Salarié ET actionnaire : encore un effort pour partager les bénéfices!

Alors que la loi sur le partage de la valeur en entreprise vient d’être définitivement adoptée, le développement de l’actionnariat salarié mériterait une plus grande mobilisation des partenaires sociaux. Car il est encore peu pratiqué dans les PME et les ETI. Des freins et des réticences subsistent.          État des lieux et perspectives.

Crédit image : Geralt – Pixabay

Le débat sur le « partage de  la valeur » créée en entreprise s’est beaucoup focalisé sur les dispositifs que sont l’intéressement et la participation, sur la distribution de primes, mais on a moins parlé de l’actionnariat salarié.

En France, associer les salariés au capital des entreprises demeure une sorte d’impensé de la pensée sociale… Les opposants au capitalisme y voient même une « compromission » inacceptable !

L’antagonisme capital-travail semble avoir encore de beaux jours devant lui, dans un pays où une partie de la gauche et des syndicats s’inscrivent, parfois sans le reconnaître, dans la tradition de l’anarcho-syndicalisme – forgée au 19ème siècle.

On a instillé dans l’opinion publique une sorte de diabolisation de l’actionnaire, celui qui « s’enrichirait en dormant » (sic) … Or sans actionnaires privés, investisseurs, apporteurs de capitaux, prenant des risques souvent à partir de leur épargne, les entreprises ne pourraient se développer faute de fonds propres.

Lorsque les groupes cotés en Bourse publient leurs bénéfices et distribuent des dividendes à leurs actionnaires, une partie de l’opinion publique et des médias mainstream s’émeuvent ou protestent devant de telles masses d’argent qui « rémunèrent le capital »…

Mais très peu soulignent que, dans le même temps, des millions de salariés-actionnaires bénéficient de ces dividendes, lesquels peuvent représenter pour eux l’équivalent d’un 14ème ou 15ème mois de salaire!

Alors pourquoi davantage de salariés en France ne pourraient-ils pas en bénéficier à leur tour?

Jean-Peyrelevade, l’ancien président du Crédit Lyonnais, ex-conseiller du Premier ministre de François Mitterrand, Pierre Mauroy, reconnaissait lors d’un récent colloque * que chacun campe aujourd’hui dans des postures idéologiques : les syndicats qui défendent le statut du salarié stricto sensu, et une partie du patronat qui ne veut pas de la co-gestion.

Jean Peyrelevade se dit convaincu que « l’actionnariat salarié est un facteur de progrès et de performance »  :  j’ai écrit un livre qui s’appelle « Réformer la France » et je pense que nous devons sortir de l’antagonisme capital-travail ».

Facteur de performance, de fidélisation et de motivation

* Cette Journée dédiée à l’actionnariat salarié était organisée le 16 octobre par la société de gestion Equalis Capital qui travaille à diffuser l’actionnariat salarié dans les ETI et PME. C’est dans ce type d’entreprises « à taille humaine » que, pour Equalis Capital, « le potentiel de développement de l’actionnariat salarié est le plus important : le dispositif pourrait se répandre bien davantage si les entreprises intégraient beaucoup plus largement les salariés dans les opérations de LBO, qui sont au nombre de 300 chaque année en France. »

S’il est pratiqué dans les grands groupes cotés, l’actionnariat salarié demeure encore marginal dans les PME.

Dans un rapport de 2019 (1) l’association Fondact précisait que « dans les grands groupes cotés en Bourse,  on estime que les salariés détiennent de 3% à 4% du capital, soit en direct, soit sous forme collective, via un Fonds commun de placement d’entreprise (FCPE), soit via les programmes discrétionnaires de distribution d’actions gratuites. »
Mais  dans les sociétés non cotées, soit la quasi totalité des PME françaises, la proportion de l’actionnariat salarié « reste encore marginal » souligne le rapport de Fondact. Et même parmi les ETI (entreprises de taille intermédiaire),  « on ne compte qu’environ 200 entreprises ayant mis en place un FCPE (…) Bien souvent l’actionnariat salarié dans les entreprises non cotées est réservé à un cercle restreint de managers heureux-élus… « 
(1) « Actionnariat salarié : objectif 10% », rapport du groupe de travail présidé parJean-Philippe Debas, président d’Equalis Capital – Fondact Décembre 2019.

 

Selon le Baromètre annuel d’Equalis Capital, le taux de diffusion de l’actionnariat salarié dans les ETI (entreprises de taille intermédiaire, locomotives de l’économie de nos territoires) n’est que de 3,7%…

Il y a donc incontestablement des marges de progression!

Parmi les freins à l’essor de l’actionnariat salarié, il y a les réticences de certains dirigeants, notamment dans les entreprises familiales, qui hésitent à ouvrir le capital à des tiers, qu’il s’agissent d’investisseurs institutionnels ou les collaborateurs de l’entreprise, afin de « rester maîtres chez eux ».

Pour des PME, le coût de gestion des réceptacles collectifs de l’actionnariat salarié (PEE, FCPE, voir infra) peut aussi constituer un frein.

Partager le capital, n’est-ce pas aussi faire un pas vers une forme de partage du pouvoir, en tout cas associer davantage les collaborateurs, lorsqu’ils deviennent actionnaires, aux décisions stratégiques de l’entreprise?

Pour les sociétés non-cotés en Bourse reste la question de la valorisation de l’action et de la liquidité du capital, lorsque le détenteur quitte l’entreprise…

Témoignant lors de la Journée Equalis Capital, Daniel Cohen-Zardi, dirigeant fondateur de la société Softfluent, spécialisée dans l’innovation et l’expertise logicielles, a expliqué avoir profité d’une recomposition du capital, du fait du départ d’un associé, pour développer l’actionnariat salarié. Résultat : 90% des collaborateurs détiennent aujourd’hui 13% du capital de la société. Ce qui lui a valu de recevoir le Grand Prix FAS de l’actionnariat salarié.

Pour le fondateur de cette entreprise (en 2005), l’actionnariat salarié est un facteur de « performance, mais aussi de fidélisation et de motivation ». Il estime qu’il contribue aussi à une meilleure pédagogie économique et financière des collaborateurs et des élus du personnel, leur permettant de mieux appréhender les enjeux du développement de l’entreprise.

Développer l’actionnariat salarié dépend beaucoup, en effet, de la volonté et de la détermination du dirigeant lui-même : « il faut y croire »!

Pour lever certaines inquiétudes, l’association patronale Croissance Plus propose la distribution d’actions sans droit de vote…

« Affectio societatis »

Outil de partage de la valeur entre ceux qui la créent, l’actionnariat salarié, de l’avis des observateurs et des dirigeants, renforce l’implication des collaborateurs dans l’entreprise, désamorce la tentation du « désengagement », et réduit l’absentéisme.

Il contribue ainsi à diffuser « l’affectio societatis » (apanage des fondateurs et des associés) dans tout le corps social de l’entreprise.

L’actionnariat salarié peut devenir aussi un pertinent levier en cas de transmission-reprise de l’entreprise : ainsi la société Les Zellesun fabricant de fenêtres des Vosges, à l’origine une entreprise familiale qui avait été cédée au Groupe Saint-Gobain, a mobilisé un fonds commun de placement d’entreprise de reprise (FCPER) pour  permettre son rachat par le management et les 500 salariés. L’ensemble des collaborateurs sont devenus les principaux actionnaire de la société aux côtés de cinq fonds d’investissements régionaux.

Une initiative qui pourrait servir d’exemple!

 

***

La loi de transposition de l’accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur au sein de l’entreprise a été définitivement adoptée le 22 novembre 2023 

Le Titre IV  de la loi est intitulé « Développer l’actionnariat salarié » : il comprend les articles 17 à 19. La loi  aménage les conditions d’attribution d’actions gratuites, un des quatre dispositifs d’actionnariat salarié, à côté de l’investissement dans des titres de l’entreprise via un plan d’épargne d’entreprise, l’augmentation de capital réservée aux salariés ou l’octroi de stock-options. La loi prévoit notamment de rehausser le plafond global général d’attribution d’actions gratuites de 10 à 15 % du capital social pour les grandes entreprises et les ETI et de 15 à 20 % du capital social pour les PME.
Le texte de la loi a été publié au Journal Officiel du 30 novembre 2023.

 

***

crédit image : Gerd Altmann – Pixabay

Combien d’actionnaires salariés?

La FAS, Fédération française des associations d’actionnaires salariés et anciens salariés*, évalue leur nombre total à 3,5 millions.

Dans son enquête Benchmark 2023, la FAS fait apparaître que 97% des entreprises du panel interrogé déclarent avoir franchi le seuil de plus de 25% d’actionnaires parmi les salariés, soit une nette progression (+20 points depuis 2019).   66% des entreprises du panel ont plus de 10 000 salariés et proposent un dispositif d’actionnariat salarié et d’épargne complet. 6 entreprises sur 10 annoncent avoir lancé une opération d’actionnariat salarié en 2021 et 2022.

* La FAS organise le mercredi 13 décembre 2023 un colloque pour célébrer ses 30 ans et pour la remise du 19e Grand Prix FAS de l’Actionnariat Salarié

* * *

Selon une étude de la Dares * de février 2023, l’actionnariat salarié concerne 23,7% des sociétés cotées en Bourse, et même, 28,4% en y incluant les entreprises non cotées mais appartenant à un groupe coté.
17,2% des entreprises de 1 000 salariés ou plus y recourent en 2020, 10,5% de leurs salariés en bénéficiant, contre seulement 0,8% des entreprises de 10 à 49 salariés (et 0,4% de leurs salariés).

Selon cette étude de la Dares, « la forme la plus répandue d’actionnariat salarié est l’acquisition d’actions dans le cadre d’un plan d’épargne entreprise (PEE), ‘en direct’ ou via un fonds commun de placement collectif (FCPE) :

« En 2020, parmi les entreprises qui ont réalisé une opération d’actionnariat salarié, 49% ne recourent qu’au support du PEE (0,6% de l’ensemble des entreprises). Cette part atteint 59% pour les entreprises cotées ou appartenant à un groupe coté. »

L’attribution gratuite d’actions (AGA) apparaît, selon la Dares, « comme le mode le plus attractif, car elle donne lieu à exonération de différentes cotisations (contribution sociale généralisée, contribution pour le remboursement de la dette sociale, forfait social, versement transport, assurance chômage, etc.). Seule ou combinée avec d’autres opérations, l’AGA représentait en 2020 un montant de 599  millions d’euros, pour un montant moyen de 1 300€ par bénéficiaire. »

* « Quelle place occupe l’actionnariat salarié en 2020 ? », Dares Focus N°7, février 2023

Crédit image : Mohamed Hassan – Pixabay

Les avantages de l’actionnariat-salarié confirmés par un rapport européen

 

« Trente ans de recherches ont permis de démontrer que les entreprises partiellement ou entièrement détenues par leur employés présentent une meilleure profitabilité, créent plus d’emploi et assurent une plus grande contribution fiscale que leurs concurrentes n’appliquant pas d’actionnariat de salariés », affirme le Kelso Insitute Europe dans une étude pour la Commission européenne  : « La Promotion de la Participation et de l’Actionnariat des Salariés » (2015).

« D’un point de vue macroéconomique, la participation financière des salariés apporte plus de productivité et par conséquent, plus de compétitivité et de croissance », conclut cette étude.
« D’un point de vue microéconomique, (l’actionnariat salarié) peut contribuer à résoudre des problèmes tels que l’absentéisme, la rotation de la main-d’œuvre et le maintien des salariés importants. Il en est de même pour l’assurance de la succession dans les entreprises et le financement des affaires, notamment dans les cas des PME et des micro-entreprises. »
« Sur le plan régional, la participation financière encourage l’ancrage local des entreprises, renforçant de même le pouvoir d’achat des ménages des salariés, ce en même temps qu’il constitue un moyen dissuasif contre les délocalisations et les acquisitions étrangères.
« Naturellement il sied de prendre en compte les potentiels points négatifs de l’actionnariat des salariés comme le risque endossés par les salariés. » (….)
« Les sondages transnationaux à grande échelle, les plus récents, (…) font état d’une augmentation d’offres d’actionnariat de salariés par les entreprises et d’adhésion de la part salariés au cours de ces quinze dernières années. Ce, malgré la crise financière et économique qui a marqué cette période. (…)
« Malgré les impacts positifs reconnus (…) la généralisation des dispositifs (de participation et d’actionnariat salarié) sur une partie significative de la population active n’est de rigueur que dans une poignée d’Etats-membres de l’Union européenne.
« A ce jour, environ 68% des sociétés de l’Union n’offrent aucune forme de participation financière à leurs salariés.
« En revanche, les dernières analyses permettent d’estimer à au moins 300 000 le nombre de petites entreprises dans les 28 Etats-membres potentiellement disposées à adopter un modèle de la participation financière. (…)
« En Europe, il est moins fréquemment fait recours à l’actionnariat des salariés qu’au Etats-Unis. Autant ce potentiel encore inexploité doit être mis à profit, autant il est important que le développement de la participation financière, en particulier l’actionnariat des salariés, s’inscrive dans une stratégie générale de stimulation d’une croissance économique inclusive et soutenable. » (…)
« Néanmoins, des obstacles à l’émergence de plans de participation financière transfrontaliers pourraient résulter de :
  • différences dans l’intensité et l’effectivité de la régulation et dans les exigences d’un cadre juridique national,
  • différences dans le traitement fiscal des modèles existants. Bien que la portée et la nature de ces obstacles diffèrent d’un cas à l’autre, l’impact réel dans la généralisation transfrontalière des modèles de la participation financière demeure identique.
« Les sociétés devront rassembler une large quantité d’informations, ce qui implique des coûts et une expertise considérables. Des obstacles que (nombre d’) entreprises, notamment les PME, ne pourront surmonter. » (…)