Projet de loi PACTE / Ce qu’il va changer pour les entreprises (II)

Adopté par l’Assemblée nationale, le projet de loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) sera examiné par le Sénat en janvier 2019, avant son vote définitif, probablement au printemps. Ce texte très long (72 articles, plus de 700 pages!), touffu, très technique et un peu fourre-tout, vise paradoxalement à «simplifier la vie des entreprises et faciliter leur croissance»…  Nous poursuivons la présentation de quelques-unes des dispositions du projet de loi qui auront un impact sur la vie des PME et des ETI.

3 – Refonder la place de l’entreprise dans la société

Le projet de loi prévoit de modifier le Code civil et le Code de commerce afin d’intégrer les enjeux sociaux et environnementaux dans la stratégie et l’activité des entreprises.

§ L’article 61 du projet de loi PACTE modifie l’article 1833 du Code civil pour consacrer la notion jurisprudentielle d’intérêt social et affirmer la nécessité pour les entreprises de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité :

  •  « L’article 1833 est complété par un alinéa ainsi rédigé : « La société est gérée dans son intérêt social et en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »

 

En outre, les entreprises seront libres de poursuivre, dans le respect de leur objet social, un projet entrepreneurial répondant à un intérêt collectif donnant sens à l’action de l’ensemble des collaborateurs. Ce qui ouvre la voie au développement des « entreprises à mission », un modèle de société intermédiaire entre l’ONG et l’entreprise privée.

Le Code civil sera également modifié pour reconnaître la possibilité aux entreprises qui le souhaitent de se doter d’une raison d’être dans leurs statuts :

  • « L’article 1835 est complété d’une phrase ainsi rédigée : « Les statuts peuvent préciser la raison d’être dont la société entend se doter dans la réalisation de son activité. » 

 

Une nouvelle « conceptualisation » de l’entreprise

Remise du Rapport Notat-Senard à Bercy en mars 2018

Pour l’universitaire Blanche Segrestin, de l’école des Mines-Paris-Tech, la loi Pacte introduit « une véritable rupture dans la définition juridique de l’entreprise », dans sa conceptualisation qui n’avait pas bougé depuis deux siècles.

Ces dispositions contenues dans le projet de loi font suite aux travaux conduits par Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard, co-auteurs du rapport  « L’entreprise, objet d’intérêt collectif »  remis au gouvernement en mars 2018.

Pour définir sa « raison d’être », un concept aux connotations philosophiques, et que chacun peut interpréter à sa guise…, l’entreprise sera nécessairement conduite à s’interroger sur sa finalité et ses valeurs.

Le rapport Notat-Senard propose de définir la notion de raison d’être « comme l’expression de ce qui est indispensable pour remplir l’objet social ». La raison d’être peut ainsi « avoir un usage stratégique, en fournissant un cadre pour les décisions les plus importantes ». A la manière « d’une devise pour un Etat, la raison d’être pour une entreprise est une indication, qui mérite d’être explicitée, sans pour autant que des effets juridiques précis y soient attachés ».

En présentant ce rapport, Jean-Dominique Senard, le président de Michelin avait déclaré qu’à ses yeux, «la raison d’être devait être  l’ ADN, la boussole, et l’étoile polaire » de l’entreprise. >

Selon les promoteurs de la loi, ces modifications sont destinées à  « consacrer les engagements pris par nombre d’entreprises au titre de la responsabilité sociale et environnementale » (RSE).

Rappelons que jusqu’à présent, seules les plus grandes entreprises avaient l’obligation légale de rendre compte, en complément de leur bilan financier annuel, de leurs actions en matière de RSE, usuellement sous la forme d’un rapport dit « extra-financier », publié distinctement.

On peut induire que la future loi PACTE contraindra peu ou prou toutes les entreprises, même les plus petites, à s’engager dans des actions de protection de l’environnement, et dans des politiques sociales et sociétales plus affirmées.

La CPME se déclare favorable au volontarisme en matière de RSE plutôt qu’à la contrainte réglementaire.  Beaucoup de PME ont adopté des pratiques de RSE sans forcément s’en glorifier, généralement à l’initiative du dirigeant  qui a une sensibilité à ces questions. Par ailleurs, on sait que les relations sociales se règlent plutôt dans un dialogue direct avec chaque salarié dans ces entreprises « à taille humaine ».

La confédération des PME propose la mise en place d’une « labellisation (RSE), garantie par une tierce partie et reconnue par les pouvoirs publics, venant couronner et valoriser les efforts des entreprises qui s’engagent dans des démarches responsables. » A cette fin, il reviendrait, en accord avec les partenaires sociaux, aux branches professionnelles, « à titre volontaire et expérimental », d’identifier « des indicateurs sectoriels et impulser les pratiques exemplaires dans les PME. »

Pour Bruno Le Maire, il s’agit rien moins que de « donner corps à l’entreprise du XXIe siècle : une entreprise au cœur de la cité, qui allie performance économique, sociale et environnementale. » Selon le ministre de l’Economie, cette évolution s’inscrit pleinement dans l’action du gouvernement pour « redéfinir et réinventer notre modèle économique et social ».

Une nouvelle source de contentieux?

Le Medef par la voie de son ancien président Pierre Gattaz a exprimé son opposition à une réécriture du Code civil. Si elle apprécie certaines avancées contenues dans le projet de loi PACTE, l’organisation patronale redoute que la réforme du Code civil n’ouvre une brèche à des contentieux  à venir :  « le Medef continuera d’être vigilant afin que cette mesure (la redéfinition de l’objet social de l’entreprise – NDLR) ne se transforme ni en une contrainte supplémentaire pour les entreprises, ni en une source de contentieux. »

« C’est un nid à embrouilles et à procès « , prévient pour sa part le Think-tank libéral IREF (Institut de recherches économiques et fiscales).

Pour le cabinet Grenier Avocats, « si réformer la définition de l’objet social de l’entreprise dans le Code Civil anime, parfois assez vivement les débats, c’est précisément parce que l’enjeu principal de ces révisions serait de reconnaître dans le droit qu’à l’intérêt des actionnaires puissent s’ajouter des objectifs d’ordre social et environnemental dans la gestion d’une entreprise. En d’autres termes, il est bien question de légaliser la RSE qui se pratique d’ores et déjà par plusieurs grandes entreprises, de manière volontaire et sans contraintes particulières sauf lorsqu’elles sont clairement interpellées par leurs clients et/ou leurs collaborateurs sur ces sujets. Légalisation étant étroitement liée à une perspective possible de sanctions, la modification des articles du Code Civil, surtout l’article 1833, pourrait légitimer des démarches judiciaires de la part d’une partie prenante à l’encontre de la direction d’une entreprise. »

Un diagnostic que tempère cependant Patrice Grenier, fondateur du cabinet d’avocats éponyme : « Notre expérience montre que les entreprises qui intègrent au plus haut niveau de leur hiérarchie des exigences éthiques, qu’elles soient sociales ou environnementales, constatent un impact positif sur leur développement.»

 

4. Encourager l’actionnariat salarié et l’intéressement

 

PACTE vise aussi à stimuler l’intéressement et l’actionnariat salarié dans les entreprises, notamment les PME, par une réduction du forfait social et la simplification des dispositifs pour les employeurs.

§ L’article 57 du projet de loi prévoit la suppression du forfait social sur l’intéressement pour les entreprises de moins de 250 salariés et sur la participation pour les entreprises de moins de 50 salariés.

  • Le taux du forfait social sera abaissé à 10% lorsque l’épargne salariale est investie dans un fonds d’actionnariat salarié.

 

Aujourd’hui, seuls 16% des salariés des entreprises de moins de 50 salariés sont couverts par au moins un dispositif d’épargne salariale et 8% des salariés pour les entreprises de moins de 50 salariés. Ce faible taux s’explique notamment par le coût important que représente le forfait social prélevé sur les sommes versées pour les chefs d’entreprise. (1)

La suppression du forfait social a pour objectif de doubler le nombre de salariés couverts par un dispositif d’épargne salariale dans les PME d’ici la fin du quinquennat. Une évolution parfaitement justifiée estime Bruno Le Maire : « Quand une entreprise réussit, c’est d’abord parce que les salariés n’ont pas ménagé leurs efforts. Ils doivent donc être, à travers l’intéressement et la participation, les premiers bénéficiaires des bons résultats de l’entreprise», a notamment déclaré le ministre de l’Economie, lors du vote du projet de loi par l’Assemblée nationale.

  • Des mesures de simplification sont également prévues pour faciliter le déploiement de l’épargne salariale. Des accords d’intéressement et de participation « clé en mains » seront disponibles en ligne pour faciliter leur mise en place. Ces accords-types négociés au niveau de la branche professionnelle et adaptés au secteur d’activité, faciliteront le déploiement de ces dispositifs dans les PME. Ces modèles simplifiés
    d’accords seront mis en ligne sur le site du ministère du Travail. Les PME qui ne disposent pas de services juridiques spécialisés pourront opter pour l’application directe de l’accord-type négocié au niveau
    de la branche.
  • Les salariés bénéficieront d’une information facilitée sur le montant de leur épargne. Ils bénéficieront de la réforme des produits de l’épargne retraite telle que la prévoit l’article 20 du projet de loi PACTE.
  • L’actionnariat salarié sera facilité pour les salariés de sociétés par actions simplifiées (SAS). Aujourd’hui, les offres d’actions aux salariés dans les SAS ne sont possibles que pour un maximum de 149 salariés ou en exigeant un ticket minimal de 100 000 euros. Cette contrainte sera levée pour développer l’actionnariat dans ces entreprises.
    L’actionnariat salarié sera également développé dans les entreprises à participation publique en élargissant et simplifiant les dispositifs pour les salariés.

 

La CPME applaudit l’annonce de la suppression du forfait social dans les PME pour les sommes distribuées au titre de l’intéressement : «  Cette demande, formulée par la Confédération, constitue une réelle incitation à développer cet outil de motivation et de fidélisation volontaire des salariés. Le forfait social qui, sauf exceptions, pesait à hauteur de 20% des sommes distribuées venait s’ajouter à la CSG et à la CRDS et conduisait à prélever près de 30% des sommes distribuées ! La suppression du forfait social incitera donc les chefs d’entreprise de PME à mettre en place des accords d’intéressement, formidable outil de motivation, d’implication et de fidélisation des salariés. »

La Fédération française des associations d’actionnaires salariés et anciens salariés (FAS) se félcite aussi de ces mesures. Elle réitère ses demandes d’abaisser de 30 % à 8 % la cotisation patronale sur les actions gratuites bénéficiant à l’ensemble des salariés; d’exonérer progressivement les gains de cession sur les actions gratuites conservées au-delà d’un engagement irrévocable de huit ans; de rendre automatique le «passeportage» du FCPE d’actionnariat salarié dans tous les pays de l’Union européenne.

La FAS réaffirme l’objectif de viser les 10 % du capital des entreprises détenus par des actionnaires salariés à l’horizon 2030 comme l’avait annoncé Bruno Le Maire lors du Grand Prix FAS 2017 de l’actionnariat salarié.

 

(1) Le « forfait » social est l’ajout obligatoire de cotisations sociales sur l’intéressement et la distribution d’actions aux salariés, l’administration assimilant ces sommes à un « sur-salaire » (alors qu’elles sont le résultat de la prise de risque par l’entreprise et de la rentabilité dégagée en cas de succès). L’évolution du taux de ce forfait social est par ailleurs révélatrice de l’hystérie taxatrice de notre pays, tous gouvernements confondus; qu’on en juge : mis en place en 2009 à un taux de 2%, le forfait social est passé à 4% en 2010 puis à 6% en 2011, avant d’atteindre 8% au 1er janvier puis 20% au 1er juillet de cette même année 2012 !

 

>>> Lire sur le même sujet notre précédent article :  Projet de loi PACTE / Ce qu’il va changer pour les entreprises (I)