions entre partenaires sociaux, notamment sur les parcours professionnels, l’emploi des seniors, les questions de prévention, les outils de dialogue au sein des entreprises… »

Intitulé « Re-considérer le travail », le rapport a été remis au ministre par les  deux « garants » désignés des travaux , Jean Dominique Senard, président de Renault Group, et Sophie Thiéry, présidente de la commission Travail-Emploi du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Voir le texte de leur présentation infra.

  • Issu d’échanges entre partenaires sociaux, universitaires, experts et praticiens, ce document interroge  l’évolution du rapport au travail, notamment après la crise sanitaire, et fait des propositions pour améliorer la vie au travail.*

 

  • Les travaux des Assises ont porté sur trois thèmes : le sens du travail, la qualité de vie et la santé au travail, et la démocratie au travail. (Voir infra)

Remise du Rapport Notat-Senard au ministre de l’Economie Bruno Le Maire, en mars 2018

 

> Rappelons que Jean-Dominique Senard, ex PDG de Michelin, patron à la fibre sociale, a été le coauteur avec l’ex-syndicaliste Nicole Notat, du fameux rapport sur la « raison d’être » des entreprises, une des dispositions novatrices de la loi Pacte dont nous avons largement rendu compte sur ce site.

* Le rapport « Re-considérer le travail » s’appuie sur les travaux de douze ateliers thématiques, animés par trois référents, Jean-Marie Marx, président de l’Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), Audrey Richard présidente de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) et Yves Mathieu, fondateur et co-directeur de Missions Publiques, d’une quinzaine d’évènements territoriaux, d’un webinaire organisé par l’OIT (Organisation internationale du travail), et d’un évènement au Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Une contribution citoyenne, lancée sur le site du CNR, a également permis de recueillir près de 5 000 contributions.

 

« Re-considérer le travail », les 17 propositions du rapport Senard-Thiéry

 

Le rapport présente 17 propositions visant à « re-considérer le travail » et « restaurer la confiance » organisées autour de quatre axes:

# Gagner la bataille de la confiance par une révolution des pratiques managériales et en associant davantage les travailleurs ;

# Adapter les organisations du travail, favoriser les équilibres des temps de vie et accompagner les transitions pour les travailleurs ;

# Assurer aux travailleurs des droits effectifs et portables tout au long de leur parcours professionnel;

# Préserver la santé physique et mentale des travailleurs, un enjeu de performance et de responsabilité pour les organisations.

Certaines de ces propositions pourraient déboucher sur de nouveaux textes législatifs, tandis que d’autres renvoient à la négociation collective.

crédit illustration : Gerd Altmann – Pixabay

 

Nous reproduisons, ci-après, de larges extraits de la synthèse de ce rapport qui peut être téléchargé dans son intégralité sur le site du ministère:

« Dans un monde en pleine transformation, il s’agit de retrouver les voies de la confiance et du respect au sein des organisations de travail. (…) « Ces recommandations visent à donner plus de responsabilité, d’autonomie et de reconnaissance aux travailleurs, au travers notamment de l’évolution des pratiques managériales. Elles insistent sur la nécessité de retrouver les voies de la confiance et du respect au sein des organisations de travail, en s’appuyant sur le collectif. Ecoute, dialogue, équilibre des temps, effectivité et portabilité des droits, prévention des risques et santé au travail, tels ont été les fils conducteurs de nos réflexions. (…)

« Le changement climatique et les exigences de transition environnementale qui en découlent, l’automatisation des processus de production et le recours accru aux technologies de l’intelligence artificielle, mais également nos choix de société, tels que le développement de nouvelles formes d’emploi.

« De plus, le rapport au travail a beaucoup changé depuis le début de la pandémie, avec davantage de demandes d’équilibre entre temps de vie, de responsabilisation et de cohérence, dans un contexte généralisé de tensions sur les recrutements.

« Les organisations doivent articuler des aspirations de plus en plus individualisées et un cadre collectif, une quête de sens de plus en plus marquée, une demande de cohérence éthique, ainsi qu’une demande de participation, d’autonomie, de confiance et de reconnaissance qui s’accroît.

« Pour répondre à ces défis, un véritable pacte de confiance doit s’établir au sein des organisations, reposant sur la reconnaissance et l’écoute des travailleurs, ainsi que sur un dialogue professionnel sur les conditions de travail.

« En ce but, nous proposons tout d’abord d’instaurer un rendez-vous annuel des acteurs du travail pour suivre périodiquement la mise en œuvre et l’enrichissement de nos recommandations (Recommandation 1) »

Crédit image : Gerd Altmann – Pixabay

#AXE 1 – Gagner la bataille de la confiance par une révolution des pratiques managériales et en associant davantage les travailleurs

  • Il convient de mieux former les managers, via la formation initiale et continue (Recommandation 2).
  • Il s’agit également généraliser le dialogue professionnel entre travailleurs et managers de proximité, sur la qualité et l’organisation du travail, dans le secteur public comme dans le secteur privé (R3).
  • Pour donner toute son efficacité à ce dialogue professionnel, il convient de l’articuler avec le dialogue social qui se déroule dans les instances représentatives du personnel. Ce dialogue social doit prendre en compte les réalités économique et sociale à l’échelle locale et s’appuyer pour cela sur une représentation davantage placée en proximité des situations de travail (R4).
  • Enfin, la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux dans l’activité des entreprises permet de donner du sens au travail, et il convient de conforter la dimension sociale dans les démarches de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) (R5).

 

crédit image : Gerd Altmann – Pixabay

#Axe 2 – Adapter les organisations du travail / Favoriser les équilibres des temps de vie / Accompagner les transitions pour les travailleurs / Créer un compte-épargne-temps universel

  • Favoriser les équilibres des temps de vie suppose de pouvoir les repenser à l’échelle de la semaine, c’est pourquoi nous demandons un avis du CESE sur les différents types de semaine de quatre jours et les bonnes pratiques en la matière (R6).
  • Nous insistons également sur l’application du droit à la déconnexion, par exemple avec la signature de chartes des temps co-construites (R7).
  • De plus, comme la question du temps de travail s’aborde de manière très différente au cours de la vie professionnelle, nous recommandons la création d’un compte épargne temps universel et portable, attaché à chaque travailleur, lui permettant d’épargner ses jours de congé non pris et de les utiliser de manière différée (R8) ; nous insistons sur deux garde-fous : préserver d’une part le droit au repos des travailleurs et d’autre part, la capacité financière des employeurs.
  • Nous pensons que des dispositifs d’aménagement des temps de travail en fin de carrière, peuvent être mis en place, tant au bénéfice des travailleurs que de la performance des organisations. C’est pourquoi nous proposons de concevoir un dispositif d’aménagement des fins de carrière permettant une diminution progressive d’activité, compensée partiellement pour les entreprises/organisations et les travailleurs (R9).
  • Enfin, face aux changements climatique et technologique, il est capital de favoriser les transitions et les reconversions professionnelles pour tous les travailleurs, en donnant toute leur visibilité aux dispositifs de formation existants et en renforçant le conseil en évolution professionnelle (R10).

 

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#Axe 3 – Assurer aux travailleurs des droits effectifs et portables tout au long de leur parcours professionnel

  • Les parcours professionnels sont de moins en moins linéaires et les travailleurs connaissent davantage de transitions et de passages entre différents statuts d’emploi au cours de leur vie professionnelle, et des contrats potentiellement de plus en plus courts, ce qui limite l’acquisition de droits sociaux. Pour accompagner ces transformations, les droits des travailleurs doivent être garantis, complétés et portables tout au long de leur carrière, quels que soient leurs statuts d’emploi successifs.
  • C’est pourquoi nous recommandons de lancer une mission IGA-IGAS-IGF visant à évaluer le caractère effectif des droits sociaux acquis par les travailleurs dont les contrats de travail sont les plus précaires, dans le secteur privé et dans les fonctions publiques (R11).
  • De plus, si la protection sociale des travailleurs indépendants s’est progressivement renforcée, ceux d’entre eux qui exercent via des plateformes de mobilité ne bénéficient pas d’une couverture du risque accidents du travail et maladies professionnelles (ATMP), alors qu’ils y sont particulièrement exposés.
  • Il est indispensable qu’une négociation portant sur ce sujet puisse déboucher sur une couverture effective de ce risque. Nous recommandons de mettre à l’agenda social des partenaires sociaux sous l’égide de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE) la couverture de ce risque qui deviendrait obligatoire via un système de prélèvements obligatoires au premier euro travaillé.

#Axe 4 – Préserver la santé physique et mentale des travailleurs, un enjeu de performance et de responsabilité pour les organisations

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  • Malgré les efforts engagés, force est de constater que le nombre d’accidents du travail, notamment les accidents graves et mortels, ne diminue plus depuis les années 2000. De plus, au-delà des accidents du travail et des maladies professionnelles, les parcours professionnels influent sur la santé physique et mentale des travailleurs.
  • Face à ces constats, il convient de favoriser une culture de la prévention partagée, en prenant appui sur l’ensemble des mesures issues du travail remarquable des partenaires sociaux et des pouvoirs publics (Accord national interprofessionnel du 9 décembre 2020, retranscrit dans la loi du 2 août 2021, 4ème Plan santé au travail 2021-2125, plan de prévention des accidents graves et mortels).
  • Pour accompagner ces mesures, nous proposons d’abord d’ajouter le principe de l’écoute des salariés sur la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail et les relations sociales aux principes généraux de prévention mentionnés à l’article L 4121-2 du code du travail (R14).
  • Nous proposons également d’activer le levier de la formation sur la prévention dans les organisations, en mettant en place des formations communes entre représentants des travailleurs et des employeurs et développant la formation initiale et continue (R15).
  • Enfin, l’obligation de disposer d’un Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) actualisé a désormais plus de 20 ans mais elle n’est remplie que par 40% des employeurs
  • Afin de faire progresser l’identification des risques et les démarches de prévention, nous pensons que tous les employeurs doivent s’engager dans une démarche de prévention et réaliser une véritable évaluation des risques et qu’il convient pour cela de les accompagner, notamment les plus petites entreprises (R16).
  • La mise en œuvre de ces recommandations suppose également de renforcer l’action des services de prévention et de santé au travail en matière de prévention, en renforçant la médecine du travail et en s’appuyant sur les infirmiers de santé au travail et sur les intervenants en prévention.

 

« Associer les salariés au processus de décision et à la conduite du changement »

Sophie Thiéry, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE)

Jean-Dominique Senard – Renault

Le point de vue de Sophie Thiéry et de Jean-Dominique Senard, les deux rapporteurs et « garants » des travaux (extraits)

 

« Re-considérer, c’est observer de nouveau avec attention ; c’est prendre en compte sous un nouvel angle ; c’est respecter et avoir de l’estime pour quelque chose. Dans notre société en pleine transformation, re-considérer le travail, c’est le replacer au cœur du débat public, comme il l’est souvent au cœur de nos vies quotidiennes. (…)

« Des modèles économiques émergent, pourvoyeurs de nouvelles formes d’emplois qui déstructurent parfois les droits, interrogent les entreprises traditionnelles et questionnent la protection sociale.

« Comment désigner les travailleurs du XXIe siècle ? Employés, salariés, travailleurs des plateformes, actifs, indépendants, auto-entrepreneurs… Face aux bouleversements, nous ne manquons guère de mots mais de temps pour penser.

« Dans ce rapport, nous remettons au goût du jour le mot de « travailleur », seul à rassembler tous les statuts d’emploi. Il nous faut être à la hauteur d’une histoire qui s’accélère, d’évolutions rapides, tant subies que poursuivies. Ainsi de la place croissante du numérique, vecteur de nouvelles opportunités comme de risques (psycho-sociaux notamment).

« Si le télétravail peut offrir des perspectives intéressantes pour beaucoup de Français, il peut faire de l’activité professionnelle une répétition de tâches individuelles déconnectées de la vie de l’entreprise. Loin d’affaiblir les matrices traditionnelles, le numérique a parfois renforcé la lourdeur des processus qui étouffent l’esprit de responsabilité et l’initiative. Dans ce mouvement, le rôle des entreprises ne cesse d’être questionné. (…)

« Les jeunes qui entrent sur le marché de l’emploi n’ont de cesse de témoigner de leur volonté de s’engager et d’agir. Ils appellent leurs employeurs à participer toujours plus activement à la vie de la cité pour adresser les crises, notamment climatique. Dans une époque de bouleversements, les travailleurs veulent être utiles et constater une sincérité collective qui soit l’écho de leurs engagements.

« Pour passer enfin de l’injonction à l’implication, de la communication à l’action, un échelon nous a semblé fondamental : celui du manageur de proximité, trop souvent cantonné à un rôle de contrôleur. Dans un monde numérique, contre la tentation de la surveillance poussée à l’extrême, il lui appartient désormais de produire les réalisations concrètes qui donnent du sens au travail.

« C’est au travers de l’évolution des pratiques managériales qu’il sera possible de donner plus de responsabilité, d’autonomie et de reconnaissance aux salariés. Il s’agit de les associer au processus de décision et à la conduite du changement, de mettre en parfaite cohérence le partage de la valeur et la reconnaissance, avec la possibilité de rendre compte de ses réalisations.

« Les pratiques managériales doivent aujourd’hui être la pierre angulaire de la responsabilisation, de la création d’espaces de dialogue professionnel, le pilier infatigable de la culture de la prévention, la vigie de l’application concrète de la raison d’être à tous les niveaux. Pour cela, les dirigeants doivent re-considérer les fonctions managériales, accompagner et former les managers. (…)

« Les fractures et conflits de notre société se retrouvent parfois dans les organisations de travail, faisant peser le risque de l’éclatement et de la radicalisation. Contre l’archipélisation du monde du travail, nos recommandations s’appuient sur le collectif et visent à expérimenter de nouvelles idées pour renforcer l’écoute, le dialogue et la prévention des risques pour la santé au travail. Elles peuvent contribuer à renouveler un destin commun au sein des organisations.

« Cette confiance retrouvée au travail constitue une condition indispensable de l’attractivité et de la performance de celles-ci. Loin de vouloir créer de nouvelles rigidités, d’empêcher ou d’interdire, ce rapport veut accompagner les mutations et se donner les moyens d’anticiper celles qui viendront naturellement et que personne ne peut encore imaginer.

« Dans une société de la pleine activité, nous avons accordé une attention particulière à l’équilibre des temps de vie et à la santé au travail, quels que soient les types d’emploi. C’est pourquoi nous défendons l’idée de garantir l’effectivité et la portabilité des droits, qui doit constituer un pont dans les carrières professionnelles et entre les nouvelles formes d’emploi. Cette portabilité des droits, rassemblés au sein d’un dispositif unique simple et compréhensible, est indispensable pour accompagner et anticiper les évolutions. (…)
« Les recommandations qui constituent ce rapport sont issues de nos échanges avec les partenaires sociaux, les universitaires et personnalités qualifiées qui ont donné de leur temps au sein de trois ateliers. (…) Ce dialogue constructif doit se poursuivre : nous préconisons donc d’instaurer un rendez-vous annuel des acteurs du travail, afin de suivre périodiquement la mise en œuvre et l’enrichissement des recommandations. »

Sophie Thiéry, présidente de la commission Travail et Emploi du CESE et Jean-Dominique Senard, président du Groupe Renault

 

>>> Sur cette thématique, on lira aussi sur Consulendo notre dossier  « Le travail, un sujet qui fait toujours débat en France »