PERSPECTIVES 2023 (I)
8 milliards d’humains, croissance économique en berne … L’Europe et le monde face au défi des grandes transitions

Avec 8 milliards d’habitants, cap historique franchi le 15 novembre, le monde est confronté comme jamais à des défis colossaux. Continuer à améliorer les conditions de vie de populations croissantes, produire suffisamment de nourriture et de biens de consommation, tout en opérant des transformations économiques radicales pour répondre aux enjeux environnementaux et climatiques… Or une combinaison inédite de crises et de menaces, et un ralentissement de la croissance économique, compliquent davantage encore ces mutations.

 

crédit photo : Gerd Altmann – Pixabay

Le monde n’avait jamais compté autant d’habitants! Selon l’Onu, le cap des 8 milliards d’humain a été symboliquement franchi le 15 novembre 2022 (voir infra).

Or, en cette fin d’année, si la population du globe continue d’augmenter, la croissance économique mondiale marque un fort ralentissement, avec des perspectives parmi les plus faibles depuis le début du 21ème siècle, exception faite de l’impact de la crise financière internationale en 2008 et de la pandémie en 2020.

« Il s’agit du profil de croissance le plus morose depuis 2001, note le Fonds monétaire international (FMI) qui vient de publier ses Perspectives de l’économie mondiale, mis à part la crise financière mondiale et le pic de la pandémie de COVID-19. »

Vents contraires

Cette situation préoccupante est due « à une conjonction inédite de vents contraires : l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les hausses de taux d’intérêt visant à contenir l’inflation, et les effets persistants de la pandémie, notamment la poursuite des confinements en Chine et les perturbations des chaînes d’approvisionnement« ,  analyse Tryggvi Gudmundsson, économiste au FMI.

Après 6% de croissance atteint en 2021, en rebond de la pandémie, la croissance du PIB mondial devrait baisser à quelque 3,4% en 2022 et baisser encore à 2,7% en 2023.

Il s’agit d’une moyenne. Plusieurs pays seront l’an prochain en décroissance comme l’Allemagne (soit un groupe de pays représentant environ un tiers du PIB mondial), tandis que les pays les plus dynamiques verront leurs performances plafonner à des niveaux moins élevés qu’habituellement, comme la Chine avec 4,4% de croissance.

« Les indices des directeurs d’achat publiés en octobre laissent entrevoir une faiblesse (de la croissance)  au quatrième trimestre 2022, en particulier en Europe. En Chine, les confinements intermittents liés à la pandémie et les difficultés du secteur immobilier contribuent à un ralentissement qui transparaît non seulement dans les indices des directeurs d’achat, mais aussi dans les investissements, la production industrielle et les ventes au détail. Compte tenu de la place prépondérante de la Chine dans les échanges commerciaux, cette situation aura inévitablement un fort impact économique sur les autres pays. »

Source : Fonds monétaire international – octobre 2022

 

« Aux États-Unis, le resserrement des conditions monétaires et financières ralentira la croissance à 1 % l’an prochain (contre 1,6% en 2022), précise Pierre-Olivier Gourinchas, directeur des études du FMI.

La Zone euro à la peine…

« Le ralentissement le plus marqué interviendra dans la zone euro, qui continuera d’être ébranlée par la crise énergétique liée à la guerre (en Ukraine) et devrait voir sa croissance se replier à 0,5 % en 2023. »

La France devrait afficher en 2023 un niveau de croissance légèrement supérieur à  cette moyenne : 0,7% (2,5% en 2022). Alors que l’Allemagne et l’Italie seront en récession. L’Espagne performera à + 1,2%, en net repli toutefois par rapport à 2022 (4,3%)

« Dans la plupart des pays, la hausse rapide des prix, notamment ceux des denrées alimentaires et de l’énergie, est une source de grandes difficultés pour les ménages, en particulier ceux à faible revenu », souligne le FMI.

Impact sur la consommation et l’investissement

Face au regain de l’inflation « qui atteint des niveaux jamais vus depuis plusieurs décennies », les autorités monétaires des grands pays – qui avaient ouvert largement les vannes du crédit pendant la crise sanitaire -, reviennent à des politiques restrictives de la masse monétaire, les banques centrales augmentent leurs taux d’intérêt : « La normalisation des politiques monétaires et budgétaires, qui avaient apporté un soutien sans précédent pendant la pandémie, freine la demande en cette période où les décideurs sont soucieux de ramener l’inflation aux niveaux cibles », observe le FMI.

Une dette plus chère et le spectre de la récession

La fin de l' »argent magique » fera de l’endettement public une charge encore plus lourde pour les États et qui pèsera, in fine, sur les contribuables.

Par ricochet, les politiques moins « accommodantes » des banques centrales, restreindront l’accès au crédit des entreprises et des particuliers, freinant l’investissement, les dépenses d’équipement et l’immobilier.

La marge de manœuvre des autorités est très étroite pour éviter de plonger l’économie dans le marasme, tandis que l’inflation nourrit la spirale délétère prix-salaires.

« Un durcissement excessif (des politiques monétaires) risquerait d’entraîner l’économie mondiale dans une récession inutilement sévère. Les marchés financiers pourraient également souffrir d’un tour de vis trop précipité », alerte Pierre-Olivier Gourinchas du FMI.

crédit photo : Gerd Altmann – Pixabay

Défis énergétiques, climatiques et agroalimentaires

Dans cette conjoncture fortement instable et incertaine qui pèsera sur 2023, l’économiste du FMI remarque avec pertinence que « la crise énergétique, en particulier en Europe, n’est pas un choc transitoire… »

En effet, la situation présente – combinant la guerre en Ukraine à l’inflation des prix de l’énergie et des matières premières, sur fond de dérèglement climatique et d’éco-anxiété -, a mis à nu les vulnérabilités de nos économies liées à nos interdépendances.

Or ce sont précisément ces interdépendances qui ont fait notre prospérité au cours des dernières décennies.

  • Dépendance à des sources d’énergie abondantes et bon marché :

La forte croissance des « Trente Glorieuses » (1947-1974), et la prospérité qui s’est diffusée, bon an, mal an, à un nombre croissant de pays s’est nourrie de sources d’énergie abondantes et à des prix accessibles malgré les chocs pétroliers de 1973 et 1989. Rappelons que l’Europe s’est initialement construite autour du charbon et de l’acier (création de la CECA en 1952).  Même si la France a opté dans les années 1960 pour un programme nucléaire intensif devant fournir 80% de son électricité.

Or l’injonction actuelle de décarbonation de nos systèmes productifs remet en cause ce modèle.

Cependant les énergies dites « vertes » et l’hydrogène ne pourront prendre le relais que progressivement. Comme l’a montré la crise du gaz russe, les énergies fossiles sont revenues en force en 2022 pour faire face à l’urgence et permettre de passer l’hiver : maintien ou réactivation des centrales à charbon, négociations de contrats de fourniture de GNL (gaz naturel liquéfié) auprès de producteurs non-européens (Algérie, Nigéria, Cameroun, Qatar… Sans parler des immenses gisements sous-exploités de l’Iran).

Gageons que le monde ne se défera pas de sitôt du recours aux énergies traditionnelles…

  • Dépendance aux productions industrielles de masse et à des chaînes d’approvisionnement mondialisées:

Le modèle industriel dominant de l’Après-Guerre a consisté à produire en nombre croissant des biens à des coûts décroissants, afin de satisfaire des marchés de plus en plus vaste et des catégories de populations de plus en plus nombreuses, au fur et à mesure que s’élevait le niveau de vie et le pouvoir d’achat. Bénéficiant de l’ouverture des frontières, de la réduction des droits de douane et de coûts de transports réduits, ce modèle s’est épanoui en « optimisant » sa chaîne d’approvisionnement : délocalisations, sous-traitance internationale, franchise industrielle… La crise de la Covid19 a montré les limites de ce  système productif fractionné à l’extrême, avec les pénuries qui s’en sont suivies : masques, médicaments de base, composants électroniques, matériaux spéciaux…

Outre à cause de sa vulnérabilité, ce modèle productif est désormais critiqué en raison de son empreinte carbone élevée.

Le mot d’ordre actuel est à la « relocalisation » industrielle. Des exemples existent, des initiatives se multiplient dans les pays européens, mais de l’intention à la réalité, il y a une marge importante. Car de nombreux freins subsistent, tels que la fiscalité, la disponibilité du foncier, de la main d’œuvre adaptée, des matières premières disponibles (ex. il n’existe plus de filature de coton en France…)

  • Dépendance à un modèle consumériste dopé au Low-cost :

Ce que l’on a communément appelé la « société de consommation » qui s’est diffusée à partir des Etats-Unis d’Amérique dans les années 1950, stimulée par la publicité, le cinéma et la télévision, a progressivement conquis le monde, du fait de la constitution de « classes moyennes » de plus en plus nombreuses, y compris dans les pays naguère classés dans le Tiers-monde. L’ouverture des frontières, l’intensification des échanges marchands, les voyages long-courrier, le tourisme de masse ont généré à la fois une uniformisation des styles de vie et une hybridation des modes de consommation (exemple du phénomène de la « cuisine du monde »).

Or cette massification de la consommation s’est appuyée et a stimulé une course aux prix les plus bas, via notamment les acteurs de la grande distribution (qui canalisent 70% à 80% des achats).

Cette prévalence du Low-cost qui concerne les produits de grande consommation comme les services (cas du transport aérien, des voyages et du tourisme) a entraîné une « dégradation de valeur » et du gaspillage, peu compatibles avec les impératifs de sauvegarde écologique.

La recherche des prix les plus bas pousse, en effet, à une agriculture intensive, au recours à une main d’œuvre bon marché, taillable et corvéable à merci, aux délocalisations industrielles, à l’exportation de nos déchets électroménagers vers les pays pauvres, à l’externalisation des nuisances…

Légitimé (tant par les politiques que par la grande distribution) comme une lutte « contre la vie chère » au nom de l’augmentation du pouvoir d’achat des masses, le choix du Low-cost aboutit en fait à un appauvrissement général : destruction d’emplois; augmentation des déchets, du gaspillage et de la surconsommation, et génère de nombreux effets pervers.

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La grande transformation

Nous sommes confrontés en cette fin d’année 2022 à d’immenses défis qui exigent davantage que des ripostes dans l’urgence aux pénuries d’énergie et de matériaux que nous connaissons.

C’est à une véritable transformation de nos systèmes productifs, de nos façons de travailler et de nos modes de consommation à laquelle l’Europe et le monde vont devoir consacrer toutes leurs forces et leur intelligence.

Cette grande transformation nécessitera des investissement colossaux, tant de la part du secteur public que des entreprises privées lesquelles devront réinventer leur modèle productif.

Lors de la COP27 (Conférence des Nations-Unies sur le climat) qui s’est tenue en novembre à Charm El-Cheikh en Egypte, il a été estimé  que la transition vers une économie mondiale à faible émission de carbone pourrait nécessiter au plan international des investissements globaux d’au moins 4 000 à 6 000 milliards de dollars par an…

> Lire aussi : Perspectives 2023 (II) – Inflation, stagnation, guerre… le monde confronté à ses démons 

 

8 milliards de Terriens, 11 milliards à la fin du siècle!

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La population mondiale a franchi le 15 novembre 2022 le cap des huit milliards d’habitants.  Selon l’ONU, il faut y voir l’effet « des progrès scientifiques, des avancées en matière de nutrition, de santé publique et d’assainissement ». Des progrès qui ont réduit considérablement la mortalité infantile, juvénile ou maternelle et accru l’espérance de vie.

Avec cependant des disparités d’une région à l’autre.

L’espérance de vie moyenne à la naissance est passée de 64 ans en 1990 à 72,8 ans en 2019, et devrait encore augmenter pour s’établir à 77,2 ans en 2050.  Malgré les progrès considérables dans la réduction des écarts de situation entre grandes régions du globe, l’espérance de vie dans les pays les moins avancés accuse un retard de 7 ans par rapport à la moyenne mondiale.

« Les habitants des pays les plus riches ont 30 ans d’espérance de vie en plus que ceux des pays les plus pauvres, a affirmé le secrétaire général de l’ONU, António Guterres dans une tribune publiée dans le quotidien Le Monde. « Les retards et les impasses sur une foule de questions déclenchent la colère et le ressentiment contre les pays développés », s’alarme Antonio Guterres, « il nous faut enrayer ces tendances destructrices, nous réconcilier et trouver ensemble des solutions conjointes à nos difficultés communes ».

Le secrétaire général de l’ONU rappelle que la guerre en Ukraine impacte aussi durement les pays en développement en aggravant les crises alimentaire, énergétique et financière. Et d’exhorter à une plus grande solidarité Nord-Sud pour trouver les chemin d’une nouvelle prospérité globale : « Avec des investissements relativement faibles dans les soins de santé, l’éducation, l’égalité des sexes et le développement économique durable, les pays les plus pauvres d’aujourd’hui pourraient devenir les moteurs d’une croissance et d’une prospérité durables et vertes. »

Il est évident qu’un déficit de développement et de création d’emplois dans les pays du Sud intensifiera dramatiquement les flux migratoires vers les pays du Nord.

Il n’est de richesse que d’hommes…

Ce n’est qu’au début du 19ème siècle que l’humanité a atteint son premier milliard d’habitants et c’est dans la première moitié du 20ème siècle que la population mondiale a doublé de taille.

De quelque 2,5 milliards de personnes en 1950, la population du globe a atteint les 6 milliards à la veille de l’an 2000.

Le cap des de 7 milliards de personnes a été franchi en octobre 2011 et il n’aura fallu que onze années pour atteindre les 8 milliards d’habitants! 

Selon les projections de l’ONU, la population mondiale devrait atteindre 8,5 milliards d’individus en 2030, puis passer à 9,7 milliards d’individus en 2050 et pourrait atteindre voire dépasser les 11 milliards vers l’an 2100…

La Chine et l’Inde demeurent les pays les plus peuplés au monde, avec respectivement 1,44 milliard d’habitants pour le premier et 1,39 milliard pour le second, soit 19% et 18 % de la population mondiale. Vers 2027, l’Inde devrait dépasser la Chine car la population de ce pays devrait diminuer de 31,4 millions d’habitants (environ 2,2 %) entre 2019 et 2050, selon les prévisions de l’ONU.

Plus de la moitié de l’augmentation prévue de la population mondiale jusqu’en 2050 sera concentrée dans huit pays : Égypte, Éthiopie, Inde, Nigéria, Pakistan, Philippines, République démocratique du Congo et Tanzanie.

Notons cependant que de plus en plus de pays ou régions voient leur population diminuer en raison d’une fécondité faible : « Entre 2022 et 2050, la population devrait diminuer d’au moins 1% dans 61 pays ou régions, dont la moitié pourrait connaître une réduction d’au moins 10%. En Chine, la population devrait diminuer de 110 millions, soit près de 8%, entre 2022 et 2050 », précise l’INED.

Afrique : autant que la Chine et l’Inde

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Plus de la moitié de la croissance démographique dans le monde d’ici à 2050 aura lieu en Afrique, où le taux de fécondité reste le plus élevé: 4,6 enfants par femme contre moins de 2,1 dans les pays occidentaux.

L’âge médian est de 17 ans en Afrique sud-saharienne contre 41 ans en Europe…

Ce continent connaîtra, proportionnellement, la plus forte évolution démographique : à la fin des années 2060, l’Afrique sera la région la plus peuplée du globe et pourrait atteindre 3,4 milliards d’habitants en 2100!

 

Alain Le Roy, ambassadeur de France, intervenant lors d’une conférence sur les relations Afrique-Europe organisée le 9 novembre 2022 par l’agence AfricaPresse Paris  déclarait : « Avec 1,3 milliard d’habitants, l’Afrique représente à ce jour 13 % de la population mondiale, mais avec 2,5 milliards d’habitants en 2050, elle représentera alors 26 % ! (…) D’ici à 2050, quelque 450 millions de jeunes Africains vont arriver sur le marché du travail, pour à peine 200 millions d’emplois créés prévisibles à ce jour. Le défi à relever est immense ! »

Il est plus que temps que les Etats et les entreprises d’Europe se mobilisent pour contribuer à un fort développement économique de l’Afrique, par des investissements massifs, par des partenariats industriels et commerciaux ambitieux.

Faute de quoi, nous serons confrontés à l’intensification de flux migratoires incontrôlables.