#FRANCE 2022
Des réformes nécessaires, trop longtemps repoussées…

Les grands sujets qui nourriront le débat des présidentielles de 2022 sont déjà sur la table. La crise sanitaire qui perdure ne doit pas enterrer le chantier de la transformation de notre pays qualifié d' »irréformable ». Où en sont ces réformes dont on parle depuis si longtemps, souhaitables ou contestées, évidentes ou redoutées, nécessaires mais ajournées? Début d’inventaire que nous poursuivrons au cours des prochains mois.

 

crédit photo : Z Rainey – Pixabay

Il paraît bien loin le temps du rapport de la commission « pour la libération de la croissance française », présidée par Jacques Attali, et dont le rapporteur général adjoint était un jeune inspecteur des Finances nommé… Emmanuel Macron : c’était en janvier 2008!

Le monde a changé. Certes, beaucoup d’ événements sont intervenus depuis. La France a connu trois présidents de la République. La crise financière des Subprimes et une pandémie planétaire…                                

De nouvelles lignes de tensions ont transformé l’environnement international et redessinent le paysage géopolitique  : la rivalité Chine-Etats-Unis pour le leadership économique mondial; la diffusion des menaces islamistes; l’intensification des flux migratoires; la focalisation autour des questions climatiques et écologiques;  les déconvenues de l’intégration européenne; la montée des populismes…  Des lignes de force que la pandémie de Covid 19 n’a fait qu’accentuer. Et qui ont pu freiner les projets réformistes de nos gouvernants. Ou leur fournir un alibi providentiel.

Déclin français. Le diagnostic posé par la commission Attali il y a près de quatorze ans sur le « déclin relatif » de la France reste malheureusement toujours d’actualité:

« Au total, en 40 ans, la croissance annuelle de l’économie française est passée de 5 % à 1,7 % l’an pendant que la croissance mondiale suivait le chemin inverse.
Alors qu’elle était encore en 1980 la quatrième puissance mondiale en PIB et la huitième en PIB par habitant, la France n’est plus aujourd’hui que la sixième
en PIB et la dix-neuvième en PIB par habitant. (…)
Si rien n’est fait, la dette publique représentera 80 %
du PIB en 2012 et 130 % en 2020 [ Du fait notamment de la pandémie, ce ratio d’endettement est actuellement de 118%! NDLR] (…) La charge du remboursement qui pèsera sur les contribuables de demain sera le triple de celle qu’ils assument aujourd’hui. De plus, compte tenu des évolutions démographiques, (…) la part des dépenses de retraites dans le PIB devrait passer de 12,8 % aujourd’hui à 16 % en 2050.(…)
Qu’est-ce que la bonne dette? L’investissement, qui prépare l’avenir. Qu’est-ce que la mauvaise dette : la nôtre, cette accumulation de déficits engendrés par le train de vie excessif de l’État et de l’ensemble des collectivités publiques. (…)
Aussi, si le pays ne réagit pas fort et vite pour un retour à une croissance durable, les enfants d’aujourd’hui vivront beaucoup moins bien que leurs parents : le déclassement du pays et la prolétarisation des classes moyennes en seront les premières manifestations… »

On pourrait lire entre ces lignes comme la prémonition du mouvement de révolte des Gilets Jaunes de l’automne 2018!

Un point de croissance en plus!

Composée de 42 membres représentant les forces économiques du pays, la commission Attali estimait qu’ une « croissance économique forte peut revenir pour tous en France. Elle suppose la conjugaison de différents facteurs : une population active nombreuse et dynamique, un savoir et des innovations technologiques sans cesse actualisés, une concurrence efficace, un système financier capable d’attirer du capital, une ouverture à l’étranger. Elle passe aussi par une démocratie vivante, une stabilité des règles, une justice sociale. Elle exige la tolérance, le goût du risque, le succès, le respect pour l’échec, la loyauté à l’égard de la nation et des générations à venir, la confiance en soi et en les autres. »

crédit photo : Mudassar Iqbal – Pixabay

« Plus de croissance économique entraînera des progrès concrets pour chacun des Français (…) Un point de croissance du PIB en plus pourrait signifier chaque année par exemple, tout à la fois, 500 euros de pouvoir d’achat en plus par ménage, 150 000 créations d’emplois supplémentaires, 90 000 logements sociaux de plus, 20 000 enfants handicapés scolarisés, 20 000 places d’hébergement d’urgence créées en plus pour les sans-abri, la généralisation du Revenu de solidarité active pour les allocataires du Revenu minimum d’insertion, une augmentation de moitié des moyens de la recherche sur la santé et les biotechnologies, le doublement de notre aide au développement, et 4 000 euros de dette publique en moins pour chaque citoyen, le tout sans alourdir les impôts ni aggraver le déficit… »

Une France plus prospère?

à condition de libérer les initiatives et d’encourager la concurrence et l’innovation!

 

Le rapport de la commission enjoignait les Français de « préférer le risque à la rente, de libérer l’initiative, la concurrence et l’innovation »…

Il comportait 316 mesures et réformes à mettre en œuvre d’ici à 2012 correspondant à huit grandes « ambitions » pour le pays.

Tout ne s’est pas perdu dans les sables. Certaines des recommandations ont inspiré, dans l’esprit ou dans le texte, des mesures prises par les gouvernements qui se sont succédé depuis 2008 : citons, entre autres, la création du régime de l’auto-entrepreneur en 2009, le CICE destiné à réduire les charges pesant sur le travail, les aménagements du droit social tels que la rupture conventionnelle, plusieurs dispositifs de la loi Pacte, l’autonomie des universités…

Cependant on ne peut que déplorer le report constant de certaines réformes, certes difficiles, mais  qui auraient pu contribuer à rendre notre pays plus fort et lui donner de meilleures marges de manœuvre pour rebondir dans l’adversité.

Petit inventaire des rendez-vous manqués et des réformes sans cesse ajournées.

♦ Réduire l’hypertrophie de l’État

crédit photo : Gerd Altmann – Pixabay

Le rapport Attali préconisait de réduire le train de vie de l’État afin que le poids de la dépense publique dans le PIB – un des plus élevés de l’OCDE! – baisse de 1% par an…  Si cette mesure avait été suivie d’effet, la part des dépenses publique dans la production nationale serait aujourd’hui ramenée à un niveau moyen comparable à celui des autres pays. Las, elle était en 2019 de 55,6% et a encore augmenté avec la crise du coronavirus qui a fait exploser les concours publics, réduit les recettes fiscales et contracté le PIB…

 

« Quoi qu’il en coûte »... Résultat, la France et les Français se sont installés, à la faveur de la crise sanitaire, dans le confort trompeur d’un État-Nounou et dans l’illusion de l’argent magique, déconnecté du travail productif et de l’échange marchand.

Loin de refluer, l’intervention de la puissance publique dans la vie quotidienne des Français et dans la vie économique n’a fait qu’étendre son emprise.

Le réveil sera difficile avec une dette nationale qui tutoie les 120% du PIB et un déficit des comptes publics qui part à vau l’eau…

Au fil des décennies, les effectifs employés dans le secteur public n’ont cessé d’enfler, notamment du fait de nombreuses embauches dans les collectivités territoriales.  L’emploi public, avec plus de six millions de personnes, (fonctionnaires et effectifs des entreprises à capitaux publics) représente le quart de la population active, une singularité française.

Les annonces récurrentes de réduire les sureffectifs et les doublons (« on ne remplacera qu’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite »…) n’ont pas eu d’effet concret sur le niveau de la dépense publique.

La crise sanitaire a eu raison de la promesse de campagne d’Emmanuel Macron de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires au cours du quinquennat…

Afin d’accroître l’efficacité du secteur public, la commission Attali préconisait une mesure qui na jamais été concrétisée : « Faire évaluer tout service public (école, université, hôpital, administration) par des organismes indépendants… »

 

Alléger le millefeuille administratif

Notre pays empile cinq strates de la décision publique : État, Région, Département, Intercommunalités et communes… Avec des redondances, des chevauchements de compétences, des court-circuit et des goulots d’étranglement!

Malgré des velléités affichées de « simplification », aucun gouvernement ne s’est attaqué à ce Léviathan bureaucratique, qui bride l’innovation, la créativité et le potentiel de croissance en complexifiant tout projet ou  en décourageant sa réalisation.

Parmi ses propositions, la Commission pour la libération de la croissance préconisait de « renforcer les Régions et les intercommunalités en faisant disparaître en dix ans l’échelon départemental… » Or cette mesure a été d’emblée rejetée par le commanditaire du rapport Attali, le président Nicolas Sarkozy.  Aucun de ses prédécesseurs n’a réussi a simplifier ce millefeuille administratif. François Hollande en redécoupant la carte des Régions en 2015 n’a fait que rajouter de la confusion et de la complexité à l’ensemble…

Le chantier de la simplification administrative et règlementaire, souvent annoncé, reste toujours balbutiant tant l’empilement phénoménal de lois et de règlements (nationaux et européens – on reproche à la France de « sur-transposer » dans le droit les directives de l’Europe) constitue un maquis inextricable et incompréhensible pour la plupart des citoyens et des entrepreneurs. Conduisant parfois à des situations kafkaïennes, lorsque la rigueur de la loi conjuguée à la bureaucratie peut entraîner des cessations d’activité ou des drames personnels.

Face à l’inflation de textes législatifs et réglementaires dans notre pays, certains, s’inspirant d’une initiative de la Grande-Bretagne, préconisent que pour chaque nouvelle loi adoptée, une loi ancienne, obsolète ou tombée en désuétude, soit supprimée.

 

Sémantique. Emmanuel Macron se félicite d’avoir eu le courage de supprimer l’ENA, la célèbre école formant l’élite de la haute administration, (dont il est issu ainsi que bon nombre des ministres et parlementaires), Mais cette réforme paraît plutôt cosmétique ou sémantique puisque les hauts fonctionnaires seront désormais formés par l’ISP, Institut du service public, qui sera basé, lui aussi à Strasbourg…

  • Le chantier inachevé de la réforme des retraites

crédit photo : Gerd Altmann – Pixabay

Après des années de « concertation » menée par l’ex-président du Conseil économique et social, Jean-Paul Delevoye, des débats et des semaines de grèves des transports, la réforme des retraites qui devait être le grand œuvre du quinquennat Macron a été une des victimes collatérales de la Covid 19.

Le projet de loi sur les retraites adopté en première lecture par l’Assemblée nationale en janvier 2020, grâce à la procédure du vote bloqué (article 49-3), a été suspendu en raison de la pandémie de coronavirus au printemps de la même année.

Le président de la République française, Emmanuel Macron (crédit photo : www.elysee.fr)

Dans son adresse aux Français, le 12 juillet 2021, le président de la République a réitéré sa volonté de poursuivre cette réforme, « dès que les conditions sanitaires seront réunies », et demandé au Premier ministre Jean Castex de « travailler avec les partenaires sociaux sur ce sujet dès la rentrée ».

Emmanuel Macron a reconnu à cette occasion, ce que disent la plupart des observateurs avertis et qui est au cœur des controverses sur la réforme, l’âge de départ en retraite devra être repoussé :  » Parce que nous vivons plus longtemps, il nous faudra travailler plus longtemps et partir à la retraite plus tard. Pas demain, pas brutalement, pas de manière uniforme car nous prendrons en compte la difficulté des métiers. Mais progressivement, sur plusieurs années, et par un système qui fait la différence selon le travail réellement exercé… »

 

Inégalités de traitement. Certes la situation française avec ses 42 régimes différents de retraite, – dont 15 dits  « régimes spéciaux » fonctionnant selon des règles dérogatoires du régime général -, est particulièrement déséquilibrée, coûteuse et cause de nombreuses inégalités de traitement, notamment entre secteur privé et secteur public. Rappelons que certains régimes spéciaux particulièrement avantageux pour leurs bénéficiaires tels ceux de la SNCF ou de la RATP, ne peuvent se maintenir que grâce aux subventions de l’État, les cotisations des actifs étant insuffisantes pour financer les pensions.

D’où l’idée de tout fondre en un « régime universel ». Comme la réforme voulue par le président de la République et qui s’organise autour d’un système par points pour tout le monde; idée séduisante sur le papier… Mais qui se heurte à la diversité des métiers, des parcours, des situations ancrées dans des références historiques, des traditions professionnelles spécifiques, des codes, des symboles… Et déjà certaines professions avaient obtenu de pouvoir déroger à la règle commune!

Par ailleurs, le projet de réforme présenté le 11 décembre 2019 par le Premier ministre de l’époque Edouard Philippe, et voté en janvier 2020,  était entaché d’une faiblesse originelle : en promettant de ne toucher ni à l’âge légal de départ en retraite ni au niveau des pensions servies – une promesse pour le moins rhétorique, puisqu’il prévoyait de créer un « âge pivot » à 64 ans, comme condition d’accession à une pension à taux plein…

D’où les nombreuses critiques et oppositions que suscita ce projet actuellement « gelé ». Les syndicats opposés à l’allongement de la durée de cotisation arguant qu’un salarié sur deux partant en retraite n’est déjà plus en activité lorsqu’il accède à l’âge légal de départ…

Le bon sens voudrait, comme le préconise la Confédération des PME, que seule la retraite de base soit fusionnée dans un tronc commun « universel »;  qu’il soit laissé au libre choix de chaque secteur d’activité de proposer une retraite complémentaire, selon ses modalités propres, sur la base de cotisations volontaires. Et qu’il faudrait traiter à part le déficit des retraites du secteur public.

François Asselin, président de la Confédération de PME

Interviewé par France Info en juillet 2020, le président national de la CPME, François Asselin plaidait en faveur d’un « régime universel de base qui permette d’assurer 1 000 euros, le minimum-retraite et, au-delà garder trois grandes caisses indépendantes, autonomes, qui sont gérées comme l’Agirc-Arrco pour assurer l’équilibre. Pour les indépendants et les professions libérales laissons ces caisses complémentaires en place. Pourquoi modifier des choses qui fonctionnent ? »

 

Déficit structurel.  Quoi qu’on en pense, notre régime actuel par répartition (les actifs financent les pensions des retraités, que certains esprits facétieux assimilent à un système à la Ponzi) est en déficit structurel chronique, du fait de la pyramide des âges et du faible taux d’activité conséquence d’un chômage de masse.

La capitalisation, une piste toujours écartée, pourquoi?

Du fait de l’opposition constante des syndicats, la France ne s’est jamais doté de « fonds de pension », des fonds d’investissement permettant de servir des retraites par capitalisation : un système qui fonctionne dans de très nombreux pays et dont bénéficient aussi chez nous … les fonctionnaires grâce à la Fondact.

Dans un intéressant article consacré aux propositions du récent rapport des économistes Olivier Blanchard et Jean Tirole en matière de réforme des retraites, le think-tank libéral IREF Europe cite le calcul de l’économiste Patrick Artus selon lequel « au bout de près de quarante ans un euro placé en répartition représente deux euros, contre vingt euros pour le même euro placé en capitalisation. »

 

RETRAITES : la proposition du Cercle des économistes

La 21eme édition des Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence organisées par le Cercle des économistes, a réuni les 2, 3 et 4 juillet 2021 plus de 350 intervenants de toutes sensibilités, issus du monde académique, économique, syndical et social, pour confronter leurs idées sur la thématique « Saisir l’avenir, ensemble ».

Ces échanges ont donné lieu à une déclaration sous forme de 10 propositions destinées à nourrir le débat des présidentielles autour de la question « Comment la France peut-elle réellement rebondir ? »

La 3ème proposition des Rencontres d’Aix concerne la réforme des retraites. Nous en reproduisons la synthèse ci dessous:

« PROPOSITION 3. Intégrer pleinement la réforme des retraites dans les grandes propositions des programmes des candidats aux élections présidentielles, car le débat sur la nécessité de faire cette réforme des retraites avant l’élection est lancé avec beaucoup d’acuité.
Mettre l’augmentation du nombre d’annuités au cœur de la réforme est une condition de sa réussite, et évitera un débat stérile sur l’âge de départ à la retraite.
Compléter cette réforme des retraites par des dispositifs de solidarité.
Deux solutions doivent au moins être mises en place. D’abord, l’octroi de crédits d’annuités supplémentaires dans certaines situations, notamment les congés parentaux, la pénibilité ou encore la compensation des écarts d’espérance de vie entre catégories socioprofessionnelles. Ensuite, la mise en place d’un revenu minimum décent pour toutes les catégories fragiles telles que les femmes seules sans emploi de plus de 60 ans ou les seniors de plus de 80 ans touchant de faibles retraites. »