Pourra-t-on éviter une vague de faillites en 2021?

La persistance de la crise sanitaire et des mesures restrictives d’activité, pourrait provoquer une flambée des dépôts de bilan, quand cesseront les aides publiques. Les PME et TPE dont la situation financière est critique sont  incitées à se tourner, à titre préventif, vers le tribunal de commerce. Mais subsistent certains freins et craintes à surmonter. La marche à suivre expliquée par un juge consulaire, Dominique-Paul Vallée.

 

crédit photo : Mohamed Hassan – Pixabay

Avec le prolongement de la crise sanitaire, des mesures de restriction de l’activité économique, le retard des campagnes de vaccination, s’éloignent le retour à la « normale » et les perspectives de rebond pour de nombreux secteurs actuellement au ralenti ou fermés.

Dans ces conditions beaucoup craignent une vague de « dépôts de bilan » lorsque cessera la mise sous perfusion d’aides publiques de nombreuses entreprises, notamment PME et TPE.

La société d’intelligence économique Altares s’interroge : « Les entreprises seront-elles capables de régler les dettes sociales et fiscales accumulées » (pendant la crise et qui ont été reportées) lorsque leur paiement sera réclamé par les impôts et les Urssaf?

« La vague de défaillances redoutée peut-elle être évitée ? »

Altarès estime que « 2021 pourrait retrouver le niveau de défaillances de 2019, avec plus de 50 000 défauts. »

2020 a représenté une année atypique avec une baisse du nombre des défaillances de près de 40% : soit 32 184 dépôts de bilan en 2020 contre 52 002 en 2019, soit « le niveau le plus bas observé depuis 30 ans en France ».

L’explication est simple : l’activité réduite des tribunaux lors du premier confinement; les reports de charges, de cotisations sociales et les aides accordées par le gouvernement pour compenser la « mise sous cloche de l’économie » face à la pandémie de coronavirus.

Analyse semblable faite par l’assureur-crédit Euler-Hermès: « Il faudra bien un jour régulariser les charges décalées, rembourser les PGE et recommencer à payer les salaires, le tout dans un contexte sanitaire et économique certainement fragile. Nous estimons ainsi que le risque d’impayés se renforcera considérablement en 2021 et en 2022, avec 45 000 défaillances d’entreprises cette année et 62 000 l’année prochaine en France. »

Dans ce contexte, experts et observateurs incitent les entrepreneurs à surveiller leur trésorerie comme le lait sur le feu, et à anticiper les difficultés à venir…

Le réseau d’expertise-comptable Walter France constate qu’aujourd’ hui, « beaucoup d’ entreprises sont fragiles : soit parce qu’ elles sont « sous perfusion » des aides, soit parce que l’ impact de la crise va se faire ressentir en décalage, en 2021, soit à l’ inverse, pour celles qui profitent de l’ effet d’ aubaine, parce qu’ elles doivent gérer la croissance et assurer leur besoin en fonds de roulement. Pour certaines, l’ activation des procédures judiciaires peut être une bonne stratégie. Mais pour toutes, l’ anticipation et la prévention sont la clé de la pérennité. Les deux mesures les moins traumatisantes, amiables, sont le mandat ad hoc et la conciliation, qui peuvent être initiées tant que l’ entreprise n’ est pas encore en cessation de paiement ou qu’ elle l’ est depuis très peu de temps (moins de 45 jours). »

Prévention, prévention, c’est le mot d’ordre!

crédit photo : Gerd Altmann -Pixabay

Afin d’améliorer la détection précoce des difficultés des entreprises et encourager l’utilisation des dispositifs de prévention, les pouvoirs publics ont confié une mission d’étude à Georges Richelme, ancien président de la conférence générale des juges consulaires de France. Il a remis son rapport au gouvernement le 19 février 2021.

La mission Richelme observe  que les petites entreprises, les commerçants, les artisans, les indépendants, les agriculteurs, les associations, ne recourent pas suffisamment aux « procédures amiables qui pourraient les protéger lorsque leur situation se dégrade.« 

Le rapport Richelme avance plusieurs facteurs d’explication et formule des propositions.

  • La méconnaissance des dispositifs existants, bien souvent par manque de formation, d’information et de conseil;
  • Le refus ou l’incapacité de certains entrepreneurs d’appréhender la réalité de leur situation;
  • La crainte de l’échec qui fait assimiler le passage par le tribunal à la faillite;
  • La multiplicité des dispositifs et des intervenants;
  • Le coût de certaines procédures constituant un « obstacle » pour les plus petites structures (des propositions et initiatives notamment régionales sont à l’étude pour alléger cette charge)…

 

« La pléthore de dispositifs de prévention qui ne convergent pas entrave la compréhension de leur finalité et le choix de celui qui serait le plus adapté à la situation concernée et qui pourrait être le plus protecteur », souligne le rapport qui estime que cette état de fait n’est pas récent :  « les petits entrepreneurs sont souvent réticents à parler de leurs problèmes et ne savent pas où trouver le conseil approprié. »

Et « Il faut tenir compte de ce que l’isolement du dirigeant est un facteur de contre-performance avant même d’être une souffrance lorsqu’arrivent les difficultés, notent les rapporteurs qui préconisent : « un changement d’approche est nécessaire, il faut vouloir amener la prévention aux entreprises au lieu d’emmener les entreprises à la prévention ! »

La mission Richelme formule une série de propositions visant à amplifier l’efficacité des mesures préventives « en les articulant avec les dispositifs judiciaires qui sont les seuls à offrir une protection dont le champ est beaucoup plus large puisque permettant de traiter ensemble et de façon amiable tous les créanciers stratégiques de l’entrepreneur en difficulté. »

♦ Une meilleure information :

Afin d’accroître l’information sur les dispositifs de prévention, la mission recommande d’en renforcer la diffusion, par exemple en s’appuyant sur les Points Justice ou en centralisant ces informations sur un portail Internet dédié. Elle souligne également le rôle d’information que pourraient jouer certains créanciers lorsqu’ils constatent un premier impayé : « par exemple, lorsque le partenaire financier adresse une lettre de dénonciation, celle-ci pourrait s’accompagner d’informations relatives aux procédures de prévention. »

Le rapport suggère la création d’une « plateforme centrale  dédiée aux « Difficultés
des entreprises »: « Idéalement cette plateforme serait gérée à un niveau de coordination générale
(interministériel, mission officiellement dédiée…) Sa conception devrait se faire selon les
principes d’une architecture « du choix » permettant d’orienter l’utilisateur en fonction de son
statut dans la direction souhaitée, en phase avec ses attentes et ses besoins.
Toutefois les membres de la mission observent que « la création d’un tel outil n’apporte de valeur ajoutée à ce qui existe aujourd’hui que si celui-ci est facilement utilisable et donc largement connu de tous. Une campagne d’information grand public serait donc indispensable lors de sa mise en place… »

♦ Une détection précoce des difficultés :

La mission préconise le rapprochement entre le dispositif « Signaux Faibles » développé par le Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance et les greffes des tribunaux de commerce, afin d’agir plus précocement sur le difficultés de l’entreprise.

« L’outil « Signaux Faibles » fait converger les informations détenues par différentes administrations dans un algorithme. Il permet d’identifier le plus en amont possible les entreprises fragiles pour leur proposer un accompagnement adapté. Il conviendrait d’alimenter la base de données avec les informations détenues par les greffes et permettre aux tribunaux d’avoir un accès plus direct à tout ou partie de ces « signaux » afin de « faire prendre conscience au chef d’entreprise de la réalité du risque de défaillance et l’accompagner dans une auto-analyse objective. »

♦ Un accompagnement adapté :

Sur la question clé de l’accompagnement des entreprises, la mission recommande de « favoriser le recours à des personnes qualifiées, en s’inspirant des pratiques mises en place par certaines régions, en facilitant l’assistance par des associations, et en développant les expériences existantes de prévention de situations de détresse psychologique comme par exemple le dispositif APESA. Via ce dispositif, les professionnels (greffiers, juges, mandataires…) sont formés à réagir face à la souffrance morale des chefs d’entreprise et de leur proposer un suivi psychologique gratuit. »

La mission suggère de réserver dans les tribunaux « des espaces d’accueil et d’information pour les
associations agréées et reconnues » afin que l’entrepreneur (débiteur) puisse trouver auprès de celles-ci
une assistance sur place (APESA, Amarok, SOS Entrepreneurs, 60 000 rebonds …)

 

La prévention au tribunal, comment ça marche?

L’ entreprise ou son conseil présentent une requête au président du tribunal de commerce pour faire désigner soit un mandataire ad hoc, soit un conciliateur. Ces deux experts sont des spécialistes du traitement des difficultés. Il est important de souligner qu’ il s’ agit d’ un rendez-vous dans le bureau du président du tribunal de commerce, en aucun cas d’ un « cérémonial » qui pourrait rappeler une « audience punitive » ! De plus, le président du tribunal n’ est pas qu’ un magistrat, il est également et avant tout, un chef d’ entreprise, qui comprend la situation, et porte un regard bienveillant sur l’ entreprise en difficulté.

(Source Walter France)

 

Le tribunal de commerce de Paris

La prévention, ça marche! insiste Dominique-Paul Vallée juge consulaire*, délégué général à la prévention des difficultés des entreprises, au Tribunal de commerce de Paris. (voir infra). Cet ancien dirigeant d’entreprise dans le secteur de la plasturgie, magistrat consulaire* (bénévole) depuis 2013,  observe avec satisfaction une augmentation des procédures amiables en 2020 (+13,2% en Ile de France et +12,8% en France), qui est en forte hausse en 2021, preuve que l’intérêt pour ces démarches commence à se diffuser. « Il est important, souligne-t-il, pour un chef d’entreprise de ne pas attendre d’avoir épuisé la manne des aides gouvernementales pour anticiper les difficultés de trésorerie qui ne manqueront pas de se présenter, et d’éviter la cessation des paiements. »

Dominique Paul Vallée fait valoir que dans 70% des cas, les démarches de prévention aboutissent favorablement, alors que 75% des procédures collectives (suite à un dépôt de bilan) se soldent par une liquidation…

* Les juges consulaires sont des bénévoles. Ils sont issus de divers secteurs d’activités tels que l’industrie, les services, le conseil, la communication, la finance… Chaque juge suit une formation initiale sanctionnée par un examen. Elle se déroule sur cinq mois. Elle comprend une vingtaine de séances au tribunal et six journées complètes à l’École nationale de la magistrature (E.N.M). La loi interdit à un magistrat de traiter d’une affaire concernant une entreprise ou une personne avec laquelle il a ou a eu un rapport d’intérêt. Au nombre de 3200 en France (pour 134 tribunaux de commerce), les juges consulaires sont tenus à une obligation d’indépendance et d’impartialité à l’égard des entreprises qui lui soumettent leurs difficultés.

 

La prévention : 70% de succès !

Dominique-Paul Vallée, juge consulaire, délégué général à la prévention, Tribunal de Commerce de Paris

Les explications de Dominique-Paul Vallée, ex-dirigeant d’entreprise, juge consulaire, délégué général à la prévention, au Tribunal de commerce de Paris.

 

« Les tribunaux de commerce ont pour mission d’assurer la sécurité juridique et de contribuer à la transparence de la vie économique, conditions indispensables au développement des entreprises. Ils ont aussi pour mission d’aider les entreprises à prévenir les difficultés et à s’en sortir lorsqu’elles n’ont pas pu les éviter : c’est l’activité traitement des entreprises en difficulté ou TDE des tribunaux de commerce. Une mission au moins aussi importante que le règlement des contentieux.

La prévention des difficultés et les procédures amiables

La crise actuelle sans précédent, rend plus que jamais importante l’activité prévention du tribunal pour les chefs d’entreprise : il est important pour le chef d’entreprise de ne pas attendre d’avoir épuisé la manne des aides gouvernementales de toutes natures pour anticiper les difficultés de trésorerie qui ne manqueront pas de se présenter au moment où il faudra passer à la phase remboursement, en évitant la cessation des paiements.

La prévention est une des tâches juridictionnelles du président du tribunal déléguée à des juges spécialisés en la matière, les délégués généraux à la prévention.

Le dispositif de prévention des tribunaux de commerce français, quasi unique dans le monde, présente l’avantage général de pouvoir intervenir très en amont des difficultés de l’entreprise et de pouvoir traiter l’entreprise efficacement comme un malade peut l’être si son mal est diagnostiqué très tôt et qu’il peut être administré de façon précoce.

L’action du tribunal s’exerce dans ce domaine préventif sous deux formes:

• l’une à l’initiative du tribunal qui concerne plutôt les TPE / PME dont les dirigeants sont peu avertis des dispositions de soutien offertes par l’institution et souvent mal formés à la gestion d’une entreprise : c’est la prévention-détection ;
• l’autre à l’initiative du chef d’entreprise lui-même : c’est le propre des grosses PME et des ETI, dirigées par des chefs d’entreprise bien formés ou bien conseillés : c’est la prévention-traitement, avec ses deux procédures amiables que sont le mandat ad hoc et la conciliation.

  • La prévention-détection correspond au devoir d’alerte du chef d’entreprise par le président du tribunal ou, dans la pratique, par le juge délégué à la prévention-détection, qui peut le convoquer dès lors qu’un acte, un document, des chiffres ou une procédure laissent apparaître des difficultés de nature à compromettre la continuité de l’exploitation.

Dans la pratique, le greffe qui gère le registre des quelques 450 000 entreprises du ressort du tribunal de commerce de Paris signale au juge délégué à la prévention-détection les entreprises qui ne déposent pas leurs comptes annuels, qui font l’objet d’inscriptions de privilège importantes (ce sont les créances impayées de l’URSSAF, des caisses de retraite ou du Trésor Public), qui n’organisent pas d’AG annuelle ou qui présentent une situation nette négative à leur bilan ; les commissaires aux comptes ont aussi un devoir d’alerte auprès de cette juridiction présidentielle du tribunal.

Le chef d’entreprise est convoqué à un entretien confidentiel avec le juge (nous en avons convoqué 1 400 en 2019, un peu moins en 2020, près de 1 200, du fait de la Covid-19). Dans un contexte volontairement convivial (le juge ne porte pas alors la robe), le magistrat consulaire va essayer de comprendre la situation de l’entreprise, encourager la sincérité du dialogue et orienter le chef d’entreprise vers des solutions pour lui éviter d’aggraver la situation de son entreprise.
Et notamment :  lui suggérer de payer immédiatement ses dettes les plus critiques, telles que les parts salariales des cotisations URSSAF impayées, non seulement pour le faire échapper au pénal (c’est l’argent de ses salariés qu’il confisque de ce fait) et pour ouvrir des possibilités de négociation d’un étalement des paiements de ses parts patronales avec l’organisme social ;
• l’inciter à déposer une déclaration de cessation des paiements ou DCP (autrement dit de « déposer son bilan ») si le juge constate que l’entreprise est en cessation des paiements depuis plus de 45 jours; cela évite au chef d’entreprise d’être par la suite sanctionné pour cette omission ;
• lui suggérer de s’adresser au Médiateur du crédit aux entreprises de la Banque de France, un service très diligent et gratuit de règlement des différends avec les banques sur des questions telles que le maintien de concours menacés, d’échéanciers de remboursements d’emprunts, etc.
orienter le chef d’entreprise : s’il n’y a pas de  cessation des paiements depuis plus de 45 jours, vers une procédure de sauvegarde, si la situation de l’entreprise n’est pas irrémédiablement compromise et lui permet de présenter un plan de continuation ; ou s’il y a cessation des paiements depuis plus de 45 jours, l’orienter vers un redressement judiciaire;  ou, en dernier ressort,  se résoudre à une liquidation judiciaire si la situation de l’entreprise est irrémédiablement compromise. (…)

La crainte de franchir la porte du tribunal persiste…

Il faut néanmoins reconnaître que plus de 50% des chefs d’entreprise convoqués par le tribunal n’utilisent pas cette opportunité de rencontre amiable avec le  juge, soit par déni de la situation financière dégradée de son entreprise (selon la « politique de l’autruche »), soit par angoisse de se présenter au tribunal dont l’image répressive prévaut dans l’inconscient collectif, soit tout simplement par ignorance des missions du tribunal de commerce.
S’il considère que l’entreprise défaillante fait courir de graves risques à son environnement économique, le juge peut envoyer le dirigeant à l’enquête du procureur de la République.

Mandat ad hoc ou conciliation : une démarche volontaire du chef d’entreprise

La prévention-traitement désigne le mandat ad hoc ou la conciliation dont l’objectif commun est de « permettre à une entreprise en difficulté de conclure un accord avec ses principaux créanciers et partenaires financiers ou commerciaux grâce à l’intervention d’un mandataire de justice nommé judiciairement, sous le contrôle d’un juge, en vue de l’aider à surmonter la mauvaise passe qu’elle traverse ».

Ces deux procédures sont elles aussi dites amiables car ouvertes suite à une démarche volontaire du chef d’entreprise dans le cas où les difficultés de son entreprise sont avérées ou prévisibles et si une solution n’est envisageable qu’avec l’aide de certains créanciers et partenaires financiers.

crédit photo : Aymane Jdidi – Pixabay

La mission du mandataire ad hoc ou du conciliateur, demandée par le chef d’entreprise et validée par le juge consulaire, consiste à:
1/négocier des accords avec les créanciers les plus critiques pour suspendre l’exigibilité de leur créance qui mettrait immédiatement l’entreprise en cessation des paiements et pour lui concéder des reports ou délais de règlement ,
2/ le cas échéant, procurer à l’entreprise de nouvelles sources de financement (« new money ») via les partenaires financiers que sont les banques, les fonds d’investissements, les investisseurs obligataires, etc.

Un accord amiable conforté par l’autorité du tribunal et qui a force exécutoire…

L’intérêt de ces deux procédures est de donner à ces négociations, qui en toute logique pourraient se dérouler hors du champ du tribunal, la garantie de l’institution judiciaire à l’égard des créanciers et financiers sollicités et la sécurité juridique et aux accords qui peuvent en découler, notamment les accords de conciliation qui sont constatés ou homologués, la force exécutoire.

Deux procédures relativement similaires et complémentaires :

• Le mandat ad hoc, laisse une grande liberté contractuelle et une place à l’initiative entre les parties (un seul article du Code de commerce : L. 611-3) ; le président ou son délégué détermine avec le débiteur la mission de mandataire au cas par cas (« ad hoc ») et la durée en est libre ; le mandat ad hoc permet d’explorer librement la perspective d’une conciliation qui ne sera ouverte qu’à bon escient et avec de meilleures chances de succès, les bases ayant été posées au cours du mandat ad hoc. (…) Vu que l’objectif du mandat ad hoc est d’éviter ou de faire disparaître très rapidement l’état de cessation des paiements, l’ouverture d’une telle procédure n’est pas inconciliable avec un état de cessation des paiements depuis moins de 45 jours ;
• La conciliation est une procédure plus encadrée par de nombreux articles du Code de commerce (article L. 611-4 à 16), destinée à conclure des accords du débiteur avec ses créanciers afin de régler ou d’anticiper des difficultés juridiques, économiques ou financières ; durée initiale de 4 mois maximum et durée totale maximale après prorogation de 5 mois (exceptionnellement les ordonnances dites Covid-19 permettent sur requête de porter cette durée à 10 mois). Cette procédure exige que l’entreprise ne soit pas en cessation des paiements depuis plus de 45 jours. Une nouvelle procédure de conciliation ne peut être ouverte qu’après un délai de 3 mois suivant la fin de la mission du conciliateur.

 

Contrairement à la procédure de prévention-détection, le mandat ad hoc ou la conciliation, impliquant la désignation de mandataires amiables rémunérés au temps passé et au succès de leur mission, sont des procédures coûteuses, d’autant que la préparation des accords avec les créanciers, notamment bancaires, implique l’accompagnement par un conseil et la fourniture aux créanciers concernés des audits et revues de plan d’affaires (les IBR) réalisés en général par des cabinets indépendants de bonne réputation, certes très professionnels, mais souvent très chers.

Ceci rend ces procédures amiables accessibles essentiellement aux grosses PME, aux ETI et aux grandes entreprises (GE), d’autant que ces entreprises disposent alors d’un staff de dirigeants avertis des bienfaits de telles procédures, capables de fournir les informations pertinentes pour en assurer le succès, aptes à en exploiter les accords conclus et bien sûrs en supporter les coûts.

A l’inverse, les TPE et petites PME, dont les dirigeants ne sont souvent pas avertis de l’existence de telles procédures et de leur bienfaits, ne sont pas généralement en position de financer ces procédures : c’est un obstacle regrettable sur lequel le garde des Sceaux, nouvellement nommé, a d’ailleurs demandé au législateur de se pencher très rapidement.

L’avantage de la confidentialité

Les procédures de prévention et de conciliation ont le très gros avantage de la confidentialité, y compris à l’égard des institutions représentantes des salariés.

Du fait de leur caractère confidentiel, ces procédures amiables
• n’entachent pas l’image de l’entreprise ;
• préservent son crédit au sein de son environnement économique et commercial : banquiers, fournisseurs et créanciers divers (hors, bien sûr, ceux sollicités pour un accord par le mandataire), clients, salariés en évitant les effets de démotivation ;
• notamment, ne produisent pas une envolée du besoin en fonds de roulement que produit en général l’annonce de l’ouverture d’une procédure collective (le fameux syndrome du paiement des fournisseurs au « cul du camion ») ;
• et évitent une destruction de valeur trop importante telle que celle qui résulte inévitablement d’une procédure collective.

Les procédures amiables offrent les conditions idéales pour le débiteur pour travailler avec l’aide du mandataire ad hoc ou de conciliateur sur l’amélioration de la structure de son bilan, alors qu’en procédure collective, pendant la période d’observation, il est trop tard pour procéder aux améliorations de bilan sauf par la cession totale ou partielle d’actifs, car le dirigeant doit alors se consacrer à l’amélioration rapide de son compte d’exploitation pour générer du cash et préparer un plan de redressement convainquant.

Les deux procédures, mais essentiellement la conciliation, peuvent aussi intégrer le « prépack cession «  consistant à confier au mandataire amiable l’organisation d’une cession partielle ou totale de l’entreprise, préparée dans le cadre amiable et confidentiel de la procédure, mais mise en œuvre ensuite dans le cadre d’une procédure collective lui faisant suite.

Les procédures de prévention n’aggravent pas les obligations contractuelles du chef d’entreprise ni ne réduisent ses droits dans le cadre des contrats en cours de par la loi qui annule toute clause modifiant les conditions de poursuite d’un contrat du seul fait de la désignation d’un mandataire ad hoc ou de l’ouverture d’une procédure de conciliation.

En revanche, contrairement aux procédures collectives et selon le droit commun, ces deux procédures n’entrainent pas la suspension des poursuites des créanciers : il n’y a donc pas la « protection du tribunal » des procédures collectives ; il n’y a qu’une suspension de poursuite tacite avec les créanciers avec lesquels le mandataire amiable a choisi de négocier en accord avec le dirigeant.

Les accords qui découlent de ces procédures présentent les avantages suivants :
en mandat ad hoc, l’accord entre protagonistes a la force obligatoire d’un contrat ;
en conciliation, la constatation d’un accord par le président du tribunal lui donne la force exécutoire ;
• et toujours en conciliation, l’homologation d’un accord de conciliation par le tribunal, s’il fait perdre la confidentialité à la négociation, ajoute à la force exécutoire la sécurité juridique, en interdisant notamment toute remise en question de la conciliation et apporte, sous conditions suspensives, le privilège de new money, l’interdiction de reporter la date de cessation des paiements à une date antérieure à celle de l’homologation et la possibilité pour le débiteur de mettre fin à l’interdiction bancaire qui pouvait l’avoir frappé.

  • Les ordonnances des 27 mars 2020 et 20 mai 2020 dites « COVID-19 » ont introduit, à titre provisoire – initialement jusqu’au 31 décembre 2020, mais maintenant certains articles jusqu’au 31 décembre 2021 de par l’ordonnance du 25 novembre 2020 – des avantages supplémentaires pour les entreprises en conciliation : elles peuvent bénéficier de la garantie de l’État pour l’octroi de prêts de trésorerie (PGE), ce dont, en l’état actuel des choses, les entreprises en procédures collectives ne peuvent bénéficier ;
  • les conciliations en cours peuvent être prorogées sur requête motivée jusqu’à 10 mois ;
  • les entreprises en conciliation peuvent sur simple requête auprès du juge de la prévention demander la suspension des poursuites engagées et l’interdiction des actions en justices à leur encontre par les créanciers récalcitrants refusant de participer à la conciliation et de leur imposer des reports ou délais de règlement pendant le temps de la conciliation (il s’agit de l’article 2, al. II et III de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020). Ce qui constitue actuellement un attrait majeur pour les entreprises connaissant le blocage de la part de certains créanciers critiques, notamment les bailleurs ou les leaseurs, pour débloquer des situations susceptibles d’entrainer la remise en question d’accord en cours avec les autres créanciers plus compréhensifs.

 

En 2020, le taux de succès de nos procédures de prévention a été de plus de 70 % : dans plus de 70 % des cas, il y a eu un accord entre l’entreprise et ses créanciers sous l’égide du mandataire amiable, avec la garantie du tribunal que l’entreprise est, durant la durée de l’accord, à l’abri de problème de trésorerie émanant des créanciers concernés.
L’activité prévention du tribunal de commerce de Paris a représenté près de 50 % de l’activité prévention de l’ensemble des neuf tribunaux de commerce de l’Ile de France, à savoir : Paris, Nanterre, Versailles, Bobigny, Evry, Créteil, Meaux, Melun, Pontoise.

Elle est en forte hausse dès ce début d’année 2021 avec + 60 %, dont + 150 % pour les conciliations. »

Dominique-Paul  Vallée

Les secteurs les plus affectés par la crise fondés à s’engager dans des démarche de prévention :
• Le voyage et le  tourisme dont les hôtels 5 étoiles, les restaurants, les agences de voyages, les boites de nuit, les leaseurs d’aéronefs, les compagnies de tourisme fluvial, etc. ;
• Les salles de sport ;
• Le cinéma, producteurs, distributeurs, entreprises de post production et d’installations techniques de salle;
• Les évènements sportifs et d’entreprise : les traiteurs, les organisateurs d’évènements, les loueurs de matériel, les installateurs de stands d’exposition, etc.
• La construction automobile et aéronautique : la construction mécanique, etc.
• Le commerce textile : fournisseurs, importateurs et détaillants, ainsi que les industries de la cosmétique les plus fragiles, les organismes de formation, dont les auto-écoles;
d’autres secteurs de la vie économique frappés par ricochet tels que :
• Les teintureries par la désaffection des cadres d’entreprise pour le costume/cravate et leur conversion au télétravail ;
• Les prothésistes dentaires par la désaffection des patients, notamment les plus âgés, de leur dentiste, etc..