LIVRE
On n’a pas fini de parler d’économie!

Les mots ne servent pas qu’à décrire la réalité. Ils sont révélateurs de notre rapport aux choses et aux autres. Ils construisent notre présence au monde. Amoureux des mots, curieux des autres cultures, grand connaisseur de l’Afrique et de la Francophonie, le journaliste et écrivain Dominique Mataillet publie un « Dictionnaire savoureux des subtilités, ambiguïtés et incongruités de la langue française » (éditions Favre)*.  Son livre qui décortique avec finesse et humour expressions populaires, étymologies étonnantes, locutions étranges, clichés, euphémismes, métaphores et autres figures de style, s’intéresse aussi aux termes utilisés quand on parle d’économie et d’argent. Nous en publions, avec l’aimable autorisation de l’auteur, les extraits ci-dessous sur le thème Richesse et Pauvreté.

 

L’argent. « Tout bien réfléchi, les questions économiques n’ont-elles pas toujours eu une place de choix dans le parler commun ? C’est ce qu’indique notamment le nombre d’expressions et de locutions populaires tournant autour de l’argent : « prendre pour argent comptant », « l’argent n’a pas d’odeur », « l’argent ne fait pas le bonheur », « plaie d’argent n’est pas mortelle », « vouloir le beurre et l’argent du beurre », « jeter l’argent par les fenêtres », « monnaie courante », « monnaie de singe », « rendre à quelqu’un la monnaie de sa pièce », « propre comme un sou », « être près de ses sous », « bâti comme quatre sous ». Et que dire de l’argot ! Dans la langue verte, l’argent est, avec les attributs du sexe, le sujet qui a engendré le plus de mots différents. » (…)

Pauvres contre riches (et vice versa)

« Certes, la France n’est pas le pays où les inégalités sociales sont les plus criantes. Les statistiques disent même le contraire. Il n’empêche. Depuis le déclenchement du mouvement des Gilets jaunes, à la fin de 2018, jamais le fossé entre les élites et les catégories populaires n’a semblé aussi profond.

Autrefois, on distinguait le peuple de la noblesse, qui se présentait comme une catégorie supérieure et qui, comme le clergé, bénéficiait de privilèges exorbitants. Il y a cinquante ans, on aurait opposé les prolétaires aux bourgeois. Ces mots sont passés de mode parce que la structure sociale du pays a profondément changé.

Reste que la dichotomie riche/pauvre est à l’origine d’un vocabulaire abondant qui n’a rien perdu de son acuité et de sa saveur. Chacun des deux termes a de nombreux synonymes, souvent familiers voire argotiques.

Du côté des riches, on trouve notamment « argenté », « cossu », « fortuné », « huppé », « nanti », « opulent », « pourvu », « richard », « capitaliste » ou encore « rupin » et « friqué ». Pris collectivement, les gens aisés forment le « gratin », la « crème », le « gotha » (du nom d’une ville du centre de l’Allemagne).

Un autre mot, d’origine anglo-américaine, fait florès depuis quelques décennies : « bobo », contraction de « bourgeois-bohème ». On entend par là le membre d’une catégorie sociale aisée qui profite des libéralités du système capitaliste tout en professant des valeurs et des modes de vie en rupture avec la norme sociale.

Pour ce qui est du pauvre, les dictionnaires indiquent « démuni », « fauché », « gueux », « misérable », « miséreux, « nécessiteux », « indigent », « paria ». Selon les cas, ces termes expriment un plus ou moins grand dénuement matériel.

Dans la France rurale d’hier, on qualifiait les petits paysans de « croquants », de « ploucs » (en Bretagne), de « bouseux », de « culs terreux ». Ensemble, les pauvres constituent la « plèbe » – terme désignant les citoyens de base à Rome par opposition aux « patriciens », qui formaient la classe supérieure.

Les mots péjoratifs ne manquent pas. Tels ceux de « populace » et de « racaille », ce dernier sous-entendant un comportement délinquant. Dans le même registre, on trouve « lumpenprolétariat » (« prolétariat en haillons » en allemand), terme autrefois utilisé par les marxistes pour stigmatiser les éléments déclassés – voyous, mendiants… – de la classe ouvrière.

Aux pauvres parmi les pauvres font écho les riches d’entre les riches. Dans la Russie post-communiste, on appelle « oligarques » (du grec oligos, « peu nombreux », et arkhê, « commandement ») ceux qui se sont approprié les richesses nationales au cours du processus de dénationalisation (consécutif à l’éclatement de l’URSSS –NDLR), se constituant ainsi des fortunes considérables.

Grâce à son argent, le « ploutocrate » (ploutos signifiant richesse en grec) est en mesure d’exercer une influence politique. Quant au terme « magnat », titre donné autrefois en Pologne et en Hongrie aux membres de la haute noblesse, il est utilisé aujourd’hui, avec un sens péjoratif, comme synonyme de représentant du capitalisme international : « magnat de la finance », « magnat du pétrole »… « Baron », également un titre de noblesse en France, a un sens équivalent.

Qui dit richesse dit donc puissance et pouvoir. Pour en désigner les détenteurs, le lexique français s’est enrichi de vocables renvoyant à des civilisations lointaines. Synonyme d’homme d’affaires prospère, tycoon est un mot anglais dérivé du japonais taikun qui se traduit par « grand seigneur » ou « grand prince ». Dans l’ancien empire chinois, le « mandarin » était un haut fonctionnaire influent alors que dans l’Inde musulmane on donnait le titre de « nabab » aux grands officiers et aux gouverneurs de province. Le « cacique », lui, est un chef dans les sociétés traditionnelles d’Amérique centrale.

Les riches ne sont pas tous pingres – ou radins comme on dit communément. Certains d’entre eux se distinguent même par leur générosité. Un philanthrope est, selon Le Robert, « une personne qui s’emploie à améliorer le sort matériel et moral des hommes ». Par goût des arts, le mécène (de Maecenas, nom d’un ministre de l’empereur romain Auguste) apporte une aide spécifique aux artistes. Mais le mécénat peut aussi consister en un soutien sans contrepartie directe à une œuvre d’intérêt général. Tombé dans l’oubli, le terme évergète vient, lui, de la Grèce antique où il désignait un riche notable qui finançait des dépenses publiques par des dons.

Proverbes, expressions, locutions abondent aussi dans un domaine qui, de tout temps, a nourri le parler populaire. Avec toujours le même dualisme. Être riche, c’est avoir « de la braise » ou « de la fraîche », avoir « des pépettes », « des picaillons », « du blé », « du pèse », « du pognon » et, bien sûr, « du fric » ou « des ronds ». C’est « être plein aux as », « rouler sur l’or », « avoir du bien au soleil ». Encore faut-il savoir protéger ses économies, en « mettant à gauche » : traditionnellement, semble-t-il, les gens glissaient leurs pièces de monnaie dans une petite bourse qu’ils plaçaient sous l’aisselle gauche afin de ne pas entraver le mouvement du bras droit. Du moins quand ils n’étaient pas gauchers…

Le pauvre, lui, est « dans la dèche », « dans la mouise », « dans la purée », « dans la panade », « sur la paille ». Quand on est sans ressource, on n’a « pas un rond », « pas un kopeck », « pas un fifrelin », « pas un rotin ».
Ceux qui ont du mal à subvenir à leurs besoins « tirent le diable par la queue », « bouffent des briques », « se serrent la ceinture ». Alors que « n’avoir ni sou ni maille » est la marque de l’indigence extrême.
Pendant ce temps, d’autres « adorent le veau d’or », c’est-à-dire affichent un amour immodéré pour les biens matériels. S’ils « touchent le pactole », ils « roulent sur l’or ». « Nés avec une cuillère d’argent dans la bouche », ils peuvent dépenser sans compter et « jeter l’argent par les fenêtres ». D’autant plus que, comme chacun sait, « on ne prête qu’aux riches ».

Certaines de ces expressions ont une origine antique ou biblique, preuve que la question des inégalités de fortune hante la civilisation judéo-chrétienne. Ne continue-t-on pas de dire « pauvre comme Job » et « riche comme Crésus », le premier étant un personnage de l’Ancien Testament, le second une figure de la Grèce archaïque ? »

Dominique Mataillet

* « ON N’A PAS FINI D’EN PARLER! Dictionnaire savoureux des subtilités, ambiguïtés et incongruités de la langue française » – Éditions Favre – mars 2022

Dominique Mataillet, journaliste et écrivain – crédit dessin : Revue France-Amérique

À propos de l’auteur:

Issu d’une famille franc-comtoise de professionnels du bois , Dominique Mataillet a voué sa vie au papier… imprimé.

Il est notamment l’un des fondateurs des éditions Karthala, en 1981.
Entré au groupe Jeune Afrique en 1988, il a collaboré pendant près de trois décennies aux activités de cette société de presse créée au début des indépendances par Béchir Ben Yahmed. Après de longues années à la rédaction en chef de l’hebdomadaire Jeune Afrique, il a été rédacteur en chef adjoint de La Revue pour l’intelligence du monde de 2009 à 2014.

Son parcours professionnel qui a commencé à Dakar dans le cadre de la Coopération, révèle son attachement au continent africain et à la Francophonie. Dominique Mataillet est notamment l’auteur de Côte d’Ivoire – révélations en terre d’ivoire (Éditions du Jaguar, 2014) et le coauteur de L’ Atlas du continent africain (Éditions du Jaguar, 1993, 2000, 2011) ainsi que de Jeune Afrique, 5O ans. Une histoire de l’Afrique (Éditions de la Martinière, 2013).

Ce diplômé de Sciences Po-Strasbourg et de l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne, se consacre aujourd’hui à l’écriture; il collabore notamment au magazine new-yorkais France-Amérique.