C’est mon avis :
« Nous avons besoin d’entreprises profitables! »

C’est mon avis /

Jacques Gautrand, fondateur de Consulendo
(crédit photo : Jean-Pierre Bonnel)

Pour se partager les profits, encore faut-il les produire…

 

Comme on pouvait s’y attendre, la publication des bénéfices des grands groupes cotés en Bourse a déchainé la dénonciation des « super-profits ».

Le contraste entre la conjoncture chahutée de ce début d’année 2023 (inflation, hausse des prix de l’énergie, guerre en Ukraine, grèves et manifestations…) et les bonnes performances affichées par nos grandes entreprises, dont les profits ont été réalisés en 2022, notamment sur les marchés étrangers, enflamme les esprits.

Il n’en faut pas moins pour que se fasse entendre le chœur des récriminations contre le capitalisme et que s’embouchent les trompettes de l’hallali contre les riches…

 

Dans un pays où près d’un actif sur quatre travaille dans le secteur public ou assimilé, la distribution de dividendes aux actionnaires nourrit aussi la vindicte dans une partie non négligeable de l’opinion.

Alors que la France est l’un des pays les plus égalitaires de l’OCDE, après le correctif de la redistribution sociale…

Dans le débat en cours sur les besoins de financements des retraites, des voix, à gauche comme à droite, se sont fait entendre plaidant pour une recette simple, voire simpliste : « Surtaxons ces super-bénéfices et le tour est joué, plus de problème de déficit des retraites! » (1)

Rappelons cependant quelques vérités que l’on aimerait voir diffusées plus largement.

Les dividendes sont versés aux actionnaires une fois payés les salaires ainsi que les différents impôts, prélèvements, cotisations et autres taxes à l’Etat.

Le dividende est le revenu de l’actionnaire : il rémunère le risque pris par l’investisseur qui a apporté son capital à l’entreprise pour lui permettre d’exercer son activité, sans garantie initiale que celle-ci sera profitable.

– Le dividende fera à son tour l’objet d’un prélèvement fiscal lors de la déclaration des revenus de son bénéficiaire. On peut ainsi en déduire que le profit est taxé deux fois : une première fois via l’impôt sur les sociétés, une seconde fois via les dividendes distribués…

Ceux qui stigmatisent les « super » profits oublient d’évoquer les 3,5 millions de salariés-actionnaires qui touchent aussi des dividendes, lesquels représentent un bienvenu 14ème ou 15ème mois de salaire! Demandez-donc aux salariés d’Essilor s’ils n’apprécient pas leur dividende. Tandis que les salariés de La Redoute qui avaient participé à sa renaissance en 2014, vont toucher en moyenne 100 000 euros chacun, à l’occasion du rachat du solde du capital de l’entreprise par Galeries Lafayette…

Précisons aussi que les profits affichés par les grands groupes cotés au fameux CAC 40 de la Bourse de Paris, sont essentiellement réalisés hors de France, sur les marchés étrangers, notamment en Asie ou au Moyen-Orient pour les marques de luxe… Les dividendes versés aux actionnaires français ne sont donc pas prélevés « au détriment » des salariés de l’Hexagone.

Par ailleurs, tous ceux qui veulent surtaxer les profits devraient garder à l’esprit que dans le monde actuel, les entreprises ont toujours la faculté d’installer leur siège social dans des pays où la fiscalité et les prélèvements sont les plus favorables.

Enfin, rappelons une vérité de bon sens : les profits ne tombent pas du ciel!

Avant de les redistribuer, il faut instaurer les meilleures conditions de leur production…  Il faut un écosystème favorable à l’innovation, à la prise de risque, une culture qui encourage l’entrepreneuriat, un management audacieux et responsable, capable de mobiliser les compétences et d’attirer/fidéliser les talents. Dans tous ces domaines, nous avons encore des progrès à accomplir…

Or notre pays ne compte pas assez d’entreprises profitables. Les taux de marge dans les PME restent faibles, inférieurs à la moyenne de nos principaux partenaires européens.

Nos entreprises, notamment les PME et TPE, sont aussi insuffisamment capitalisées. Au moindre coup de Trafalgar, elle doivent déposer le bilan…

Capitalisation

Pour revenir au débat sur l’avenir de notre système de retraite, on ne peut que regretter que, depuis des décennies, les opposants actuels à la réforme, aient constamment refusé la création de fonds de pension (capitalisation), compléments efficaces de la répartition et qui auraient pu être alimentés, entre autres, par les dividendes distribués et l’épargne salariale.

Après ces commentaires, on ne manquera pas de se réjouir que syndicats de salariés et syndicats patronaux se soient mis d’accord le 10 février sur un texte visant à améliorer la répartition de la valeur ajoutée créée dans l’entreprise, notamment en favorisant l’instauration de l’intéressement et de la participation dans les PME, où ces dispositifs sont encore trop peu répandus.

La preuve que tout le monde trouve intérêt a travailler dans des entreprises plus profitables!

Sans utiliser le terme de « super-profits », cet accord national interprofessionnel (ANI) prévoit que les bénéfices « exceptionnels » donneront lieu à un versement automatique supplémentaire de participation ou d’intéressement dans les entreprises comptant plus de 50 salariés.

Tout ceci démontre que le dialogue social fonctionne encore dans notre vieux pays, et qu’il peut déboucher sur des accords sociaux mutuellement profitables. Sans ingérence de l’Etat.

J.G.

(1) Rappelons que l’impôt sur les grandes fortunes rapportait quelque 5 milliards d’euros au budget de l’État, alors que le déficit annuel des retraites est estimé à 12 milliards d’ici la fin de la décennie.

 

« Vous venez de lire le premier article de cette nouvelle rubrique intitulée « C’est mon avis ».  J’y exprime mon point de vue, de façon subjective et personnelle, tout en m’efforçant de l’argumenter. Cette tribune que j’espère régulière, ne se veut pas péremptoire; elle vise simplement à contribuer au débat d’idées sur un sujet qui fait l’actualité. »

 

> Ce point de vue a été aussi publié sur le site du magazine en ligne Atlantico