Favoriser la reprise d’entreprise, facteur de renouvellement de l’économie

La reprise d’entreprise reste le parent pauvre des politiques publiques de soutien à l’entrepreneuriat. Plusieurs rapports ont incité à améliorer les dispositifs d’appui aux repreneurs, comme aux cédants. Les enjeux économiques des opérations de transmission-reprise ne sont pas négligeables. A l’occasion de la 9ème édition du Salon spécialisé Transfair, Consulendo analyse ces enjeux.

crédit image : Gerd Altmann – Pixabay

Si la création d’entreprise est largement encouragée et médiatisée dans notre pays – avec des niveaux records atteints ces dernières années (grâce à l’auto-entrepreneuriat) -, la reprise d’entreprise ne bénéficie pas des mêmes sollicitudes de la part des politiques publiques.

Sans doute parce que l’opération de cession-reprise d’une entreprise est d’abord considérée comme une transaction privée entre deux protagonistes, le dirigeant qui cède son affaire et le repreneur qui la rachète. Ce qu’elle est avant tout.

Mais au plan macro-économique, les enjeux des transmissions-reprises sont loin d’être négligeables en termes de retombées économiques pour le pays et ses territoires.

Notamment alors que de nombreux commerces de centre-ville, en dehors des grandes métropoles, ont du mal à trouver la relève. Et lorsque la transmission de belles entreprises, contribuant à la prospérité de leur territoire, a du mal à s’effectuer dans de bonnes conditions, les conséquences sont néfastes.

La Délégation sénatoriale aux entreprises s’alarmait, en octobre 2022, dans un rapport d’information * des risques de destruction de valeur économique lorsque des entreprises ne trouvent pas de repreneur : perte de savoir-faire, de brevets, destruction d’emplois qualifiés, fragilisation du tissu productif, délocalisations, affaiblissement de la compétitivité et de la souveraineté économique…

Et les sénateurs d’appeler de leurs vœux « la mise en oeuvre d’une véritable politique publique de la transmission d’entreprise en France ».

Urgence. L’un des rapporteurs,  le sénateur Olivier Rietmann (LR, Haute-Saône), – qui préside aujourd’hui la Délégation aux entreprises-,  regrettait : « Malheureusement, l’urgence de la situation n’est pas nécessairement perçue par tout le monde. Tout d’abord du côté de l’État, nous avons noté qu’en 2022, toujours aucun suivi chiffré ne permet de suivre les cessions d’entreprise en France, depuis que l’Insee n’est plus en charge de ce décompte, c’est-à-dire depuis 15 ans ! Seul BPCE L’Observatoire mène des études fiables sur le sujet. Du côté des dirigeants, nous avons constaté qu’ils sont nombreux à trop souvent attendre le dernier moment pour organiser leur succession. Et la modernisation des outils législatifs (depuis le précédent rapport sénatorial de 2017 – NDLR) n’a manifestement pas été suffisante pour qu’un  ‘sursaut’ ait lieu. »

* « Reprendre pour mieux entreprendre dans nos territoires », rapport d’information, fait au nom de la Délégation aux entreprises par la mission de suivi relative à la transmission d’entreprise, par les sénateurs Michel Canévet (UC, Finistère), Rémi Cardon (SER, Somme) et Olivier Rietmann (LR, Haute-Saône), rapporteurs. (Rapport d’information n° 33 (2022-2023), déposé le 7 octobre 2022)

crédit illustration : Gerd Altmann Pixabay

700 000 cessions potentielles dans les dix ans…

Nous manquons de données précises sur les opérations de cession-reprise d’entreprises en France.

Des estimations récurrentes parlent de 60 000 cessions annuelles. Mais ce chiffre amalgame probablement les cessions de fonds de commerce et les transferts de parts de sociétés.

La pyramide des âges des dirigeants d’entreprise est aussi souvent évoquée pour souligner l’urgence des enjeux de la transmission : 25 % des chefs d’entreprise auraient plus de 60 ans, et plus de 60% des dirigeants d’ETI (entreprise de taille intermédiaire) auraient plus de 55 ans…

A partir de ce constat, on estime à 700 000 le nombre d’entreprises à céder dans les dix prochaines années.

Dans les grands réseaux de franchise,15% à 25% des points de vente devraient changer de mains chaque année, évalue le cabinet Gouache avocats. Ceci ouvre des perspectives prometteuses d’installation à des entrepreneurs en quête de diversification ou à des salariés en reconversion .

Sécuriser et simplifier le processus de transmission-cession

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« Sécuriser et simplifier », c’est autour de ces deux impératifs que la mission sénatoriale a formulé onze recommandations visant cinq objectifs prioritaires :

Stabiliser le droit en vigueur pour répondre à la principale demande des dirigeants d’entreprise ;

Sanctuariser le  « Pacte Dutreil », essentiel pour les transmissions familiales et pour le développement des ETI en France ;

Simplifier les démarches et les dispositifs pour faciliter les transmissions et les reprises ;

Sécuriser les transmissions en limitant les effets déstabilisants de la jurisprudence ou de certaines décisions administratives ;

Inciter les dirigeants à anticiper leur transmission.

Les sénateurs préconisent notamment une meilleure coordination, au niveau national et régional, entre les différents acteurs publics et privés d’accompagnement à la transmission-reprise d’entreprises (DGFIP, Bpifrance, CCI, CMA, experts-comptables, Régions de France, banques, etc.)

Encourager la reprise par les salariés : il reste des marges de progrès

Le rapport de la mission sénatoriale recommande aussi d’encourager la reprise de l’entreprise par les salariés, notamment  en pérennisant le crédit d’impôt ; en relevant les abattements fiscaux de 300 000 à 500 000 euros; en abondant le compte personnel de formation (CPF) pour des formations à la reprise.

Les sénateurs citent dans leur rapport deux exemples probants qu’ils ont observé:

  • L’entreprise Rairies Montrieux , fabricant de matériaux de construction en terre cuite dans le Maine-et-Loire, labellisée « Entreprise du patrimoine vivant ». Cette société familiale pendant cinq générations, a été cédée à cinq cadres, à  travers un processus incluant une période de transition pilotée par le dernier dirigeant familial.
  • L’entreprise De Sangosse, spécialiste des bio-solutions dans l’agriculture, connaît une très forte croissance depuis 1989 à la suite d’un RES (rachat de l’entreprise par les salariés, dispositif incitatif créé dans les années 1980) : « La maîtrise de son capital a permis à cette entreprise de développer une puissante politique de recherche et développement ainsi que de RSE (responsabilité sociétale des entreprises) », notent les sénateurs.

 

Rappelons aussi que la loi PACTE de 2019 a assoupli le dispositif du fonds commun de placement d’entreprise de reprise : ce FCPER permet d’utiliser les fonds l’actionnariat-salarié pour reprendre une entreprise. Ce dispositif est encore insuffisamment connu et peu utilisé à ce jour.

C’est en utilisant ce FCPER que la société vosgienne Les Zelles (fabricant de fenêtres, à l’origine une entreprise familiale qui avait été cédée au Groupe Saint-Gobain) a été rachetée par son management et ses 500 salariés, devenant les principaux actionnaire aux côtés de cinq fonds d’investissements régionaux.

Changement d’état d’esprit. Développer la reprise de l’entreprise par ses salariés suppose aussi des évolutions culturelles dans notre pays, où, historiquement, l’antagonisme capital-travail reste fort et où chacun campe dans des postures convenues.

Afin de diffuser une culture de la « prise de risque calculée », l’actionnariat-salarié peut être un outil pédagogique et un bon levier d’engagement, pour mieux associer les collaborateurs au devenir de l’entreprise.

Côté cédant, c’est souvent lorsque les autres options de cession (transmission familiale, vente à un concurrent) n’ont pas abouti, que le dirigeant envisage de vendre à ses salariés. Cette voie devrait être davantage « banalisée » : car, après tout, les collaborateurs détiennent les savoir-faire, les tours de mains, parfois la mémoire de l’entreprise, et, en toute logique, ils devraient être les meilleurs repreneurs. A condition de les préparer, de les former. Et aussi de davantage les associer, en amont de la transmission, à la prise de décision.

Renouveler les profils des repreneurs, ouvrir de nouvelles opportunités d’affaires

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La Fondation Entreprendre vient de publier une étude recommandant d’ouvrir la reprise d’entreprise à de nouveaux profils.

La Fondation utilise le néologisme de « repreneuriat« , calqué sur le concept d’entrepreneuriat  : « Le repreneuriat peut-il être un levier d’égalité des chances et de revitalisation des territoires ? »

Les auteurs de l’étude partent du même constat démographique évoqué plus haut : « Avec plus de 30% des entreprises françaises qui verront leur dirigeant partir à la retraite dans les 10 années à venir, le repreneuriat est un enjeu clé pour préserver les emplois et les savoir-faire dans les territoires. »

La Fondation Entreprendre préconise de faciliter l’accès au repreneuriat à « des publics plus éloignés » que le profil habituel.

Sur la base d’une enquête menée par l’agence de recherche et d’innovation sociale Ellyx à partir d’une centaine d’opérations de reprises menées avec le CRA (réseau de conseil des cédants et repreneurs d’affaires), les auteurs dressent le profil dominant du repreneur:

« 90% d’entre eux sont des hommes et 41% ont plus de 50 ans. Ils disposent généralement d’une expérience avérée de dirigeant d’entreprise, sont diplômés d’école d’ingénieur ou d’école de commerce, et bénéficient de réseaux partenariaux déjà acquis notamment auprès des financeurs et fournisseurs. »

« Le repreneur idéal est décrit comme devant maîtriser la dimension technique du métier sur lequel l’entreprise s’est bâtie. Il est déjà présent sur le territoire, cultive des relations de confiance avec les donneurs d’ordre, et dispose de compétences suffisantes pour constituer et manager une équipe…

« Ce profil majoritaire du repreneur questionne sur les possibles freins d’accès au repreneuriat pour permettre à une plus grande diversité de profils de se lancer », soulignent les auteurs de l’étude.

Diversifier les profils des repreneurs

La Fondation Entreprendre préconise un renouvellement et une diversification des profils qu’il faudrait encourager à reprendre des entreprises, ce qui contribuerait à revivifier le tissu commercial et industriel dans les territoires :

« A la manière dont la création d’entreprise s’est démocratisée en France depuis une vingtaine d’année, le repreneuriat est appelé à renouveler les modalités et les conditions par laquelle une personne peut y accéder. Cela vient influer la manière dont l’écosystème d’accompagnement à l’entrepreneuriat, avec l’appui des pouvoirs publics, pourrait favoriser la mise en avant de nouvelles générations de repreneurs et repreneures (…) et valoriser la richesses d’expériences diverses, de compétences et de savoir-faire issus de parcours plus atypiques au regard du profil majoritaire existant. »

L’objectif serait de rajeunir les profils des repreneurs, et de faciliter l’accès à la reprise d’entreprise à davantage de femmes, de jeunes issus des quartiers ou de l’immigration. Y compris des profils moins diplômés, mais entreprenants, audacieux, prêts à s’engager dans  un territoire qu’ils connaissent.

Ainsi, selon la Fondation Entreprendre, en faisant « accéder au repreneuriat des générations nouvelles, avec des profils innovants, maîtrisant la capacité à diriger des entreprises, y compris à partir de compétences et d’expériences davantage atypiques », cela permettrait « d’accompagner la transition des entreprises et des territoires pour répondre aux défis actuels. »

Des freins subsistent

Toutefois les auteurs de l’étude conviennent qu’il subsiste encore de nombreux freins à desserrer pour parvenir à une plus grande diversification des profils de repreneurs.

A partir de ce que nous avons pu observer, nous pouvons évoquer notamment :

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  • La nécessité de disposer d’un apport en capital supérieur à celui nécessaire pour se lancer en création, ce qui dissuade les plus jeunes candidats;
  • Une bonne expérience professionnelle et des compétences managériales avérées sont indispensables à la fois pour reprendre et diriger une PME d’une certaine taille ou une ETI (entreprise de taille intermédiaire) avec des effectifs conséquents;
  • L’accès aux financements : les sommes à mobiliser pour racheter une entreprise existante étant nécessairement plus importantes, les banques passent au crible les références du repreneur, ses garanties financières, ses chances de succès; cependant il est désormais possible d’obtenir des « prêts d’honneur » de reprise (assimilés aux fonds propres du repreneur) auprès des réseaux d’accompagnement comme Initiative France et Entreprendre;
  • La dispersion de l’information : il existe de très nombreux acteurs privés et publics opérant sur le marché de la transmission-reprise, ainsi que des plateformes Internet qui publient des annonces de cession; cependant une bonne part du « marché » reste caché, en raison de la confidentialité recherchée par les cédants qui ne veulent pas inquiéter leurs clients, fournisseurs et salariés dans cette phase délicate de transition et de changement de propriétaire. Du coup, la quête du repreneur prend du temps, demande perspicacité et énergie! D’où l’intérêt et l’utilité de se faire conseiller et accompagner par un réseau spécialisé.

 

Pour des candidats ne disposant pas forcément d’une formation professionnelle très pointue, mais entreprenants, volontaires et travailleurs, la Franchise offre de belles opportunités de s’investir dans une diversité de secteurs d’activités : de nombreux points de vente sont en situation de changer de mains et le franchiseur accompagne, par de la formation, des conseils et un encadrement, ses futurs entrepreneurs franchisés dans leur parcours de reprise d’un magasin ou d’une agence au sein de leur réseau.

# Un salon professionnel pour les cédants et les repreneurs

 

TRANSFAIR, « Le rendez-vous de la Transmission Reprise d’entreprise », a tenu sa 9ème édition à Paris à l’iniative de la CCI Paris-Île-de-France, le lundi 20 novembre à l’hôtel Potocki, 27 avenue de Friedland, 75008 . Conférences et ateliers spécialisés au programme de cette journée, avec la participation de nombreux experts et conseils professionnels.

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>>> À l’occasion du Salon Transfair, l’AJPME, association de journalistes spécialistes des PME, a organisé une table ronde sur les enjeux de la reprise après les années Covid, avec la participation de deux experts et de deux repreneurs qui ont témoigné sur leur parcours : Paul-Olivier Claudepierre de la société Martin-Pouret et Damien de Charry de Novex.  >>> Lire le compte rendu des échanges.

 

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ZOOM: Racheter le fonds de commerce ou les parts sociales de la société?

Crédit photo : Pixabay

 

Il peut être plus intéressant fiscalement pour un repreneur de racheter le fonds de commerce plutôt que les parts de la société cédée.

 

Le cédant, de son côté, bénéficie de l’exonération de la plus-value de cession du fonds de commerce jusqu’à un certain plafond. Ce plafond a été porté par la loi de finances 2022 à 500 000 euros; l’exonération est partielle jusqu’à 1 million d’euros. « L’activité doit notamment avoir été exercée depuis au moins cinq ans ; et la vente à soi-même est toujours proscrite », précise le cabinet Walter France.

Ce réseau d’expertise-comptable souligne que la loi de finances 2022 permet aux repreneurs d’entreprises la possibilité de déduire de leur résultat imposable l’amortissement sur dix ans du rachat fonds de commerce.
« Aujourd’hui, si un repreneur rachète seulement les parts de la société, il ne peut toujours rien déduire. En revanche, en rachetant uniquement le fonds de commerce, le fait de pouvoir l’amortir sur dix ans va, mécaniquement, faire baisser son résultat et par voie de conséquence son impôt sur les sociétés. En prenant l’exemple d’un fonds de commerce acheté un million d’euros, le gain fiscal peut atteindre 250 000 euros », précise Walter France.
« Attention toutefois, pour bénéficier de cette mesure, l’entreprise doit être au-dessous de deux des trois seuils suivants : 6 millions d’euros de total du bilan, 12 millions d’euros de chiffre d’affaires et 50 salariés », prévient Mohammad Patel, associé de Walter France (…)
« Ce dispositif doit toutefois s’arrêter en décembre 2025 : « Il a motivé certains cédants à anticiper la vente de leur fonds de commerce pour optimiser le prix de la vente. Certains experts pensent que ledit dispositif pourrait être transformé en mesure définitive », commente Walter France (…)
« Du point de vue du cédant, celui-ci a souvent intérêt à vendre les parts sociales dont le régime de plus-value est généralement plus favorable, notamment si les parts sont détenues par une holding. Pour que le vendeur et le repreneur y trouvent chacun leur compte, ils pourraient s’accorder sur le fait que le vendeur vende son fonds, et pas les parts sociales, mais plus cher…  Au risque de créer de l’inflation sur les cessions de fonds. »
Mohammad Patel alerte sur plusieurs point de vigilance:
– « L’acheteur devra prendre soin de décomposer les éléments qui peuvent être amortis des autres éléments d’actif qui ne le peuvent pas. Par exemple les brevets, les licences et le droit au bail, entre autres, sont exclus de ce dispositif temporaire.
– « Le fait d’amortir est certes intéressant en termes de trésorerie, mais comptablement, cela conduit à réduire le résultat, voire à le rendre déficitaire. Impossible dans ce cas de distribuer des dividendes. Par ailleurs, les banques refuseront le financement de la reprise, et ce, même si l’opération est économiquement viable.
– « Si le prix d’acquisition a été élevé à cause de l’économie fiscale liée à l’amortissement du fonds, à la fin de la période d’amortissement, la valeur du fonds pourrait baisser. Or, les banques prennent souvent le fonds en garantie lors d’un prêt. Pour que cette garantie soit tangible auprès des banques, la valeur du fonds doit être cohérente avec la valeur future du fonds sans amortissement. »